The Lancet publie cette semaine un article1 qui anime la communauté scientifique, en particulier les chercheurs qui s’intéressent au potentiel des cellules souches. En effet, l’équipe de Robert Lanza du Advanced Cell Technology (ACT) vient de parvenir pour la première fois à conduire au succès un essai clinique de phase I qui utilise des cellules souches embryonnaires (CSEh) dans une perspective thérapeutique. Cette avancée technique arrive après plus de 15 ans de recherche sur les cellules embryonnaires. Cependant elle n’éclipse pas l’importance de l’essai clinique en cours au Japon qui porte lui aussi sur l’œil et utilise les cellules souches iPS, bien plus récentes et qui ne nécessitent pas la destruction d’embryons.
Une avancée …
Il y a deux ans, les auteurs de cet essai clinique sur les CSEh avaient produit une publication qui concernait deux cas. Depuis ils n’avaient rien publié, attendant d’avoir une série complète : la publication de cette semaine porte sur 19 patients. L’étude rapporte essentiellement les résultats suivants :
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pas d’effets secondaires, de cancer, ou de rejet des cellules rétiniennes injectées – on peut noter que ce résultat est probant sans être pour autant surprenant puisqu’il s’agit d’insertions dans une zone qui ne peut pas engendrer de réaction immunitaire
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une amélioration après six mois dans la moitié des cas: chez 4 patients sur 9 atteints de DMLA
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une amélioration également dans la moitié des cas de maladie de Stargardt, par rapport à l’œil non traité.
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quelques problèmes secondaires liés à l’intervention chirurgicale elle-même
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le développement d’une cataracte dans quatre cas
Ainsi, les résultats sont probants, mais les améliorations observées ne touchent que la moitié des patients et sont minimes. Ceci tient en partie au fait qu’il s’agit d’un essai de phase I impliquant que le dosage des cellules injectées demeure restreint avant son optimisation en phase II, potentiellement plus significative.
… qui appelle des explications nuancées
Pour le spécialiste mondialement reconnu Paul Knoepfler, bien qu’il s’agisse d’une étude très encourageante pour l’ensemble de la recherche sur les cellules souches, ces résultats sont quelque peu « surprenants en termes d’efficacité potentielle. » Pour lui, il se pourrait que les bénéfices observés ne soient pas directement liés aux cellules injectées en elles-mêmes. En effet, « la principale cause de déficience visuelle liée à une dégénérescence maculaire n’est en principe pas due à une perte d’épithélium pigmentaire de la rétine, mais plutôt à celle des photorécepteurs de ces cellules. Ainsi, comment la transplantation de cet épithélium [recréé à partir de CSEh] (et à des doses cellulaires relativement faibles pour la plupart) pourrait-elle potentiellement améliorer la vision ? La théorie du moment semble être que ces cellules pourraient aider les photorécepteurs restants à rester en vie, sains, et peut-être plus fonctionnels. »
Par ailleurs, Jennifer Couzin Frankel et Kelly Servick abondent dans ce sens dans la revue de référence Science et ajoutent que « Lanza a pris soin de souligner que, pour des raisons éthiques, l’étude n’avait pas pu inclure de groupe témoin qui aurait reçu la même chirurgie sans transplantation des cellules ».
Une avance de circonstance pour les CSEh qui n’éclipse pas la dynamique des cellules iPS
Ce premier essai probant pour les CSEh arrive après 16 ans de recherche mondiale sur ces cellules [les CSEh ont été découvertes en 1998 par James Thomson ; les CSE de souris ont été isolées en 1981] et leurs applications thérapeutiques potentielles. Les iPS découvertes par le Pr nobélisé Yamanaka il y a seulement 7 ans, en sont déjà à ce même stade d’essais cliniques.
Par ailleurs, si l’essai de l’équipe de Lanza est intéressant, il est pour l’heure relativement isolé quand au moins 10 essais cliniques portant sur l’utilisation à visée thérapeutique de cellules iPS sont en attente de validation.
1 Human embryonic stem cell-derived retinal pigment epithelium in patients with age-related macular degeneration and Stargardt’s macular dystrophy: follow-up of two open-label phase 1/2 studies (2014) Steven D Schwartz, Carl D Regillo, Byron L Lam, Dean Eliott, Philip J Rosenfeld, Ninel Z Gregori, Jean-Pierre Hubschman, Janet L Davis, Gad Heilwell, Marc Spirn, Joseph Maguire, Roger Gay, Jane Bateman, Rosaleen M Ostrick, Debra Morris, Matthew Vincent, Eddy Anglade, Lucian V Del Priore, Robert Lanza. Consultable et téléchargeable via le lien suivant : http://download.thelancet.com/flatcontentassets/pdfs/S0140673614613763.pdf