Loi de bioéthique et Diagnostic préimplantatoire : Qu’est devenue cette « culture des limites » qui définissait le débat bioéthique ?

Publié le 12 Déc, 2019

Jean-Marie Le Méné, Président de la Fondation Lejeune était auditionné par la Commission de bioéthique du Sénat le 11 décembre dernier (cf. audition). Gènéthique relaie son intervention à propos de l’extension du diagnostic préimplantatoire aux aneuploïdies. La question avait été âprement débattue lors de l’examen de la loi de bioéthique à l’Assemblée nationale sans être introduite dans le projet de loi (cf. Extension du diagnostic préimplantatoire : pour Agnès Buzyn, « la décision éthique la plus difficile du projet de loi »).

J’ai quelques scrupules à commencer par aborder un sujet qui n’est pas dans le texte voté par l’Assemblée nationale et en conséquence sur lequel vous ne devriez pas avoir à vous prononcer. Il s’agit de l’extension du diagnostic préimplantatoire aux aneuploïdies et donc, notamment, à la trisomie 21, qui a fait l’objet d’un amendement des députés centristes mais qui n’a pas été suivi par le gouvernement et qui a été rejeté par l’Assemblée. Or il n’est pas exclu qu’un tel amendement soit soumis au Sénat pour la raison qu’il s’agirait, selon ses promoteurs, d’améliorer le taux d’implantation de l’embryon et de diminuer le nombre de fausses couches dans le cadre de la PMA.

Aujourd’hui, le DPI est légal pour les parents qui recourent à la procréation médicalement assistée parce qu’ils sont porteurs d’une maladie génétique d’une particulière gravité. L’objectif du DPI est de trier pour éliminer les embryons porteurs de la seule pathologie recherchée.

La question fait débat depuis plusieurs années : celle d’étendre le DPI à d’autres maladies d’origine génétique, non héréditaires, qui pourraient être diagnostiquées par l’examen du nombre des chromosomes de l’embryon. Ce diagnostic est désigné sous les termes de « DPI des aneuploïdies » ou DPI-A. Comme la trisomie 21 est la maladie chromosomique la plus courante, on entend aussi parler plus simplement du DPI de la trisomie 21.

Il est important de préciser que la revendication d’étendre le DPI à la trisomie 21 est ancienne. Lors des révisions des lois de bioéthiques précédentes, notamment en 2011, elle avait déjà émergé. Mais cette idée n’avait finalement pas été retenue pour éviter l’aggravation de la stigmatisation des personnes trisomiques 21, pour éviter que ce dépistage ne se systématise à une liste de pathologies, en raison de difficultés techniques impactant la fiabilité du DPI.

A l’occasion de cette troisième révision de la loi de bioéthique, la revendication a resurgi pour les mêmes raisons : améliorer les performances de la PMA. Mme Buzyn a nettement contredit sur le fond les arguments de l’extension du DPI :

