Règlement SoHO : l’Union européenne encourage discrètement un marché de l’embryon

Publié le 2 Mai, 2024

Le 14 juillet 2022, la Commission européenne a proposé un nouveau règlement consacré aux « substances d’origine humaine », notion créée à cette occasion (Substances of Human Origine – SoHO) (cf. « Substances d’origine humaine » : un nouveau règlement européen). L’objectif est d’harmoniser les règles européennes qui régissent ces « substances », qui visent des réalités très diverses, par l’adoption d’un règlement appliqué de la même manière par tous les Etats membres. Le Parlement européen a adopté ce règlement le mercredi 24 avril 2024, par 461 voix pour et 56 contre. Un vote salué par l’Agence de la biomédecine, comme « le fruit de trois ans de travail pour l’Agence et ses partenaires », « un beau pas en avant pour les patients, les professionnels de santé et l’Europe ».

Une harmonisation européenne de la sécurité bénéfique en matière de santé publique

Jusqu’à présent, les « substances d’origine humaine » étaient régies par des directives européennes, qui laissaient aux Etats membres une marge de manœuvre dans l’application au niveau national. Ces directives concernaient respectivement le sang, les tissus et les cellules, et les organes. Le présent règlement a pour objectif d’harmoniser les règles qui concernent le sang, les tissus et cellules dans l’Union européenne. La directive relative aux organes n’est, elle, pas concernée.

Pour ce faire, une nouvelle notion a été créée : les « substances d’origine humaine ». Elles visent « toute substance prélevée du corps humain de quelque manière que ce soit, qu’elle contienne ou non des cellules et que ces cellules soient vivantes ou non » (à l’exception des organes). Outre le sang, les tissus et cellules, le règlement vise donc aussi les gamètes et les cellules issues d’embryons humains[1].

L’harmonisation vient contraindre les Etats membres en la matière. En effet, la Commission européenne a constaté que la divergence des législations des Etats membres de l’Union européenne était un « frein » pour les échanges transfrontaliers puisque les exigences de qualité et de sécurité divergeaient suivant les pays. En découle, selon la Commission, une pénurie de « substances », et donc une violation des droits des patients, qui devraient y avoir accès. En harmonisant les règles de sécurité en matière de santé publique, l’Union européenne souhaite pallier la pénurie de tissus et de cellules et améliorer l’accès des patients à ces « substances », en garantissant la sécurité, la qualité et la traçabilité des échanges intra-européens.

De fait, une grande rigueur est nécessaire dans l’échange des tissus et des cellules. Sans cela, des maladies pourraient « voyager » en Europe, créer des réactions indésirables, des affections génétiques portant atteinte aux patients donneurs et receveurs. Par ailleurs, l’UE vient, dans cette proposition, réaffirmer le principe de gratuité, fondamental dans l’échange des produits humains. Renforcer ces règles ne peut donc être que bénéfique. En ce qui concerne la procréation médicalement assistée, directement touchée par ce règlement, les nouvelles règles de traçabilité permettront un meilleur accès aux origines pour les personnes issues de don de gamètes intra-européen.

La légitimité de l’UE en matière de santé publique

En matière de santé publique, l’UE possède deux types de compétence.

D’une part, des compétences partagées dans les « enjeux communs de sécurité en matière de santé publique »[2] : dans ce cas, les Etats membres légifèrent si l’UE ne l’a pas fait. C’est sur cette compétence que se fonde le règlement dit SoHO.

D’autre part, de simples compétences d’appui, dans la « protection et l’amélioration de la santé humaine »[3]. L’UE ne légifère que pour appuyer les actions des Etats, sans harmonisation.

Théoriquement donc, le règlement « ne devrait pas interférer avec une législation nationale en matière de santé qui poursuit des objectifs autres que la qualité et la sécurité des substances d’origine humaine »[4]. Il s’agit notamment des aspects éthiques que peuvent poser « l’utilisation ou la limitation de l’utilisation de types spécifiques de substances d’origine humaine ou des utilisations spécifiques de substances d’origine humaine, y compris les cellules reproductrices et les cellules souches embryonnaires ». Mais lorsqu’un Etat autorise l’utilisation des cellules souches embryonnaires humaines, l’UE impose l’application pleine et entière du règlement SoHO. Ainsi, « si un Etat membre choisit d’autoriser une nouvelle pratique particulière susceptible de soulever des questions d’ordre éthique (telles que le contrôle ou la conservation d’embryons), la sécurité et la qualité de cette pratique sont alors régies par la législation de l’UE sur les substances d’origine humaine »[5].

