Master-class Science et éthique Jérôme Lejeune : « protéger ceux qui ont besoin de vous »

Publié le 30 Juin, 2023

Pour la 7e année consécutive, le Centre Bioéthique de la Fondation Jérôme Lejeune propose une Master-class « Science et Ethique, des fondements à la pratique » , une formation destinée aux étudiants en médecine, soignants, chercheurs. Danielle Moyse, docteur agrégée de philosophie et chercheuse associée à l’Institut de Recherche Interdisciplinaire sur les enjeux Sociaux, est l’une des enseignantes. Elle nous parle de cette formation d’expertise et des questions éthiques qui se posent aux soignants.

Gènéthique : Vous êtes docteur agrégée de philosophie et chercheuse associée à l’Institut de Recherche Interdisciplinaire sur les enjeux Sociaux, pensez-vous que le regard de la société sur la personne vulnérable est en train de changer et pose de nouvelles questions éthiques ?

Danielle Moyse : Le rapport aux personnes vulnérables est très ambigu. En un sens, la place des personnes en situation de handicap semble s’être imposée depuis que la loi, du 11 février 2005 notamment, fait obligation de rendre accessibles tous les domaines de l’espace public à toute personne, mais, d’un autre côté, on ose encore parler par exemple de « mourir dans la dignité » pour promouvoir la dépénalisation de l’euthanasie, en sous entendant fatalement de cette manière, qu’un certain niveau d’atteinte du corps ou de l’esprit rend la personne concernée « indigne ». En l’occurrence, le regard porté sur la personne vulnérable est en réalité d’une violence inouïe.

Il y a 20 ans, je dénonçais, avec Nicole Diederich [1], les stérilisations non consenties de personnes handicapées, quelquefois victimes de ligatures des trompes, sans même en avoir été informées, alors que, aujourd’hui, des associations de soutien à la parentalité de ces personnes handicapées se sont constituées. Etant donné que depuis le début des années 2000, il n’y a pas eu d’état des lieux concernant la stérilisation des personnes handicapées, je ne peux vous dire si ces pratiques existent encore, mais il semblerait qu’elles aient aujourd’hui généralement été « remplacées » par des moyens contraceptifs de long terme, dont il n’est pas assuré qu’ils soient administrés avec le plein consentement des intéressé(e)s, mais en évitant tout de même la violence d’une mutilation radicale et généralement irréversible. Quelques acquis, réalisés grâce aux associations de personnes concernées, sont indéniables, mais le monde actuel, qui est un monde pressé, a tendance à « vulnérabiliser » tout le monde. Par la force des choses, mais surtout grâce à des luttes nombreuses, le regard sur la vulnérabilité a un peu changé, en mieux.

Mais il faut aujourd’hui s’adapter sans cesse à des outils nouveaux, sources de harcèlement en tous genres, y compris publicitaires. Tout cela « vulnérabilise » tous ceux qui ne sont plus ni assez riches, ni assez rapides, ni assez jeunes pour s’adapter à un monde sans cesse en mouvement. Au-delà même du regard porté sur la vulnérabilité, il y a une « vulnérabilisation » de fait par le fonctionnement de la société elle-même.

La catégorie des « personnes vulnérables » me semble inclure un nombre croissant de personnes.

Le mot « handicap », qui a ses mérites, devait préfigurer ce mouvement puisqu’il provient de l’univers hippique où l’on attribue aux chevaux les meilleurs, des distances supplémentaires à parcourir pour égaliser les chances de tous. Mais en même temps, l’image sous-entend que la société, dans son ensemble, est conçue comme une course. De fait, tout s’est considérablement accéléré. Certaines personnes âgées sont devenues complètement dépendantes de leurs propres enfants pour répondre au fonctionnement de la société actuelle. On crée donc beaucoup de dépendance, et de vulnérabilité.

Les enfants sont également la proie de toutes sortes de menaces. Je suis sortie effarée, dans mon métier d’enseignante, d’une enquête récente dans mon lycée, sur le harcèlement subi par certains élèves, par le biais des « réseaux sociaux ». Je tombais littéralement des nues : bien sûr, bien des classes, de toutes les générations se sont choisies des boucs émissaires. Mais, rentrés chez eux, ces derniers avaient enfin la paix. Aujourd’hui, le harcèlement peut être sans fin…. et perpétré en toute impunité.

