Suicide assisté en Allemagne : quand « le droit à la mort devient la mort du droit »

Publié le 3 Juil, 2020

Le 26 février 2020, la Cour constitutionnelle allemande a reconnu le droit au suicide assisté, quel que soit son état de santé (cf. Allemagne : l’interdiction du suicide assisté remise en cause ).

 

Pour l’avocat Me Bruno Dayez, cette décision de justice opère un véritable renversement. Jusqu’alors, la doctrine commune qui sous-tend la législation considère que le suicide n’est pas un droit puisque nous ne sommes pas maitres de notre mort. Par conséquent, personne ne peut avoir l’obligation de « m’assister dans le projet de mettre fin à mes jours ». Et au contraire « en ne m’empêchant pas de passer de vie à trépas alors qu’on en avait la possibilité, on est condamnable du chef de non-assistance à personne en danger ». Aussi, ce n’est habituellement qu’à titre exceptionnel qu’une législation tolère l’euthanasie. Il ne s’agit pas de « la reconnaissance d’un droit à la mort, mais seulement d’un droit de ne plus souffrir dans certaines circonstances étroitement balisées ». Au fondement de cette doctrine : « ma vie (…) due à l’humanité dont je ne suis qu’un représentant ou (…) un dépositaire. Ma dignité d’être humain commande que je respecte un devoir de vivre qui, à le transgresser, mettrait en péril tant la solidarité entre tous ceux qui partagent ma condition que l’idéal dont cette condition est porteuse ».

 

La conception qui sous-tend la décision de la Cour Constitutionnelle de février est aux antipodes. Elle considère l’homme comme un « individu souverain, dont la liberté comprend notamment celle de (…) juger de ce qui est digne pour lui ». Pour résumer : « à la dignité d’être libre vient se substituer la liberté d’être digne : je suis seul à décider de la valeur que j’accorde à mon existence, du prix que j’attache à ma vie ». « Cette façon de voir, qui place en quelque sorte l’individu en situation de toute-puissance, est très loin de faire l’unanimité. C’est pourtant celle que la Cour constitutionnelle allemande vient de consacrer en obligeant l’État à mettre en place une aide au suicide sans qu’il soit nécessaire pour celui qui voudrait y recourir de justifier sa demande d’une quelconque façon ». « Un véritable droit subjectif au suicide » est de ce fait créé qui interdit « à quiconque de s’y opposer » et intime « même à certains tiers d’y prêter assistance ». S’il ne fait pas l’unanimité, ce modèle  « présente en tous cas un avantage : celui de ne plus faire peser sur les épaules du corps médical la responsabilité de pratiquer une euthanasie ».

 

Pour Xavier Dijon, professeur émérite de droit, le droit à la mort ainsi proclamé par la Cour Constitutionnelle mine la dignité de la personne humaine. Cette évolution vers un droit à la mort provient de « la progression de l’idéologie individualiste qui a coupé tous les liens de la personne, tant envers son entourage qu’envers son propre corps, et qui a, du même coup, retourné complètement la façon de comprendre la dignité et l’épanouissement » de l’homme.

 

Le rôle de l’Etat n’est plus celui « protéger » la dignité en protégeant la vie de l’homme, même contre lui-même, mais de garantir que l’homme a la libre « disposition » de sa vie, de sa dignité. L’homme « doit pouvoir s’autodéterminer par rapport » à cette vie et cette dignité « sans subir aucune entrave de la part des pouvoirs publics ».

 

Certains « pourraient approuver cette décision allemande au nom du droit de disposer de soi. En effet, avoir le droit à la vie, n’est-ce pas aussi, pour un sujet, disposer du droit d’en faire ce qu’il veut ? Mais est-ce bien le cas ? La vie elle-même, qui nous tient ensemble comme autant de sujets de droit, n’est-elle pas en surcroît de notre volonté propre ? Par exemple, qui d’entre nous s’est fait naître lui-même ? Et le droit n’est-il pas fait pour nous relier les uns aux autres dans un but de protection de nos libertés respectives comme nous venons encore de l’expérimenter en cette période de coronavirus ? Dès lors, le droit ne se contredit-il pas quand il enferme chaque sujet dans la solitude de son autodétermination ? Par-là, le droit à la mort devient la mort du droit ».

 

Pour aller plus loin :

La Libre, Xavier Dijon et Bruno Dayez (30/06/2020)

Photo : Pixabay

 

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