Quand la séance reprend mercredi à 16h30, l’ambiance est électrique. Les trois ministres sont présents : Adrien Taquet, secrétaire d’état chargé de l’enfance et des familles, pour le ministère de la santé, Eric Dupond-Moretti, garde des sceaux, et Frédérique Vidal, ministre en charge de la recherche. Le président de séance appelle au silence et à la discipline, mais les sénateurs semblent sous le choc de leur audacieuse prise de position de la veille : ils ont purement et simplement rejeté l’article 1 qui prévoyait l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires.
L’accès aux origines
Sans attendre, ils débattent de l’accès des personnes nées d’une AMP avec tiers donneur à des données non identifiantes et à l’identité du donneur à leur majorité. Comme en première lecture, ils refusent d’en faire une obligation pour le donneur et le soumettent à son accord. Par ailleurs, ils décident d’encadrer « le traitement de données opéré par le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP) dans le cadre de sa nouvelle mission d’intermédiation auprès des personnes issues d’une AMP avec tiers donneur ».
La filiation
L’article 4 sur la filiation fait débat. Les sénateurs ont balayé l’article 1, mais celui-ci reste soumis à une deuxième délibération en raison de contestations liées au vote final de la PMA post-mortem. Certains veulent repousser la discussion. La Commission refuse de céder. Les sages rétabliront le mode filiation par adoption pour la femme qui n’a pas accouché. Une formule qui permet d’« utiliser les outils du droit existant », comme l’explique Martine Berthet (LR), de ne pas toucher au droit de la filiation, qui correspond « au cas de plus de 99% des enfants qui naîtront en France », ajoute Muriel Jourda (LR), rapporteur de la Commission spéciale de bioéthique.
La GPA
« L’enfant fantôme n’existe pas », affirme Bruno Retailleau (LR), celui-ci ayant un état civil, celui qui a été établit à l’étranger. Concernant l’article 4bis sur la GPA, le Sénat et le gouvernement vont trouver un accord et interdisent la retranscription intégrale de l’acte de naissance d’un enfant né par GPA sur les registres d’Etat civil. En ce sens, la loi veut revenir sur la décision récente de la Cour de cassation qui a accepté de retranscrire la double filiation paternelle et maternelle de jumelles nées de GPA. Muriel Jourda, rapporteur de cette partie du texte explique que « c’est le législateur qui fait la loi et la Cour doit appliquer le texte ». Elle sera suivie en ce sens par le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti et Bruno Retailleau qui renchérit : « Ce n’est pas à la jurisprudence de dire le droit ». Muriel Jourda demande que la transcription à l’état civil soit conservée pour le parent biologique, souvent le père dans le cadre d’une GPA, mais l’autre parent devra passer par l’adoption. Elle précise que la transcription automatique n’apporte pas de sécurité supplémentaire à l’enfant et qu’elle souhaite éviter une « fraude au droit français ». Une position qui emportera l’adhésion du Sénat.
Consentement présumé au don d’organes
En autres articles, les sénateurs repousseront une tentative qui devait soumettre les majeurs protégés au don présumé d’organes post-mortem, ceux-ci n’ayant la capacité ni d’accepter ni de s’opposer au don. L’objectif clair, et néanmoins cynique, étant de pallier la pénurie d’organes. Le supplément de greffons disponibles est évalué à 80 soit 2% du total.
Tests génétiques « récréatifs »
Ils évoqueront l’épineuse question des données de santé et celles de tests génétiques à vocation généalogique dits « récréatifs ». Elisabeth Doineau (UDI) demande que soit mis « fin à une interdiction virtuelle » de ces tests génétiques en France. Elle estime que « cette recherche des origines est une quête de notre société » et déplore qu’on puisse « être démarché outrageusement aujourd’hui », des sociétés profitant « d’un marché international ». Adrien Taquet va défendre le régime actuel, l’estimant « plus protecteur ». Pour le secrétaire d’état, ce type de tests n’est pas sans risques : rassurer à tort, bouleverser certaines familles, plonger dans le désarroi quand l’information médicale est délivrée sans accompagnement. De même, la ministre de la recherche estime que « ça n’est pas parce que quelque chose se fait ailleurs que nous sommes obligés de l’autoriser » en France. Un argument qui coupe le souffle tant on aimerait l’entendre plus souvent. C’est un véritable chiffon rouge qui est agité à tort et à travers pour faire avaler les dérives bioéthiques les plus variées de l’IVG à la fin de vie. Le Sénat quant à lui, ne lèvera pas l’interdiction.