Les personnes handicapées, les enfants, les « SDF », (dont beaucoup souffrent de problèmes psychiatriques non soignés), les personnes âgées, et bientôt n’importe qui, peuvent se retrouver dans la catégorie des « personnes vulnérables ». Notre monde crée beaucoup de vulnérabilité, et un peu partout règne la loi du plus fort. Nous sommes dans une société qui crie implicitement : « Mort au faible ! ». La violence du regard sur les personnes vulnérables n’est donc qu’une conséquence de la tournure prise par cette société.

Regarder, veut dire : re-garder, c’est-à-dire garder à la puissance deux. Il y a dans le regard véritable une dimension de soin très forte, de souci de l’autre, qui me semble constamment menacé par l’orientation générale de notre monde.

Cela soulève-t-il des questions éthiques nouvelles ? Evidemment, surtout si l’on se rappelle que l’éthique a pour enjeu principal de penser la justesse du séjour de l’homme sur cette terre. Or, cette justesse dépend notamment de la capacité de l’être humain à entrer en rapport avec ce qui, étant vulnérable, est remis aux bons soins d’autrui.

G : Selon vous, dans quelle mesure la Master-class « science et éthique des fondements à la pratique » répond-elle à une attente, surtout chez les jeunes médecins ?

DM : Etre médecin aujourd’hui est extrêmement difficile. Nous en sommes arrivés à un point où les nuances du serment d’Hippocrate elles-mêmes sont en passe de devenir inaudibles. Comment, par exemple, comprendre à la fois le serment de ne pas « prolonger abusivement les agonies » , et celui de ne jamais « provoquer la mort délibérément ». La dépénalisation du suicide assisté ou de l’euthanasie brouille désormais le sens de la déontologie médicale dans plusieurs pays. Pour le monde médical, c’est un bouleversement sans précédent. La légitimation par la loi d’un acte de mort est une remise en question de la mission de soin qui est le sien. Cela inaugure un véritable « chambardement » civilisationnel.

Par conséquent, il est évident que dans un monde pareil, une master-class qui invite à réfléchir à la dignité, au respect, à la vulnérabilité ne peut qu’être d’un grand secours pour les médecins, et principalement pour ceux qui se sentent démunis face au raz de marée idéologique qui prétend placer l’être humain au principe de soi, de la naissance jusqu’à la mort.

G : Dans votre cours, vous les faites réfléchir sur le handicap, la vieillesse et la dignité, pensez-vous que le respect de la fragilité est un enjeu civilisationnel ?

DM : La civilisation commence par la récusation du droit du plus fort. Jean-Jacques Rousseau l’a établi une fois pour toutes dans Le contrat social. Avec une logique imparable, il montre en réalité la fragilité de rapports fondés sur la force, puisque « le fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître ». Une civilisation digne de ce nom est celle qui tend la main à ceux qui sont fragiles, mais plus généralement à ce qui est fragile, car c’est aujourd’hui la vie elle-même, et pas simplement celle des hommes, qui est menacée. Or, l’être humain noble, l’être humain digne de ce nom n’est pas celui qui a la force de son côté, mais celui qui se révèle capable de ne pas en abuser.

Si les générations qui viennent survivent aux graves menaces qui pèsent aujourd’hui sur nous, ce ne sera pas parce qu’elles auront abusé du pouvoir que nous donnent aujourd’hui nos techniques, mais parce qu’elles auront décidé de ne pas le faire. L’homme moderne occidental est parti dans une course à la toute-puissance qui le rend en fait très fragile.

G : Si vous aviez un message clé à transmettre aux jeunes soignants quel serait-il ?

DM : Soyez fidèles au serment de soulager les souffrances, sans abuser du pouvoir que cela vous donne. Soyez fiers de protéger ceux qui ont besoin de vous.  Aucun progrès technique ne saurait se substituer à la qualité du lien humain que l’on espère de vous.

 

Informations pratiques :

Pour qui ? Une formation d’expertise pour les médecins et étudiants en médecine (dès la 1ère année), ainsi que pour les infirmières, sages-femmes, chercheurs, biologistes. Quelques places sont aussi réservées aux juristes et philosophes ayant une expérience dans le domaine de la bioéthique (Bac+3 minimum).

Où ? sur place (Centre bioéthique Jérôme Lejeune, 37 rue des Volontaires 75015 Paris) ou en e-learning.

Quand ? d’octobre 2023 à mai 2024, les mardis soirs (20h–22h) et 2 samedis par semestre (9h–19h)

Tarifs : Pour les étudiants : 200€ ; Pour les professionnels : 260€

Informations et inscription : du 15 juin au 29 septembre 2023

Pour plus de renseignementshttps://www.fondationlejeune.org/defense-vie-humaine/education/master-class-bioethique/

[1] Nicole Diederich était docteur en sociologie, est chargée de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM).

 

 

 

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