Loi de bioéthique : à petits pas vers la barbarie

Publié le 4 Sep, 2020

En plein cœur de l’été, l’année parlementaire s’est achevée dans la nuit du 31 juillet à quatre heures du matin, sur la seconde lecture, à marche forcée, du projet de loi de bioéthique.

En « cinq jours et cinq nuits », comme le mentionnera explicitement Adrien Taquet, secrétaire d’Etat chargé de la protection de l’enfance, un texte porteur de déviances majeures, camouflées sous la chape de plomb de la PMA pour toutes, a été adopté sans vote solennel. L’Assemblée dans son ensemble donne son approbation à un projet de loi qui n’a pas même fait l’objet d’une mention dans le discours de politique générale du nouveau premier ministre, Jean Castex, nommé le 3 juillet 2020. La cause était entendue, la joute avec l’opposition n’était plus qu’une pantomime de débats, mettant en scène des ministres, dont certains trop fraichement propulsés, ont pu peiner à se tenir à hauteur. Sur des sujets aussi cruciaux, la désinvolture du gouvernement ne peut qu’effarer.

Bien sûr la PMA pour toutes a été adoptée et avec elle, un régime de filiation hors sol, basé sur une simple déclaration de volonté, alors que le Sénat avait plaidé en faveur d’une adoption simple afin que tout le corpus juridique en ce domaine ne bascule pas dans le fantasmagorique (cf. PMA, GPA, et la mère dans tout ça ?). Peine perdue. Au-delà de ce débat hautement politisé et fort peu bioéthique, se trouvaient des articles clés.

DPI-A, une victoire en demi-teintes

L’article 19bis, adopté trois semaines plus tôt par la Commission spéciale de bioéthique de l’Assemblée nationale, devait évoquer le DPI-A, l’introduction du diagnostic préimplantatoire des aneuploïdies, parmi lesquelles les trisomies 21, 13 et 18, dans les parcours de procréation médicalement assistée. Cheval de bataille d’Agnès Buzyn, la ministre s’était très fermement opposée à son introduction dans le projet de loi estimant qu’il s’agissait d’une mesure eugéniste (cf. Extension du diagnostic préimplantatoire : pour Agnès Buzyn, « la décision éthique la plus difficile du projet de loi »). Une position confortée par le Sénat. La question a été remise en débat par la Commission spéciale de bioéthique de l’Assemblée nationale. Si Olivier Véran, actuel ministre de la Santé, n’a pas soutenu cette mesure, à laquelle il avait cependant souscrit en première lecture, il s’agit davantage pour lui de temporiser. « C’est une question compliquée d’un point de vue éthique, mais surtout d’un point de vue scientifique et médical ». Pour lui, bien que dénoncé par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU (cf. Conseil des droits de l’homme de l’ONU : L’eugénisme libéral en question ), « l’argument de l’eugénisme, je n’y crois pas ». « On ne sait pas, explique-t-il, on ne sait pas dire si le mosaïcisme, c’est-à-dire le mosaïcisme chromosomique[1], donne assurément des anomalies de nombre de chromosomes quand l’embryon se développe et on ne sait pas dire in fine si l’enfant sera porteur d’une trisomie 21, d’une autre maladie ou si la fausse couche serait assurée. On ne sait pas ». Aussi, « ce que vous propose le gouvernement, ça n’est certainement pas le statu quo » et pour lever le voile de ces incertitudes, il annonce un PHRC[2], un projet de recherche multicentrique, réalisé sur 7 CHU, qui a déjà obtenu son financement et qui doit débuter dès cet automne. Pourtant des études ont déjà été menées (cf. Avoir des cellules aneuploïdes : un état fréquent chez l’embryon en phase précoce et Des chercheurs observent l’ “auto-réparation” des embryons de souris). La question est donc uniquement ajournée et laissée à la discrétion du gouvernement. Celui-ci ou un autre.

