“Vers l’instauration d’un eugénisme d’Etat ?”

Publié le 27 Oct, 2008

Pierre-Olivier Arduin, responsable de la commission de bioéthique du diocèse de Fréjus-Toulon, et Patrick Leblanc, gynécologue-obstétricien au CHG de Béziers, reviennent sur l’annonce des chercheurs américains qui auraient mis au point un nouveau test pour "améliorer" le dépistage de la trisomie 21 (cf. Synthèse de presse du 17/10/08). Ils s’interrogent : "allons nous irrémédiablement vers l’instauration d’un eugénisme d’Etat ?".

En février 2008, François Fillon réclamait un "examen approfondi" des "activités d’assistance médicale à la procréation, en particulier du diagnostic prénatal et du diagnostic préimplantatoire"."Les dispositions encadrant ces pratiques garantissent-elles une application effective du principe prohibant toute pratique eugénique?", telle est l’une des questions à laquelle doit répondre Philippe Bas, ancien ministre de la Santé et des Solidarités dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique.

Rappelons que certaines déclarations ont ébranlé les certitudes en la matière. Ainsi Didier Sicard affirmait-il en  février 2007 : "osons le dire : la France construit pas à pas une politique de santé qui flirte de plus en plus avec l’eugénisme […]. Nous ne sommes pas très loin des impasses dans lesquelles on a commencé à s’engager à la fin du XIXe siècle pour faire dire à la science qui pouvait vivre et qui ne devait pas vivre.[…] La vérité centrale est que l’essentiel de l’activité de dépistage vise à la suppression et non pas au traitement. Ainsi, ce dépistage renvoie à une perspective terrifiante : celle de l’éradication" (cf. Synthèse de presse du 05/02/07).

En France, ces propos sont illustrés par le sort des enfants trisomiques 21, dont le taux de naissance est le plus bas d’Europe. Jusqu’ici on proposait à toutes les femmes enceintes la mesure de la clarté nucale lors de l’échographie du premier trimestre, puis le dosage de 2 ou 3 marqueurs sériques maternels au cours du second trimestre. Lorsque l’on trouve un risque de trisomie 21, on pratique une amniocentèse pour confirmer le diagnostic. Ce geste provoque de 1 à 2% de fausses couches. On entraîne l’avortement de deux enfants indemnes, pour l’avortement volontaire d’un enfant atteint.

En juin 2007, la Haute autorité de santé (HAS) demandait que l’on limite le nombre d’amniocentèses et dans le même temps que soit amélioré le pourcentage de détection de la trisomie 21 (cf. Synthèse de presse du 06/06/07). C’est pourquoi certains biologistes veulent utiliser deux nouveaux marqueurs sériques dès le 1er trimestre de la grossesse, suivi des autres tests habituels. En fait "ce que demandent les médecins biologistes aux autorités publiques, ce n’est ni plus ni moins que l’instauration d’une biocratie, si l’on entend par ce terme le fait de rationaliser scientifiquement la reproduction humaine", dénoncent les deux experts.

Pour eux, cet eugénisme est consenti et organisé. Le gynécologue Jacques Milliez déclarait "il est généralement admis, par exemple, que sauf conviction ou disposition affective contraire des parents, un fœtus atteint de trisomie 21 peut, légitimement au sens de l’éthique collective et individuelle, bénéficier d’une interruption médicale de grossesse. Il existe une sorte de consentement général, une approbation collective, un consensus d’opinion, un ordre établi en faveur de cette décision, au point que les couples qui devront subir une interruption de grossesse pour une trisomie 21 ne se poseront guère la difficile question de la pertinence de leur choix individuel. La société en quelque sorte, l’opinion générale, même en dehors de toute contrainte, a répondu pour eux". Pour le professeur de droit Bertrand Mathieu, directeur du Centre de recherche en droit constitutionnel, l’article 16-4 du Code civil – "toute pratique eugénique tendant à l’organisation de la sélection des personnes est interdite" – est allègrement bafoué : "aujourd’hui, on organise la sélection des personnes".

Pour les deux experts, le responsable de cette sélection est l’obstétricien qui devient le "trieur" des êtres à venir et qui participe à une réelle "traque" du handicap, que lui impose la société.

Ils dénoncent "les pressions qui s’exercent sur les familles, l’ignorance des procédés biotechniques dans laquelle les parents sont tenus, le déficit d’accueil et de reconnaissance dans notre société des enfants handicapés" qui "réduisent la liberté de décision des personnes". Ils rappellent que la Fondation Jérôme Lejeune est le premier financeur en France de la recherche sur la trisomie 21 et qu’elle finance plus de 100 programmes de recherche dans le monde pour plus de 2 millions d’euros. Cette somme paraît dérisoire au regard des 100 millions d’euros de l’Etat destiné au dépistage. Ils rappellent les propos de Benoît XVI qui déclare dans sa dernière encyclique que "la mesure de l’humanité se détermine essentiellement dans son rapport à la souffrance et à celui qui souffre. Cela vaut pour chacun comme pour la société. Une société qui ne réussit pas à accepter les souffrants et qui n’est pas capable de contribuer par la compassion, à faire en sorte que la souffrance soit partagée et portée aussi intérieurement, est une société cruelle et inhumaine".

Et les experts de conclure : "à aucun moment la vie humaine ne peut être légitimement sacrifiée. L’accueil et les soins prodigués sont bien au contraire d’autant plus inconditionnels que l’être humain est vulnérable et fragile".

Libertépolitique.com 24/10/08

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