Les articles sont souvent adoptés en dépit des avis du gouvernement, soulignant le profond fossé qui sépare sénateurs et députés. A ce stade, il est peu probable qu’un consensus soit trouvé entre les deux chambres et le dernier mot reviendra à l’Assemblée nationale. Que garderont-t-ils de l’avis des sages ?
Et l’embryon dans tout ça ?
La soirée a été consacrée aux sujets plus bioéthiques : la recherche sur l’embryon, la création d’embryons transgéniques et chimériques, le tri des embryons (DPI-A et DPI-HLA), l’interruption médicale de grossesse. Les débats sont peu passionnés, on pressent une certaine lassitude de ces enjeux qui paraissent surréalistes.( Cf. Loi de bioéthique : l’embryon humain en danger)
La recherche sur l’embryon
Et pourtant la création de gamètes artificiels, de modèles embryonnaires, la recherche sur l’embryon jusqu’à 14 jours de vie, la mise à disposition des cellules souches embryonnaires (régime de recherche déclaratif) qui nécessitent, pour les obtenir, la destruction d’un embryon, vont avoir une application directe et concrète dans le secret des laboratoires. Mr Reichard s’y oppose fermement : « Doit-on tout autoriser sous couvert scientifique ? S’agit-il de servir l’homme, ou la science ? Les chercheurs ne deviennent-ils pas des apprentis sorciers lorsqu’ils manipulent des cellules-souches humaines et animales ? Poser la question, c’est y répondre, et pour ma part, je voterai contre les amendements rétablissant le texte de l’Assemblée nationale. » Guillaume Chevrollier rappelle quant à lui leur responsabilité : « La manipulation de l’embryon est un sujet fondamental. Même si je fais confiance au discernement et à l’éthique de nos chercheurs, il appartient au législateur d’encadrer ces recherches. »
Les sénateurs réussiront au moins à rejeter la création d’embryons transgéniques et chimériques.
Le tri des embryons en éprouvettes
Pour ce qui concerne le tri des embryons, le DPI-A n’est pas réintégré et n’a pas été un sujet, ce qui est une réelle victoire.
En revanche l’extension du DPI-HLA a été adopté : les couples qui feront ce double DPI pourront créer autant d’embryons que de besoin jusqu’à trouver celui indemne de la maladie héréditaire et compatible avec le frère ou la sœur en attente d’une greffe. Une disposition qui met mal à l’aise tant la disproportion saute aux yeux. Des trentaines d’embryons pourront être créés, puis jetés pour tenter une technique lourde et dont la réussite est rare. A nouveau Guillaume Chevrollier tente d’éveiller les consciences : « Faire naître un enfant pour en sauver un autre, ce serait le considérer comme un moyen et non une fin. » Mais en vain.
L’interruption médicale de grossesse
Enfin, l’interruption médicale de grossesse pour détresse psychosociale est bien retoquée par les sénateurs, mais le débat fait froid dans le dos tant il est bref et désincarné « Les IMG sont donc une cause sociale majeure ; il faut assurer une prise en charge rapide. » selon Alain Milon.
La soirée se finira par une petite échauffourée, les sénateurs pro PMA pour toutes, comprenant qu’ils ne pourront pas de nouveau délibérer sur l’article 1. Monsieur Jomier, dépité parlera d’un « naufrage », tandis que d’autres comme Monsieur Henno reconnaitront qu’au moins le texte issu du Sénat porteront réellement sur les enjeux bioéthiques. Les autres, attentifs au respect de la vie humaine, heureux des quelques victoires bioéthiques ne prendront pas les paroles pour ne pas attiser une nouvelle fronde.