COVID-19, du conte de fée au cauchemar ?

Publié le 14 Mai, 2020

Plongés dans une pandémie qui a sidéré le monde et alors que la France amorce sa « stratégie » de déconfinement, Dominique Folscheid, philosophe et auteur de Made in labo[1], propose de revenir sur les ambiguïtés d’une situation inédite pour essayer d’envisager l’avenir.

 

Généthique : Quelles réflexions vous inspire cette irruption soudaine du virus dans notre monde ?

Dominique Folscheid : Pour décrire ce qui se passe, on pourrait prendre l’image du match de boxe : sitôt sorti de Chine, le coronavirus a mis le monde entier K.-O debout avant de l’envoyer au tapis. Du match, on passe alors au conte de Perrault, La Belle au bois dormant

Vous connaissez l’histoire : une méchante fée avait jeté un sort à la princesse encore au berceau, lui assurant qu’à l’âge de quinze ans, elle se piquerait le doigt sur un fuseau et en mourrait. Heureusement, une bonne fée était intervenue pour modifier la sentence de mort : la princesse avait été plongée dans un sommeil de cent ans, comme tous ses serviteurs, contaminés par elle, tous cloîtrés dans son château.

Cette histoire peut nous servir de parabole. Le virus c’est la mauvaise fée, qui promet la mort à ceux qui s’adonnent au travail du fuseau, symbole de la domination technoscientifique de la nature. La bonne fée représente toutes les mesures prises pour « sauver des vies », qui ont figé sur place le cours normal de la vie du monde, confiné les gens en leur château, si étriqué soit-il, et plongé dans un coma artificiel les malades placés en réanimation.

Reste à expliquer pourquoi les choses se sont ainsi passées.

 

G : En effet, n’est-ce pas étonnant que ce soit un virus qui remette en question nos façons de vivre ?

DF : Étonnant, oui, si l’on concentre son attention sur le seul virus ; pas étonnant si l’on considère ce que ce virus représente pour nous, dans notre monde tel qu’il est.

Qu’est-ce qu’un virus ? Il n’est pas un organisme vivant car il n’est constitué que d’un brin d’ADN ou d’ARN. Il a donc besoin d’un hôte, ce qui en fait un parasite, capable de détruire nos cellules quand il a envahi notre organisme. Les virus, nous nous y sommes habitués : le Covid-19 est un coronavirus comme le sont le rhume ou la grippe. Sauf qu’il n’a rien d’une « grippette », mais n’est pas comparable non plus à ces pestes d’autrefois, qui tuaient un tiers de la population concernée.

Alors pourquoi ce virus a-t-il provoqué pareils effets sur la vie du monde ? Parce qu’il incarne la nature dans sa sauvagerie, la nature agressant notre monde en menaçant de mort les humains qui y vivent. Une sauvagerie qui n’a rien à voir avec ces autres phénomènes naturels que sont les tremblements de terre, les tsunamis ou les éruptions volcaniques, pourtant terriblement destructeurs. Parce que ce sont des maux qui nous arrivent du dehors, de l’extérieur, tandis que le Covid-19, lui, nous envahit par l’intérieur, sournoisement, pour mener à bien ses petites affaires, à notre détriment.

Il se trouve, en plus, qu’il est sorti de ce réservoir à virus qu’est la chauve-souris. Or qu’est-ce qu’une chauve-souris ? Ce n’est ni une souris ni un oiseau, mais les deux à la fois. Autrement dit, c’est un monstre… Un monstre qui niche dans des cavernes, ce qui met immédiatement en branle la réserve d’imaginaire que recèle cette autre caverne qu’est notre inconscient.

Bref, on se retrouve plongé dans un film d’horreur, et la machine à fantasmes se met à tourner à plein, nous faisant régresser à l’archaïque. Ce que confirment les mesures elles-mêmes archaïques prises par les autorités, comme cela se faisait dans le passé lors des épidémies de peste ou de choléra —  des mesures « médiévales », disait Didier Raoult. Avec retour en force des catégories archaïques du pur et de l’impur, puisque la contamination virale nous renvoie directement à l’idée de souillure.

Or pourquoi a-t-on pris pareilles mesures ? Parce que nous nous sommes découverts à la fois humiliés et punis par l’immaîtrisable sauvagerie de la nature !

 

G : Si je vous comprends bien, est-ce parce que notre monde était en situation de vulnérabilité que ce virus a un tel impact ?

