Les pharmaciens ont l’obligation déontologique d’ « exercer leur mission dans le respect de la vie et de la personne humaine ». Mais l’octroi d’une clause de conscience leur est de nouveau refusé : au terme d’un été de débats (cf. Pharmaciens : « Une clause de conscience s’impose »), le projet[1] de code, voté hier, ne contient plus la moindre trace d’une clause de conscience.
Le nouvel article R4235-18 stipule que : « Le pharmacien doit toujours agir dans l’intérêt des personnes et de la santé publique. Il doit exercer sa profession dans le respect de la vie et de la personne humaine. Le respect dû à la personne continue de s’imposer après la mort. Il doit faire preuve du même dévouement envers toutes les personnes qui ont recours à son art ».
Maitre Paillot, avocat, expert au Conseil de l’Europe et enseignant en droit de la Santé réagit pour Gènéthique.
Il y a quelques mois, l’Ordre des Pharmaciens a estimé utile, entre autres sur la demande d’un certain nombre de jeunes pharmaciens, d’ouvrir un débat sur l’opportunité de prévoir une clause de conscience dans son code de déontologie. Hauts cris immédiats du ministère de la Santé, qui y a vu une menace pour la contraception — alors que tel n’est pas le sujet. Qu’en dit le juriste ?
Il existe un problème manifeste avec le droit applicable à l’interruption de grossesse. En effet, la clause de conscience applicable en la matière[2] n’a pas été modifiée depuis 1975, date à laquelle les interruptions ne pouvaient se pratiquer que par intervention chirurgicale. Or les pratiques ont évolué et de nombreuses grossesses sont arrêtées aujourd’hui par voie médicamenteuse. Il est donc légitime que les pharmaciens se voient octroyer une même clause de conscience en la matière que les médecins, sages-femmes et infirmiers. Cela est d’autant plus nécessaire que l’article L. 2212-8 accorde également cette clause de conscience à tout « auxiliaire médical », comme le sont les opticiens-lunetiers ou les masseurs kinésithérapeutes ! Tout un chacun peut admettre comme aberrant qu’un opticien ait une clause de conscience en matière d’interruption de grossesse, alors que le pharmacien, confronté à ces questions, n’en a pas. Il faut ici faire évoluer le droit, et accepter que des professionnels puissent préférer ne pas participer à ce type d’actes qui restent une exception légale au principe de dignité.
Il existe deux types de clauses de conscience : celle dans les relations pharmacien -client/patient ; et celle dans les relations pharmacien patron – pharmacien salarié. De nombreuses professions (tels les avocats) disposent de clauses de conscience dans le traitement d’un dossier tant vis-à-vis de leur client que vis-à-vis de leur patron. Il est infiniment aisé de prévoir dans le Code de déontologie des pharmaciens qu’un patron ne peut obliger un salarié à vendre un produit pharmaceutique qui lui semblerait inapproprié à l’état de santé du patient ou contraire à sa conscience. Une telle clause devrait être rendue obligatoire dans tout contrat de travail en pharmacie. De la même façon, il n’est pas difficile d’envisager une clause vis-à-vis des patients en matière de produits abortifs ou contragestifs si l’on considère :
- qu’en la matière, il n’y a pas de monopole des pharmaciens, puisqu’il est possible de se procurer des produits abortifs ou contragestifs autre part qu’en officine
- que même s’il y avait monopole des pharmaciens, ceci ne suffit pas à empêcher une profession à bénéficier d’une clause de conscience : en effet, il en allait de même en 1975 pour les chirurgiens, qui seuls pouvaient pratiquer une opération chirurgicale;
- et qu’il peut être demandé aux pharmaciens faisant application de leur clause de conscience de diriger des patients vers un collègue, une autre officine ou un autre professionnel pour sa prise en charge.
Le Conseil de l’Ordre des Pharmaciens a finalement décidé de renoncer à intégrer une telle clause de conscience dans le projet de nouveau Code de déontologie, adopté le 6 septembre 2016 et transmis au Ministre de la Santé. Les phrases « Sans préjudice du droit des patients à l’accès ou à la continuité des soins, le pharmacien peut refuser d’effectuer un acte pharmaceutique susceptible d’attenter à la vie humaine. Il doit alors informer le patient et tout mettre en œuvre pour s’assurer que celui-ci sera pris en charge sans délai par un autre pharmacien. Si tel n’est pas le cas, le pharmacien est tenu d’accomplir l’acte pharmaceutique » sont ainsi supprimées du projet d’article R. 4235-18 du Code de la santé publique, qui laisse simplement, en la matière, les dispositions de l’actuel article R. 4235-2, selon lequel « le pharmacien exerce sa mission dans le respect de la vie et de la personne humaine », sans qu’on puisse tirer de cette phrase existant dans l’actuel Code une véritable clause de conscience. En tout état de cause, aucun tribunal ne l’a encore admis. Mais faute pour l’Ordre national des Pharmaciens d’avoir intégré cette clause pourtant essentielle, il reste la voie législative et judiciaire pour l’obtenir.