La banalisation de l’embryon humain

A première vue, il n’y a pas de changement flagrant de législation sur l’embryon humain. Pour mémoire, la législation française autorise déjà l’utilisation des gamètes, des embryons et de ses cellules souches. Néanmoins, le règlement SoHO est dangereux, et ce à plusieurs titres.

D’une part, en créant une notion de « substances d’origine humaine », commune au sang, aux tissus et aux gamètes et cellules embryonnaires, l’Union européenne acte la banalisation de l’embryon humain.

D’abord, les gamètes sont considérés comme des substances banales, à l’instar du plasma, du lait maternel, du microbiote intestinal. C’est refuser de voir dans les gamètes un produit tout particulier du corps humain.

Mais le règlement va plus loin en y intégrant aussi les cellules embryonnaires humaines, dont la nature embryonnaire est totalement occultée.

Enfin, l’embryon lui-même, issu de la « transformation » des substances d’origine humaine par « fertilisation » selon l’article 6, 15° de la proposition de règlement, est soumis au même régime que ces « substances d’origine humaine ». Le règlement SoHO réduit la dignité de l’embryon en l’assimilant à une quelconque substance. L’embryon est chosifié, ainsi que ses cellules, et dépourvu de toute protection spécifique à son statut : être humain tout juste conçu, digne de respect. A titre d’exemple, le règlement traite sans distinction des « donneurs de sang, de tissus et de cellules ainsi que les enfants nés de dons d’ovules, de sperme ou d’embryons »[6].

En réalité, la logique aurait voulu au moins que les gamètes et les embryons intègrent la directive régissant les organes. Les intégrer dans les « substances d’origine humaine », c’est nier la dignité des embryons et la spécificité des gamètes, et l’imposer aux Etats membres. Alors que la Convention d’Oviedo, en 1997, laisse aux Etats le soin de légiférer sur le statut de l’embryon, dans SoHO, aucune liberté n’est laissée aux Etats. L’embryon et ses cellules sont des substances comme toutes les autres.

L’embryon au cœur d’un marché européen

D’autre part, en favorisant les échanges des tissus et autres « substances », dont les gamètes, cellules embryonnaires et embryons, l’Union européenne déploie un marché de l’embryon.

Qu’il s’agisse de l’industrie de la procréation, ou de l’industrie pharmaceutique, le nouveau règlement ne fera que développer les échanges des gamètes et cellules embryonnaires. C’est d’ailleurs l’objectif affiché de la Commission : elle pointe du doigt la pénurie de « substances d’origine humaine », et force est de constater que les donneurs de gamètes ne sont pas suffisants pour l’ampleur de l’industrie procréative. L’ambition de l’UE n’est pas démentie : il s’agit de combler la pénurie, en favorisant les échanges transfrontaliers, pour alimenter les laboratoires de procréation et pharmaceutiques : « garantir la sécurité et la qualité pour les donneurs de substances d’origine humaine et pour les enfants nés de dons d’ovules, de sperme ou d’embryons ; faciliter la mise au point de thérapies SoHO innovantes, sûres et efficaces ; améliorer la résilience du secteur, en atténuant le risque de pénurie » est-il précisé dans l’exposé des motifs[7]. Plus haut, la Commission souligne aussi la pression exercée par les « entreprises commerciales (telles que les banques d’ovules pour la fertilisation in vitro, ou les collecteurs de plasma pour la fabrication de médicaments) »[8]. Difficile de ne pas y voir des enjeux financiers considérables pour ces laboratoires et entreprises.

Inutile de nier, dès lors, la complicité de l’UE dans le développement d’un marché de l’embryon, voire même une incitation. Et nonobstant la réaffirmation du principe du don volontaire et non rémunéré (inscrit dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE à travers l’obligation de la non-commercialisation du corps humain), la facilitation de ces échanges ne fait qu’accroître la commercialisation de l’embryon.

 

[1] Article 2 du règlement

[2] Article du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)

[3] Article 7 TFUE

[4] Considérant 16 de la proposition de règlement

[5] Page 4, 2 Base juridique, subsidiarité et proportionnalité, 1er point

[6] Exposé des motifs, Page 1, 1 Contexte de la proposition, 3ème point

[7] page 7, 1er point, 5°

[8] Exposé des motifs, Page 6, 3°

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