Une campagne inquiétante qui banalise le don de gamètes (1/2)

Publié le 4 Juin, 2015

Depuis le 1er juin et pour deux semaines, l’Agence de Biomédecine mène une « campagne sur le don de gamètes » (cf. Gènéthique des 26 mai et 2 juin 2015). Trois spots diffusés sur des radios de grande audience, qui mettent en scène des dialogues entre donneurs ou donneuses de gamètes, incitent les français aux dons de spermes et d’ovocytes.

 

Les chiffres diffusés montrent en effet un « déficit » de donneuses d’ovocytes et l’ABM, encouragée par la ministre de la santé, vise à recruter 900 donneuses d’ici la fin de l’année (cf. Gènéthique du 28 mai 2015). Le rapport de l’Igas[1] en 2011 sur le don d’ovocytes proposait déjà dans ses 31 recommandations des « mesures d’information et de promotion du don ». Le déséquilibre entre l’« offre » et la « demande » poussent aujourd’hui les femmes françaises à se tourner vers l’étranger.

 

Une campagne qui « banalise » le don de gamètes

 

Le mode de communication choisi par l’Agence est révélateur : les spots radios mettent en scène une pratique exceptionnelle au cœur de la vie quotidienne, poussant l’auditeur à la générosité, sans plus de réflexions. Les sites internet dédiés invitent l’internaute à se tester pour savoir quel « donneur de bonheur » il est. Jacques Testart, expert Gènéthique, directeur de recherche honoraire à l’Inserm et père scientifique du premier bébé éprouvette, réagit : « Comme au Téléthon, c’est l’empathie et la générosité qui sont sollicitées sans que soient pris en compte les effets potentiels des dons d’argent ou de gamètes : le “déficit”,de crédits ou de donneuses, serait suffisant pour légitimer ces opérations ». Claire Bouglé-le Roux, Maître de conférences en histoire du droit à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines dénonce elle aussi « ce nouveau mode de communication qui revient à banaliser le don de gamètes en en parlant comme d’un geste à la fois évident et simple, ne supposant chez le donneur que peu ou pas de réflexion ». Pourtant, « la gravité du don en jeu ne laisse pas la place à une telle banalisation ».

 

Un autre aspect de cette campagne est préoccupant : Claire Bouglé-le Roux se dit « contrariée d’une forme de manipulation consistant à culpabiliser les parents sur le mode ‘vous avez la joie d’avoir des enfants’ : il est donc de votre devoir de permettre, à ceux qui en sont empêchés, d’en avoir (…). L’enfant apparaît ici très clairement comme un dû, une exigence d’adultes, même si j’entends la douleur des personnes touchées par l’infertilité. C’est, me semble-t-il, une réponse très peu pédagogique que de laisser croire que la PMA est une solution simple, ultra maîtrisée et sans conséquence ».

 

Enfin, le terme de « don » rapproche le don de gamètes du don de sang ou d’organes. Cependant, transfusion et transplantation ont clairement une finalité thérapeutique (sauver une vie ou augmenter l’espérance et la qualité de vie du receveur), alors que l’AMP est d’une toute autre nature, n’ayant, au sens strict, aucun effet sur le « malade ». Jacques Testart le souligne en expliquant que les CECOS[2] ont calqué les règles du don de sperme (étendues ensuite au don d’ovocytes) sur celles du don de sang ; « Pourtant, les cellules sanguines sont moins investies psychologiquement que les cellules sexuelles, et surtout leur don a pour but d’assurer la survie d’une personne plutôt que la conception d’un nouvel être».

 

Une campagne inquiétante

 

Cette campagne à grande échelle fait craindre à nos deux experts de nombreuses dérives, et discrédite l’ABM : Pourquoi faire du don de gamètes une priorité – qui concernerait 3000 couples infertiles[3]– lorsqu’on sait que plus de 20 000 personnes sont en attente d’une greffe d’organes ?

Pour Claire Bouglé-Leroux, « l’appui de Madame Marisol Touraine, donne une tonalité très officielle à cette campagne et me fait dire qu’au fond, c’est bien la seule mesure nataliste de ce gouvernement et il me semble très grave qu’elle porte justement sur ce domaine délicat où on peut craindre des démarches eugénistes insensées, à rebours des idéaux fondateurs de la médecine. La transformation sous nos yeux de l’Agence de biomédecine en supermarché de poupons, sous une couverture éthique, masque difficilement les intérêts mercantiles en jeu.»

 

Jacques Testart s’inquiète également : « Malgré l’opacité sur ces pratiques, malgré  les risques physiques encourus par les donneuses et les risques psychologiques pour les enfants délibérément privés de racines, l’ABM avalise cette situation et prétend la favoriser par sa publicité. On peut considérer cette opération comme un abus démocratique ».

 

Le mot d’ordre « transparence », répandu lors de journées de l’ABM, semble en partie laissé de côté : « Il y a ici transparence dans le sens où l’on cherche à lever des tabous qui sont essentiel à la structure de la société. C’est même à certains égards une campagne  de désinformation qui fait sauter à torts des garde-fous posés jusque-là pour contenir les risques potentiels de pratiques auxquelles il est essentiel de conserver une forme de marginalité, indépendamment de tout jugement moral », analyse Claire Bouglé-Leroux.

 

[1] Inspection générale des Affaires Sociales

[2] Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains

[3] Cf. Gènéthique du 26 mai 2015

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