Pas à pas vers la marchandisation du corps humain ?

Publié le 30 Nov, 2018

Aux Etats-Unis, les personnes conçues par erreur cherchent des responsables et attaquent en justice. Que ce soit des erreurs involontaires – échanges de gamètes ou échange d’embryons au transfert – comme des fraudes volontaires – quand des médecins utilisent sciemment le sperme d’une tierce personne, voire le leur. En France, face à ce genre de drame, la réponse juridique existe, test de paternité pour prouver l’absence de filiation biologique, attaque de la responsabilité de l’hôpital, reconnaissance du préjudice et réparation en justice. Tout le monde comprend que les parents se sentent « trompés et lésés » et tient à ce que la justice le reconnaisse aussi.

 

Mais Aude Mirkovic met le doigt sur un paradoxe : « Si, en cas d’erreur d’éprouvette dans le processus de PMA, le fait d’attendre un enfant qui n’est pas issu d’eux caractérise pour les couples un préjudice tel qu’ils demandent réparation en justice et préfèrent avorter s’ils le peuvent encore, n’est-il pas quelque peu léger de décréter de façon péremptoire que, pour les enfants, il serait indifférent d’avoir comme parent leurs géniteurs ou quelqu’un d’autre ? ». En effet, d’un côté nous avons des parents dévastés d’apprendre qu’ils n’ont aucun lien biologique, charnel, avec leur enfant, et de l’autre côté, nous avons ceux qui « pensent que la filiation doit être fondée sur la seule volonté des adultes et qui expliquent à longueur d’émissions radio et tv que la dimension biologique de la filiation n’est rien », explique Ludovine de La Rochère. Alors finalement, la vraie question posée aussi bien par les erreurs de PMA que par les dons de gamètes anonymes, c’est celle de l’importance ou non d’être issu de quelqu’un. « Si c’est important (et juridiquement réparable) pour les uns, comment déclarer que cela devrait être sans intérêt pour les autres, les enfants ? » La loi est la même pour tous, le problème relève donc de l’égalité devant la loi…

 

De plus, si le CCNE[1] s’est montré favorable à l’ouverture de la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes, c’était « à la condition expresse et incontournable de ne pas ouvrir la marchandisation de l’humain ». Une condition que tout le monde se garde bien d’évoquer, sans doute parce qu’elle est impossible à respecter. Les dons de sperme actuels ne suffisent déjà pas à fournir les gamètes pour les PMA actuelles, réservées aux couples homme-femmes infertiles, d’une part, et les PMA « pour toutes » nécessiteront des donneurs supplémentaires. Comment résoudre l’équation ? Le seul moyen sera inéluctablement de rémunérer les dons. Presque tous les pays qui ont ouvert leurs conditions de PMA ont dû s’y résoudre. Les seuls à avoir maintenu la gratuité, comme le Canada ou la Belgique, se retrouvent contraints d’acheter 90 % de leur sperme aux Etats-Unis et au Danemark, deux pays qui rémunèrent leurs donneurs.

 

Et rémunérer les gamètes, c’est bien « renoncer au principe cardinal de la gratuité des éléments et produits du corps humain ». Une fois que le principe est remis en cause, qu’est-ce qui empêche d’étendre cette marchandisation, aux organes humains par exemple ? Les médecins manquent de greffons, les patients en attente ont souvent un pronostic vital engagé, alors pourquoi ne pas rémunérer le donneur ? Pour Aude Mirkovic, « si l’on veut préserver la gratuité, le seul moyen est d’abandonner toute extension de la PMA » car « la PMA non thérapeutique conduit à la marchandisation du corps, devenu source de profit pour les uns, matériau utilisable par les autres ».



[1] Comité Consultatif National d’Ethique.

 

Atlantico (29/11/2018

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