Mardi 4 juin, les débats se sont concentrés sur l’article 5 du projet de loi qui définit l’« aide à mourir » et pose le principe de sa légalisation en France. Un article clé. Les premiers échanges ont essentiellement porté sur les prises de position de chacun face à cet article. La sémantique était au rendez-vous de cette septième journée de débats. Loi d’exception, droit de créance ont tour à tour été invoqués. Les propositions n’ont pas manqué, et les divergences ont été marquées face à la légalisation du fait de tuer autrui.
La loi du « un pour tous »
Les avis divergent sur l’utilité d’une nouvelle loi. Quand certains estiment que quelques cas sont suffisants pour écrire une loi, d’autres affirment que la loi ne s’écrit pas pour les exceptions.
Emmanuelle Ménard (NI) parle des dérives que cela implique : « Une loi d’exception peut tout à fait devenir autre chose et devenir un poids pour les personnes âgées ». Patrick Hetzel (LR) craint également « l’effet domino » que peut entrainer une telle loi, notamment sur les plus vulnérables (cf. Fin de vie : attention au message envoyé aux personnes vulnérables). Pierre Dharréville (GDR – NUPES) estime, lui, que cela « ne concernera pas une petite partie de la population ». C’est l’un des risques selon lui de ce projet de loi.
La rapportrice Caroline Fiat (LFI – NUPES) de son côté revient sur son expérience en tant que soignante et s’interroge : « que faire quand une demande, même minime, de certaines personnes ne peut pas être satisfaite ? » Elle est soutenue dans ce propos par Marie-Noëlle Battistel (Socialistes et apparentés). « Il existera toujours des situations insupportables, peu nombreuses, mais inacceptables » explique la députée. Des avis rejoints par celui du rapporteur général, Olivier Falorni (Démocrate) : « J’ai entendu parler de loi d’exception, je crois qu’il faut faire preuve de la plus grande humilité, elle concerne un nombre très exceptionnel de malades, mais pour autant elle nous concernera potentiellement nous tous et nous toutes ». Plus tard dans la soirée, le député républicain Aurélien Pradié prendra la parole dans ce sens en ajoutant : « Ce qui mérite d’être traité c’est l’agonie, parce que l’agonie ce n’est plus la vie ».
Dominique Potier (Socialistes et apparentés) revient sur certains propos des rapporteurs qu’il conteste. « Lorsque vous dites “quand la vie n’en est plus une”, cela témoigne d’une carence profonde d’égalité et de fraternité. Nous rentrons dans une nouvelle norme sociale » prévient-il. La députée RN Christine Loir s’est également exprimée à ce sujet dans son argumentaire pour supprimer l’article 5 du projet de loi. « Comme société et comme législateur, nous avons le devoir fondamental de protéger et de préserver la vie humaine dans toute sa diversité et sa fragilité » insiste-t-elle contre l’avis des promoteurs de l’euthanasie.
Les amendements de suppression de l’article 5 ont finalement tous été rejetés avec 41 voix pour et 114 contre.
Un député RN change de position
La suite des débats a donné l’occasion à un député RN, Frédéric Cabrolier, d’expliquer qu’il a changé d’avis sur le projet de loi sur la fin de vie. « Au début j’étais pour parce que pour moi la liberté est une valeur au-dessus de tout, pour moi la liberté des uns n’entrave pas celle des autres. » Puis il poursuit et témoigne : « J’ai consulté, notamment un collectif de médecins qui m’a demandé “ne nous mettez pas en porte-à-faux” ». C’est pour cela qu’il considère qu’« aujourd’hui c’est un changement de paradigme ».
Il poursuivi en rappelant son appartenance au groupe d’amitié France Québec. La légalisation de l’euthanasie en 2016 qui s’est élargie en 2021 aux personnes handicapées a également contribué à le faire changer d’avis (cf. Fin de vie : « Le Canada a fait des personnes handicapées une catégorie de personnes pouvant être tuées »).
Côté sémantique, les députés ont redoublé de propositions
Dans la soirée, c’est dans un hémicycle vide et marqué par la fatigue que les députés ont poursuivi l’examen de l’article 5 du projet de loi.
Pendant trois heures les députés ont successivement présenté leurs amendements. La plupart de ceux-ci avaient pour but de supprimer ou de restreindre cet article. Certains proposent notamment de modifier le terme « aide à mourir » et de préférer les termes suicide assisté et euthanasie. « Les seuls termes sur lesquels on se comprend » a souligné Astrid Panosyan-Bouvet (Renaissance). Dans le même sens, Sandrine Dogor-Such (RN) propose d’utiliser le terme de « mort programmée », qui a le mérite d’être collé à la réalité. Christophe Bentz (RN) utilise quant à lui les formules de « suicide assisté » et de « suicide délégué ».