DF : Tout à fait ! Pour le confirmer, il suffit de se rappeler ce clin d’œil du calendrier, c’est-à-dire de l’histoire, qui s’est produit le 24 septembre 2019. À cette même date, le débat sur la loi de bioéthique était lancé à l’Assemblée nationale, tandis que le président Macron faisait un beau discours sur l’urgence écologique devant l’Assemblée générale de l’ONU. Là où Greta Thunberg, égérie de la jeunesse écolo, avait fait son show la veille.

Or quel était le sens de ce projet de loi ? Il consacrait la mainmise complète de la technique, dont la médecine se faisait l’instrument, sur la reproduction voire la production de la vie en général, y compris celle des humains. Il confirmait l’emprise de la technosphère sur nos vies et nos modes d’existence, faisant un pas de plus vers le transhumanisme. Tandis que dans le même temps, les mouvements de défense de la biosphère, menacée par la technosphère, se faisaient plus pressants voire plus violents que jamais, comme chez les collapsologues et autres végans.

Notre monde se trouvait ainsi pris entre deux feux : d’un côté les séductions et les promesses utopiques de la technosphère, de l’autre côté les terreurs provoquées par la perspective d’un désastre écologique. D’où une situation de crise — du grec krisis, « division ». Notre monde s’est ainsi découvert en contradiction avec lui-même, dans une position quasiment schizophrénique. Et c’est sur cette ligne de fracture, son point de vulnérabilité, source d’angoisse existentielle pour tous, que notre monde a subi le choc qu’est l’irruption du virus. Un choc qui a eu l’effet explosif que l’on sait.

 

G : N’est-ce pas notre rapport à la vie et à la mort qui est en cause, puisque l’apparition du virus a éliminé ces débats, et remis en quelque sorte les compteurs à zéro ?

DF : Que nos gouvernants aient voulu éviter le risque de voir 400 000 personnes mourir du Covid-19 en France, chiffre à jamais invérifiable, est légitime. Mais c’est en raison des relations que nous entretenons désormais avec la mort que cette menace a pris une ampleur paroxystique et que « sauver des vies » est devenu un impératif catégorique. Nos guerres se font à « zéro mort » (les morts, c’est bon pour les Congolais ou les Yéménites), nous demandons à la médecine de nous sédater ou de nous euthanasier pour nous éviter d’avoir à mourir, et nous espérons que la mort sera un jour la « dernière maladie » vaincue. Va dans le même sens le surnom d’« anges gardiens » attribué aux brigades préposées à surveiller les personnes infectées — les théologiens apprécieront.

Mais il ne nous a pas échappé que l’accent était mis sur la vie biologique, comme le prouvent la nature des parades mises en place, qui sont essentiellement d’ordre sanitaire, hygiéniste et prophylactique. Des mesures qui font payer notre survie biologique de la mise entre parenthèses de tout ce qui constituait une existence humaine digne de ce nom — vie économique, relations sociales, mariages, funérailles, cérémonies religieuses, théâtre, cinéma, sport, etc. La preuve : les courses n’étaient autorisées que pour se procurer des biens de « première nécessité » — en clair, de l’alimentation. Mais les livres, eux, étaient interdits…

Le sort réservé à nos vieux en a découlé. En les privant de relations, en les abandonnant à leurs derniers moments, on les a poussés au désespoir et peut-être à la mort. Autant avouer que nos vieux ne sont plus des existants, mais des inutiles sociaux, de simples survivants, des morts en sursis. D’où les controverses sur le critère de l’âge pour avoir droit à la réanimation.

 

G : Pourtant, ne peut-on pas affirmer qu’avec cette pandémie, la médecine a retrouvé ce pour quoi elle est faite : soigner ?

DF : C’est la bonne nouvelle que l’on doit à cette pandémie : le retour de la médecine à sa fonction soignante. La défaite en rase campagne essuyée par l’appareil technoscientifique, qui a fait la preuve de son ignorance et de son impuissance, nous a fait redécouvrir que la médecine était un mixte de savoir et de savoir-faire exclusivement destiné à prendre soin des personnes, avec les moyens du bord. La révolution qui s’est produite dans les hôpitaux va dans ce sens : la technocratie bureaucratique qui régnait depuis des lustres sur le mammouth graisseux qu’était devenu notre système de santé publique a perdu son pouvoir. Bon gré mal gré, avec les retards et les erreurs que l’on sait, elle s’est mise au service des activités de soin.

Mais ceci ne vaut que pour les médecins et les soignants de première ligne, d’ailleurs célébrés et applaudis comme tels par l’opinion publique. Car si l’on y regarde de plus près, les virologues et les réanimateurs se sont hissés en haut du pavé, écrasant tous les autres. Quant à l’ensemble de la population, dont l’immense majorité n’est ni contaminée, ni menacée de mort au cas où elle le serait, nous avons fait pire que ce que Jules Romains décrivait dans Knock, le médecin qui avait réussi à mettre au lit tout un village de bien-portants, reclassés en « malades qui s’ignorent ».

