Lundi, la Cour de cassation doit statuer sur l’avenir de Vincent Lambert. Avant l’échéance, Maître Jean Paillot, avocat des parents de Vincent Lambert, fait le point pour Gènéthique.
Gènéthique : Le 20 mai dernier au matin, le docteur Vincent Sanchez a enclenché la sédation profonde et continue et suspendu l’alimentation et l’hydratation de Vincent Lambert. Le soir même, la Cour d’appel lui ordonnait de reprendre les soins. Aujourd’hui, où en est-on ?
Jean Paillot : Les soins ont en effet été remis en route immédiatement, conformément à l’arrêt rendu par la Cour de Paris.
G : Quels sont les enjeux de la décision de la Cour de cassation ?
JP : La Cour de cassation doit se prononcer sur la nature obligatoire ou non des mesures provisoires réclamées par le comité de l’ONU qui a réclamé le maintien des traitements de Vincent Lambert, le temps d’examiner son dossier. Ceci implique qu’elle étudie également la compétence des juridictions judiciaires à trancher ce litige, avec cette particularité que les juridictions administratives ont en réalité refusé de statuer et ont tenté de couvrir l’illégalité manifeste commise par l’administration (ici le CHU de Reims). La particulière solennité des juridictions judiciaires (en audience collégiale en première instance et en appel, en assemblée plénière devant la Cour de cassation) et leur célérité à statuer tranche de manière assez manifeste avec la façon de traiter ce contentieux par les juridictions administratives (ordonnance de tri rejetant le recours sans audience et hors délai par le tribunal administratif, projet de non-admission par le Conseil d’Etat), qui justifie une compétence élargie des juridictions judiciaires face à un tel dévoiement.
G : Pourquoi Vincent Lambert ne peut-il être transféré dans un centre adapté à ses besoins ?
JP : Parce que les diverses personnes qui seraient susceptibles de le demander (tutrice, qui est l’épouse, ou CHU…) refusent de le faire. Il reste possible de demander au juge des tutelles un changement de tuteur, mais le juge des tutelles l’a pour le moment refusé. La question est pendante devant la cour d’appel de Reims.
G : Le Comité international des droits des personnes handicapées de l’ONU a été saisi, comment peut-il influencer la situation de Vincent Lambert ? Le gouvernement peut-il passer outre son engagement ? Avec quelles conséquences ?
JP : Ce comité est saisi de la question principale de savoir si l’interprétation donnée par le Conseil d’Etat des lois Léonetti et Claeys-Léonetti, permettant de mettre fin aux traitements (et donc à la vie) d’une personne handicapée sans comorbidités (c’est-à-dire ni malade ni en fin de vie) constitue ou non une discrimination à l’égard des personnes handicapées.
G : Comment expliquez-vous l’intervention nouvelle du gouvernement dans cet affaire : c’est lui qui a saisi la Cour de cassation. Quel est le signal qui est envoyé ?
L’intervention du gouvernement français n’est pas nouvelle (Madame Touraine, alors ministre de la Santé, était déjà intervenue en sous-main). Mais elle est désormais explicite : le gouvernement français doit faire appliquer les mesures provisoires, conformément à son engagement résultant de sa ratification de la Convention internationale des droits des personnes handicapées et de sa ratification du protocole facultatif. Le gouvernement français prétend pouvoir répondre au CDPH sur le fond mais refuse d’appliquer les mesures provisoires édictées, sans même utiliser le mécanisme prévu pour contester une éventuelle impossibilité d’appliquer ces mesures provisoires. Mais le gouvernement français se fait juge et partie. C’est inadmissible. Une telle attitude est d’autant plus déroutante que le gouvernement aurait pu apparaître comme étant au-dessus de la mêlée en préconisant une solution de sortie de crise. Mais non, il attise le conflit en saisissant la Cour de cassation. Dont acte. Il ne s’agit donc plus d’une querelle familiale. Il s’agit d’une affaire d’Etat : le gouvernement français refuse d’appliquer une convention internationale dans le domaine des droits de l’homme. C’est stupéfiant.
G : Pourquoi est-il important aujourd’hui de défendre la vie de Vincent Lambert ?
JP : Ce n’est pas tant sa vie qui doit être défendue à tout prix (parce qu’il existe des situations où un arrêt de traitement est légitime) que le respect qui lui est dû. Faute de comorbidités, on ne se trouve pas en présence, chez Vincent Lambert, d’une personne malade ou en fin de vie. Il ne souffre pas. Les experts judiciaires estiment que son alimentation et son hydratation entérales ne constituent pas un traitement relevant d’une obstination déraisonnable. On est donc dans un dévoiement des lois Léonetti et Claeys-Léonetti en tentant de faire entrer dans ce cadre législatif prévu initialement pour lutter contre l’acharnement thérapeutique ce qui est ici en réalité un cas d’euthanasie par omission de soins.
La seule raison qui le justifie serait sa volonté – qui pourtant est seulement présumée et interprétée, ce d’autant plus que sa volonté n’a pu être exprimée qu’avant l’accident. Que vaut réellement l’expression de la volonté d’une personne avant qu’elle soit handicapée ?
Personne ne veut être handicapé ou rester handicapé. Personne ne voudrait être dans l’état de Vincent. Donc si 100 % des personnes ne veulent pas être dans sa situation, il suffit de supprimer sans délai toute personne se trouvant dans un état de conscience altérée ; on supprimerait ainsi une filière de santé remarquable de compétence et d’humanité, qui accueille environ 1500 personnes en France. Quel progrès ! Je fais partie de ceux qui estiment qu’il n’y a pas de sous-humanité, qu’il n’y a pas d’êtres humains qui ne mériteraient pas de vivre pour la seule raison qu’ils sont handicapés. C’est donc bien un combat de civilisation.