  • L’extension du DPI est eugéniste par nature. « Autoriser cette pratique conduirait manifestement à une dérive eugénique » a dit Mme Buzyn. Lors des débats en séance publique, la ministre de la santé a précisé qu’elle « savait depuis le début de l’élaboration de ce projet de loi que ce serait la question éthique la plus fondamentale et la plus complexe ». Elle a maintenu son opposition à cette revendication qui revient à dire « à la société que l’on est effectivement d’accord pour éliminer, en le sachant, un certain nombre de pathologies, essentiellement celles que l’on sait trouver le plus facilement, c’est-à-dire les trisomies » (…) « Une telle décision est lourde à l’échelon collectif. Je suis par conséquent très mal à l’aise ».
  • L’extension du DPI repose sur des arguments scientifiques controversés. La diminution du nombre des fausses couches après un DPI-A n’est pas établie. La littérature scientifique dans ce domaine est divisée. Aucune étude n’a montré que le DPI-A permettait d’améliorer le résultat des procréations artificielles chez des patientes âgées. En juillet 2007, une étude néerlandaise a même montré le contraire. Elle révélait que le taux de grossesse par FIV après un DPI-A était inférieur au taux de grossesse observé dans les FIV sans DPI-A. Ces résultats ont été contestés par les défenseurs du DPI-A. Mais aucune étude n’a prouvé l’inverse depuis au contraire[1]. Le Pr Bonnefont l’a confirmé lors de son audition devant la mission d’information parlementaire : « L’augmentation des chances de grossesse après un test d’aneuploïdie n’a jamais été formellement démontrée. » Bien au contraire, il est courant que ces anomalies se régularisent d’elles-mêmes dans les premiers jours de développement de l’embryon, avant l’implantation. Plusieurs travaux sont parus sur cette « autocorrection » de l’embryon[2]. Le généticien a précisé : « certaines anomalies chromosomiques constatées sur des embryons se corrigent de façon spontanée ». Il a relevé un autre inconvénient : « le risque d’éliminer des embryons potentiellement sains. Ces techniques, qui sont un peu délicates, exposent aussi à des risques de faux positifs ». Autre risque d’erreur : « une aneuploïdie peut être confinée au placenta, l’embryon étant sain ». Enfin le risque que le DPI-A rende l’embryon non viable parce qu’il l’abime, voire le détruit, ne doit pas être exclu. Des incertitudes suffisantes pour ne pas élargir cette technique à d’autres pathologies, ce qu’a confirmé Mme Buzyn.
  • L’extension du DPI ouvrirait la voie à une généralisation inévitable. Même si la numération des autosomes a été proposée « à titre expérimental et pour une durée de trois ans », il ne faut pas être dupe de cette proposition d’expérimentation qui aboutira in fine à la généralisation de cette pratique. Selon Mme Buzyn, « Dire que l’on va passer par une expérimentation n’est qu’une façon de contourner les choses, d’obtenir une dérogation pour utiliser une technique aujourd’hui interdite ». L’amendement ne proposait l’extension du DPI qu’aux couples éligibles au DPI pour une maladie héréditaire (et pas pour tous les couples qui ont recours à la PMA). Sur ce point Mme Buzyn s’est interrogée : « La question est de savoir quelle garantie nous avons, si nous passons ce cap, que l’on n’ira pas au-delà. C’est la seule question que doit se poser le législateur, s’agissant d’une loi de bioéthique. » « On passerait dans ce cas d’une moyenne de 250 couples par an qui font un DPI à 150 000 PMA. » Changement d’échelle qui ne sera pas perdu par tout le monde. Une PMA avec DPI coûte près de 20 000 euros. Ajouter un test de DPI-A augmentera la facture de dizaine de milliers d’euros. Les laboratoires y trouveront leur compte. Le Pr Bonnefont a alerté sur ce point : « N’omettons pas d’aborder l’aspect financier. Si l’on demande aux laboratoires d’ajouter un test d’anomalies chromosomiques pour tous les DPI qui ne le justifient pas au départ, cela va coûter cher à la société. En revanche, l’enjeu financier sera tout à fait intéressant pour les laboratoires – en particulier les établissements privés – qui vont développer ce type de tests. Faisons attention à ne pas nous laisser intoxiquer par des professionnels qui auraient des arrière-pensées plus financières que médicales. »

Vous permettrez au président de la fondation Jérôme Lejeune, qui a créé la plus grande consultation médicale spécialisée et lancé la recherche thérapeutique sur la trisomie 21, d’ajouter un élément important, fruit de son expérience. On ne peut pas soutenir le projet d’une société inclusive à l’égard du handicap et dégrader en même temps l’image de la trisomie 21 en la rendant responsable des déboires de la PMA. Je rappelle que la quasi-totalité (96 %) de la population porteuse de trisomie est déjà éliminée sur le fondement de disgrâces physiques et d’anomalies génétiques détectées par des machines et des algorithmes. C’est la première fois dans l’histoire depuis 2400 ans (Hippocrate) que la médecine a rendu mortelle une pathologie qui ne l’est pas. Pourtant on répète qu’il faut changer de regard sur la personne handicapée. Comment voulez-vous que le regard change sur la personne handicapée si l’eugénisme se renforce à chaque évolution technique ? Le risque n’est pas mince qu’une marche soit encore franchie puisque les principales institutions interrogées (Conseil d’Etat, CCNE, OPECST, Mission d’information parlementaire, ABM) sont favorables à l’extension du DPI aux aneuploïdies.