Sauf qu’au lieu du « triomphe de la médecine », c’est à celui du « sanitairement correct » que nous avons assisté. Comme si nos gouvernants, pris en défaut par leurs manques de prévisions, de précautions et d’anticipation, voulaient se rattraper en sortant l’artillerie lourde du « biopouvoir », pour parler comme Michel Foucault. D’où ces mesures répressives, mais dont chacun a pu remarquer l”incohérence (comme autoriser le métro et interdire les plages)  qui ont conduit à traiter les citoyens comme des enfants irresponsables, surveillés par des drones, mis à l’amende par la police, etc. Le confinement était à l’évidence justifié, mais comme l’ont montré d’autres pays, y compris en Europe, des mesures plus fines étaient possibles.

 

G : Une fois la pandémie passée, est-ce que nous oublierons cet épisode pour reprendre notre vie d’avant ? Ou bien, sans jouer les prophètes ou les devins, saurons-nous changer ce qui pourrait ou devrait l’être ?

DF : N’étant ni prophète ni devin, je distinguerai le probable et le possible. Le probable, qui tend vers le certain, est que la tension entre la technosphère et la biosphère, qui fissure notre monde, va continuer à produire tous ses effets. Mais entre les deux, c’est le pot de fer contre le pot de terre.

Quand certains écologistes nous ont expliqué que la cause de la pandémie était à chercher du côté du réchauffement climatique et de la déforestation, et non des pratiques alimentaires des Chinois, ils se sont ridiculisés. La pandémie comme sanction, comme punition, tel était le message. Mais la réaction de la majorité des gens a été claire : je veux bien prendre en compte « la santé de la planète », mais je préfère la mienne. Entre la limitation du réchauffement du climat pour l’an 2050 et le risque de me retrouver dès demain plongé dans les horreurs de la réanimation, mon choix est vite fait.

Qu’est-ce que cela nous révèle de notre rapport à la nature ? Que nous la voulons maîtrisée, domestiquée, humanisée, que nous aimons les petites fleurs et les petits oiseaux, mais que ses actes de sauvagerie nous révulsent. Or sur quoi misons-nous pour étendre notre maîtrise sur cette nature rebelle ? Sur le progrès technoscientifique.

Les errements des experts scientifiques de tout poil et l’humiliation de la médecine technoscientique ont réjoui les plus critiques d’entre nous, mais la revanche se prépare… On a déjà identifié le génome du virus, on produira très vite des tests fiables et des traitements efficaces, peut-être un vaccin. Nous en tirerons des bienfaits, et comme c’était déjà vrai auparavant, ils couvriront les méfaits dont cette même technomédecine est capable.

Or à qui la pandémie a-t-elle d’ores et déjà profité ? Aux Gafam, qui soutiennent déjà les projets du transhumanisme. Ce sont eux, grâce à la révolution numérique dont ils sont les maîtres, qui ont permis au monde virtuel de sauver le monde réel du plongeon dans une nuit déprimante. Pour compenser les mesures de distanciation physique, ruineuses au point de vue social, on a promu le télétravail, la télémédecine et les logiciels de communication (Zoom, Whatsapp, etc.). Le monde devenu l’ersatz du monde réel… On a pu rire des « apéros-Skype », on rira moins de la voie royale qui s’est ouverte à la biopolitique sous couvert d’alibi sanitaire. On poursuivra le fichage génétique de la population, surveillera et gérera nos santés avec des algorithmes, et ainsi de suite.

Mais pour le fond, la leçon à tirer est typiquement transhumaniste : la promotion de la désincarnation. Car qu’est-ce que le corps humain, que le virus nous a révélé à la fois menacé et menaçant, sinon le lieu de notre vulnérabilité et de notre mortalité ?

Pour en finir avec le probable, nous aurons fort à faire pour rétablir la vie économique. Mais en ce qui concerne le possible, je n’ai qu’une chose à dire : que la pandémie est un événement survenu dans l’histoire, et que c’est l’histoire qui s’en arrangera. Moyennant un compromis entre les tendances lourdes que j’ai décrites et ce que notre liberté en fera. On peut juste en dire que tout sera comme avant, en pire, mais en ajoutant que pour l’avenir, le pire n’est jamais certain.

 



[1] Made in labo, Dominique Folscheid, Editions du Cerf, mai 2019.

 

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