La question de la sémantique avait également été évoquée plus tôt dans la soirée. Un député a proposé l’expression « interruption volontaire de l’énergie vitale » à la place de l’« aide à mourir », car elle serait moins douloureuse en évitant le mot « mourir ». Tant de précautions qui ne masqueront pas la réalité, celle de la mise à mort programmée, la mort administrée à une personne.
Yannick Neuder (LR) profite des débats pour tenter de limiter le projet de loi dans le temps en proposant une « application expérimentale de deux ans ». Cela provoque une vive réaction de Danielle Simonnet (LFI – NUPES) qui s’est dit choquée de laisser des patients dans une telle attente et incertitude pour mourir.
Enfin, Philippe Juvin (LR) amorcera la discussion sur la suppression de l’euthanasie pour préserver les tiers, principalement les médecins, d’une participation à l’acte létal. Les prises de paroles ont été nombreuses et la rapportrice Laurence Maillart-Méhaignerie (Renaissance) comme la ministre, appuyées encore une fois par Danielle Simonnet, ont plaidé « l’égalité des droits des malades, entre ceux qui ont la capacité de s’administrer le produit et ceux qui ne le peuvent pas ». C’est donc à ce titre « d’égalité » pour se tuer que les députés ont voté en faveur du suicide assisté et de l’euthanasie dans le modèle à la française, sans toutefois utiliser ces mots.
L’euthanasie comme un « droit à » ?
Les promoteurs de l’euthanasie n’ont pas été en reste ce soir. On note par exemple l’argumentation de Frédérique Meunier (LR) pour ériger un « droit conditionné » à mourir « comme pour l’IVG ». Elle s’allie là avec les socialistes qui appuient son amendement et l’idée de « droit à ».
Une idée qui fait échos aux alertes de Patrick Hetzel, Thibault Bazin (LR), Dominique Potier ou encore Pierre Dharréville en début de soirée qui avaient expliqué combien l’esprit du texte donnait lieu à un « droit créance », ce que tous avaient alors réfuté en invoquant la clause de conscience. La ministre Catherine Vautrin coupe court ici aussi pour défendre l’idée, non pas d’un « droit à mourir », mais d’une « liberté à mourir ». Les députés la suivront, mais les soignants ne seront sans doute pas du même avis (cf. Projet de loi fin de vie : les soignants ont l’impression de se « faire marcher dessus »).
La députée Geneviève Darrieussecq (Démocrate) interpelle ses collègues concernant les professionnels de santé. « Pour faire adhérer la communauté médicale à l’aide à mourir il faut reconnaître que ce n’est pas un soin » précise l’élue qui ajoute que tout changerait si cette précision était faite. Un amendement sera déposé en ce sens. « La substance létale ne doit être délivrée que par les soignants qui sont volontaires » souligne la députée.
Un sentiment d’absurdité
Enfin, alors qu’elle avait été exclue vendredi (cf. L’« aide à mourir » exclue des directives anticipées, pour le moment), la question de l’intégration de l’« aide à mourir » dans les directives anticipées a également occupé à nouveau longuement les débats du soir. Une question portée, entre autres, par Frédérique Meunier. « Une logique implacable » admet Marc Le Fur (LR), tout en alertant avec ses autres collègues Annie Genevard (LR), Justine Gruet (LR) et Philippe Juvin sur le fait que « la demande de mort est par nature fluctuante ». Là encore la ministre, tel un automate qui récitait son projet de loi, a rappelé que l’article 11 prévoit la nécessité de réitérer son consentement au moment de l’administration du produit létal. Elle a logiquement émis un avis favorable, suivi par la majorité des députés. L’amendement a été rejeté.
Mardi, tous les votes ont donné lieu à des scrutins publics.
En ce septième jour, l’écoute des débats laisse un sentiment d’absurdité profonde, de surréalisme. Les députés discutent de qui, quand, et comment tuer autrui dans les meilleures conditions possibles. Les argumentations sont très faibles du côté des promoteurs du texte, et l’utilisation « compassionnelle » des notions de « souffrance », d’« abandon », de « droits », ou de « volonté » sonne faux. On peut d’autant plus saluer les députés de l’opposition qui, fidèlement, sont présents pour défendre à la fois l’évidence et une société humaine ancrée, protégée par l’interdit de tuer.