L’Institut Jérôme Lejeune reçoit 10 000, de la pédiatrie à la gériatrie, patients venant du monde entier. La difficulté n’est pas tant de lutter contre la maladie que de se dire qu’on n’y arrivera jamais tant qu’on entendra :

  • le Pr Jean-Didier-Vincent se demander « pourquoi il faut conserver les trisomiques qui sont un poison dans une famille » ;
  • Mme Anne Sinclair considérer l’élimination des trisomiques comme un « eugénisme protecteur pour éviter des drames effroyables » ;
  • le député Olivier Dussopt s’indigner de ce qu’ « il reste encore 4 % de trisomiques » ;
  • le Pr Israël Nisand justifier « un eugénisme positif qui a toujours existé » ;
  • le Pr Jacques Millez décrire comme un « ordre établi » l’éradication des trisomiques ;
  • le philosophe Luc Ferry expliquer l’élimination massive des trisomiques par la « sympathie envers ceux qui souffrent » et le « bien-être », etc.

La difficulté n’est pas d’accueillir 10 000 patients, dont une grande partie nous sont envoyés par les hôpitaux publics, mais de laisser, il y a un mois, le député Philippe Berta oser dire que les enfants trisomiques sont des « légumes » et le député Philippe Vigier oser surenchérir avec ces mots terribles : « il faut traquer, oui je dis traquer, les embryons porteurs d’anomalies chromosomiques » ? Dans quel pays sommes-nous, à quelle époque sommes-nous ?

Qu’est devenue cette « culture des limites » qui définissait le débat bioéthique ? Il y a des jours où les Français pourraient avoir honte de certains de leurs représentants. C’est pourquoi les débats à venir sur cette question au Sénat appellent à la plus grande vigilance.

 


[1] : « Les transferts d’embryons “anormaux” par PGT-A (tests génétiques préimplantatoires pour l’aneuploïdie) ont offert de solides chances de grossesse et de naissance vivante avec de faibles taux de fausse couche. Ces données renforcent encore l’argument voulant que PGT-A ne puisse déterminer de manière fiable quels embryons devraient ou non être transférés et conduit à l’élimination de nombreux embryons normaux présentant un excellent potentiel de grossesse ». Référence : Patrizio P, Shoham G, Shoham Z, Leong M, Barad DH, Gleicher N.Worldwide live births following the transfer of chromosomally “Abnormal” embryos after PGT/A: results of a worldwide web-based survey.J Assist Reprod Genet. 2019 Aug;36(8):1599-1607. doi: 10.1007/s10815-019-01510-0. Epub 2019 Jun 24.

[2] Notamment chez les embryons mosaïques qui se rencontrent avec une particulière fréquence dans les FIV et qui rendent bien peu exact le DPI.

Jean-Marie Le Méné

Jean-Marie Le Méné

Expert

Haut-fonctionnaire, Jean-Marie le Méné est aussi l'un des fondateurs et président de la fondation Jérôme Lejeune, reconnue d'utilité publique. La Fondation Jérôme Lejeune est spécialisée dans la recherche sur les déficiences intellectuelles d'origine génétique. Soucieuse de développer des thérapies innovantes, la Fondation finance également un consortium international de recherche en thérapie cellulaire. Jean Marie Le Méné est l'auteur de plusieurs ouvrages dont "Le professeur Lejeune, fondateur de la génétique moderne" (1997, édition Mame), "La trisomie est une tragédie greque" (Salvator, 2009) et "Nascituri te salutant" (Salvator, 2009)

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