L’article 5 du projet de réforme de la justice « prévoit d’attribuer aux seuls notaires le recueil du consentement d’un couple souhaitant recourir à la procréation médicalement assistée, en cas de recours à un tiers donneur ». Débattu mercredi en première lecture à l’Assemblée, cet article a fait l’objet d’un vif débat dans l’hémicycle : « Il paraît prudent d’attendre » la révision des lois de bioéthique, a lancé Thibault Bazin, « à l’unisson de plusieurs collègues LR », face aux députés LREM qui ont dans l’idée de « simplifier » des « éléments de procédures » qu’ils ne considèrent pas faire partie de la loi de bioéthique. « On anticipe un débat qui n’a pas encore eu lieu », a de son côté déclaré la députée Emmanuelle Ménard, accusant le gouvernement de vouloir « désengorger les tribunaux au détriment de l’intérêt de l’enfant ».
Le recueil de consentement en question est actuellement possible à la fois par un juge et par un notaire. Ceux-ci « doivent informer le couple des conséquences de l’acte au regard de la filiation: celui qui a donné son consentement et ne reconnaît finalement pas l’enfant voit sa paternité judiciairement déclarée ». La ministre de la Justice souhaite attribuer cet acte au seul notaire dans le but de « recentrer le juge sur la plus-value qu’il peut apporter dans d’autres dossiers »[1]. Mais les députés républicains rappelle que « le juge peut ordonner une enquête, apprécier la qualité d’un témoignage, à l’inverse d’un notaire ».
De leurs côtés, les députés Insoumis et communistes se sont aussi opposés à cet article pour une question de coût : « On va rendre payantes des choses auparavant gratuites »[2]. Philippe Gosselin, Républicain, a renchéri en s’étonnant que soit exonéré des droits d’enregistrement les seules personnes ayant recours à la PMA.
Cet article 5 a finalement été adopté en première lecture à l’Assemblée.
Note Gènéthique : Retrouvez d’autres extraits des prises de parole des députés :
Philippe Gosselin : « Nous allons vivre une période intermédiaire entre le vote du projet de loi et les changements qui interviendront éventuellement dans quelques mois. Mieux vaudrait, pour assurer la sécurité juridique dans la durée, ne pas modifier les dispositions actuelles (…) Nous nous penchons aujourd’hui, au-delà d’actes de notoriété qui ne concernent que quelques dizaines de personnes ou de reconstitutions d’état civil, sur un vrai sujet. En l’état actuel des choses, ce sont quelque 3 000 personnes qui sont concernées, soit environ 1 500 pour ce qui est des notaires. Mais si l’on anticipe une évolution possible du recours à la PMA, beaucoup plus de gens seront concernés et l’on arrivera sans doute à des sommes beaucoup plus importantes. Ce sont des éléments qu’il faut avoir en tête si nous voulons statuer en connaissance de cause. Ces questions sont loin d’être aussi simples qu’on veut bien nous le dire ».
Emmanuelle Ménard : « Si je comprends qu’il faille simplifier la démarche pour les couples, je pense néanmoins que le juge a un rôle essentiel à jouer dans cette procédure, qui ne vise pas autre chose que l’intérêt de l’enfant. L’objectif est en effet de garantir à l’enfant issu de cette technique le lien de filiation le plus stable possible. Ainsi, une fois le consentement donné et la PMA effectuée, le père putatif ne peut pas refuser de reconnaître l’enfant, même s’il n’en est pas le père biologique. C’est pourquoi l’intervention du juge est intéressante. D’ailleurs, ce dernier ne s’occupe pas exclusivement des contentieux : il peut également statuer sur certaines procédures dans lesquelles il n’y a pas litige. Certes, le notaire peut sembler indiqué, notamment par sa fonction de conseil dans certaines affaires familiales. Toutefois, sa relation est aussi, on ne peut le nier, celle d’un prestataire face à des clients, contrairement au juge, qui est le garant de l’intérêt de l’enfant. Celui-ci doit conserver son rôle auprès des couples souhaitant bénéficier d’une PMA avec donneur. Certains y verront une complication. Pour moi, c’est surtout la condition d’un accompagnement adéquat de ces couples. Dernière chose, qui n’est pas un détail me semble-t-il : le Conseil d’État a mis en garde le Gouvernement, en avril dernier, affirmant que ‘la perspective prochaine d’une réforme de la loi sur la bioéthique rend prématuré un choix que les travaux préparatoires à cette réforme et les débats parlementaires pourraient contredire ou aménager’. C’est pourquoi je demande la suppression de ce dispositif, qui anticipe un débat qui n’a pas encore eu lieu. »
« En cas d’échec des techniques de procréation médicalement assistée, un couple peut bénéficier du don d’un embryon conçu dans le cadre d’une PMA par un autre couple et qui ne fait plus l’objet d’un projet parental. Pour pouvoir procéder à cet accueil d’embryon, le couple doit obligatoirement en exprimer le consentement auprès du juge. La procédure est actuellement différente dans le cas d’une procréation médicalement assistée avec l’intervention d’un tiers donneur : le couple a alors le choix entre le juge et le notaire pour exprimer son consentement. Or, il me semble que ces deux procédures soulèvent des enjeux similaires en matière de filiation et qu’à ce titre, le juge est le légitime garant de l’intérêt de l’enfant. Aujourd’hui, le don de gamètes est présenté comme un simple don de sang ou d’organes. Pourtant, de nombreux témoignages d’enfants issus de ce qu’ils appellent des ‘procréations médicalement anonymes’ nous montrent bien que le don de gamètes est, en réalité, loin d’être anodin. L’enfant doit accepter une sorte de double paternité, entre le père qui l’a reconnu, qui l’éduque, et un père biologique anonyme. Face à cette décision importante, les couples doivent être accompagnés le plus étroitement possible, et pas seulement par les équipes médicales – puisque les enjeux soulevés ne sont pas seulement médicaux – mais aussi par la justice. Le juge apprécie une situation alors que le notaire ne fait que l’enregistrer. C’est pourquoi, dans le cadre d’une PMA avec intervention d’un tiers donneur, je crois qu’il serait plus pertinent de s’inspirer de la procédure d’accueil d’un embryon, en confiant uniquement au juge la responsabilité de recevoir les consentements des couples. L’enjeu de cet amendement est bien de s’assurer que le consentement des couples est le plus avisé possible et que l’intérêt de l’enfant est protégé. »
[1] « Sur les quelque 3.000 PMA chaque année, la moitié des consentements sont recueillis par le juge actuellement ».
[2] « Les députés ont prévu une exonération des droits d’enregistrement, mais pas des honoraires des notaires. »
AFP (21/11/2018)