Le Monde 2 publie un entretien d’Alfred Spira, professeur d’épidémiologie et de santé publique et chercheur à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), à propos du déclin du nombre de spermatozoïdes produits par un homme.
En moyenne, un homme occidental produit moitié moins de spermatozoïdes que son grand-père au même âge. Les premières observations de cette diminution remontent au XVIIème siècle mais c’est en 1992 qu’une équipe danoise a jeté "un pavé dans la mare". Selon cette étude, on serait passé, en 50 ans (entre 1940 et 1990), de 100 à 50 millions de spermatozoïdes par millilitre.
On constate par ailleurs de plus en plus de modifications de l’appareil génital masculin. Ainsi, le nombre de cancer du testicule augmente entraînant une diminution de la fertilité chez ceux qui en sont atteints. On observe aussi des cryptorchidies (absence de descente des testicules dans le scrotum après la naissance), hypospadias (malformation du pénis), etc.
Mais, si 15 à 20% des couples éprouvent des difficultés à concevoir, la diminution du nombre des spermatozoïdes n’en serait pas responsable parce qu’un nombre très faible suffit.
Cet appauvrissement du sperme s’expliquerait par l’hypothèse environnementale. En Angleterre, une étude a montré que les truites de rivière, hermaphrodites, se féminisent au contact de l’eau rejetée par les usines de traitement des eaux usées qui contiennent des produits chimiques et des produits de dégradation de médicaments. En Floride, on a remarqué un rapetissement du pénis des alligators du lac Apopka, où des insecticides avaient été déversés par inadvertance.
Chez l’homme aussi les produits chimiques sont mis au banc des accusés : "il s’agit d’une hypothèse parmi d’autres, mais sûrement la plus étayée et la plus sérieuse". "Depuis 1992, on a formulé l’hypothèse qu’une pollution chimique perturbant le système endocrinien (hormonal) à certains moments de l’existence, en particulier durant la vie intra-utérine, pouvait modifier le fonctionnement de l’appareil reproductif masculin. (…) Ce sont les "perturbateurs endocriniens" qui sont en cause, c’est-à-dire tous les produits chimiques qui "miment" l’action des hormones et perturbent le fonctionnement endocrinien normal. Si un fœtus de sexe masculin est exposé à des produits qui miment les hormones féminines, cela déclenche des troubles du développement du système reproducteur et peut avoir des effets à très long terme, qu’on ne décèlera qu’après la naissance ou la puberté".
La liste des substances chimiques mise en cause est longue : solvants organiques (acétone, benzène, méthanol…), d’éthers de glycol, de pesticides, de dioxines et de furannes, d’organochlorés et organophosphorés, de phtalates, de phyto-oestrogènes, de myco-oestrogènes… Certaines habitudes de vie sont aussi dénoncées comme la consommation de tabac, de marijuana, d’alcool, ou bien l’obésité et le stress.
Alfred Spira constate que d’énormes progrès ont été faits pour comprendre les mécanismes de reproduction alors qu’on ne s’est pas attaché à comprendre pourquoi un couple n’arrive pas à concevoir.
Le Monde 2 (Paul Benkimoun, Pascale Krémer) 07/04/07