Pourtant, dans l’hémicycle, la prise de conscience est réelle et les interventions honorent le débat. Les députés alertent sur le risque d’engrenage vers la détection d’« autres pathologies » pouvant conduire à « la recherche de l’enfant parfait » et craignent de voir s’ouvrir ce diagnostic de façon systématique à « des couples dont les enfants ne sont atteints d’aucune pathologie et à qui on ne pourra pas le refuser ». Thibault Bazin, député LR, s’inquiète que l’argument de l’eugénisme soit si rapidement balayé et pose la question de « l’acceptabilité » dans notre société de « personnes différentes, vulnérables » (cf. “Tous imparfaits”, envoyer une carte à son sénateur : deux initiatives pour alerter sur le diagnostic préimplantatoire). Blandine Brocard, député LREM, s’étonne : « A l’ère de l’écologie, comment pouvons-nous encore décider d’être maîtres et possesseurs de la nature ? ». Elle dénonce : « Ce que nous avons fait à la nature depuis 50 ans, nous sommes en train de le faire sur l’humain. Notre humanité est fragile, poursuit-elle, soyons imparfaits (…) pour préserver notre humanité ». Elle conclut : « Comment aller vers une société inclusive si son point de départ est que ces personnes ne doivent pas exister ? C’est de notre humanité profonde dont il est question, de notre relation à l’altérité, à la différence, à la fragilité, n’est-ce pas ce qu’on appelle la fraternité ? ». Le rapporteur, Jean-François Eliaou, se félicitera de la mise en place du PHCR, qui doit « donner des résultats dans trois ans ». En fonction des résultats obtenus, le DPI-A « entrera dans la pratique courante sans passer par la loi » ! Les députés dénonceront l’« hypocrisie » du procédé qui consisterait à faire croire que les parents, une fois le diagnostic posé, seraient « libres » de choisir de garder leur enfant malade ou de le détruire dans l’éprouvette. Un argument qui avait déjà été avancé en première lecture, mais qui, à ce moment-là, avait été entendu. « Accepter ses limites, les limites humaines, c’est accepter de ne pas tout maîtriser », explique Agnès Thill qui interroge : « Est-ce qu’aimer quelqu’un c’est l’aimer comme on veut qu’il soit ? ». Le DPI-A ne sera pas inscrit dans la loi, les députés ayant une nouvelle fois fait barrière, mais rien ne dit qu’il ne s’invitera pas à l’occasion d’un décret, d’une décision de la Haute autorité de Santé dans les routines de procréation médicalement assistée.

A l’issue du débat sur cette question, Dominique Potier, député socialiste, s’est exprimé pour affirmer son « opposition radicale à ce projet de loi pour des raisons philosophiques ». Il fustige le clivage entretenu entre « progressistes et conservateurs » qu’il considère comme étant une « supercherie », estimant qu’il s’agit avant tout d’être « dans une quête de la vérité, une quête humaniste ». Il regrette que la « modernité soit présentée comme un absolu » quand la vraie question se pose en d’autres termes : « Est-ce que cela nous humanise ou non ? ». Une question qui doit être « pensée dans le temps long », explique le député, dont l’attitude tranche face à l’attitude « moutonneuse » de sa famille politique. Il avoue être pris par « un sentiment de vertige ». Il cite Albert Camus : « Chaque génération a la responsabilité d’engendrer la suivante », avant d’ajouter : « On peut soutenir que la société grandit moins dans la toute-puissance que dans son attention aux plus fragiles ».

Sur toutes ces questions, la majorité avance en ordre dispersé, à plusieurs reprises, le rapporteur Jean-François Eliaou, en désaccord avec le texte voté par la Commission spéciale de bioéthique, intervient en son nom propre. Il contribue à emmêler les cartes, pas toujours pour un mieux.

Le retour du bébé médicament

Juste avant cette discussion, et en quelques minutes à peine, les députés ont évoqué la question du DPI-HLA, le « bébé médicament ». Cet article, supprimé par les sénateurs en première lecture, a été réintégrée dans le projet de loi par la commission spéciale de bioéthique (cf. Loi de bioéthique : no limit). Blandine Brocard a dénoncé une mesure qui « programme la venue d’un enfant pour guérir son frère malade ». Elle interroge : « Quel statut pour l’enfant ainsi conçu ? ». Elle considère qu’il n’est pas admissible qu’un embryon qui n’aurait pas les conditions de compatibilité requises avec son aîné ne soit pas implanté, elle s’insurge : « Ce n’est pas un sujet de droit ! » et poursuit : « Quelle responsabilité pour l’enfant conçu pour guérir en cas de mort de l’aîné ? ». Le rapporteur souhaitera maintenir le DPI-HLA pour « permettre la prise en charge par la sécurité sociale des soins et du transport » vers la Belgique, car cette procédure, abandonnée en 2014, n’est plus pratiquée aujourd’hui en France. Annie Genevard met en avant l’excellence française, la greffe de cellules souches de sang de cordon. Cette alternative éthique au bébé médicament est la plus utilisée « depuis 6 ans » alors qu’en France, Besançon est la première banque de sang placentaire. Une nouvelle fois, peine perdue.

Pourtant entre le DPI-A et le DPI-HLA, quelle différence ? Loin de mobiliser l’opinion publique comme le DPI-A, le DPI-HLA, pourtant très proche, sera adopté par la représentation nationale, peu sensibilisée à cette problématique, victime de sa méconnaissance de ces enjeux humains difficiles. Pourtant, là encore, il s’agit de trier les embryons en fonction de leur génome avant implantation dans l’utérus de la mère, sous couvert de faire naître un frère ou une sœur compatible. Tout tri implique une sélection, un procédé clairement eugénique puisqu’il consiste à choisir l’embryon à naître. Que deviennent les embryons qui ne sont pas compatibles avec ce grand frère, cette grande sœur malade ? Cet eugénisme, que certains se refusent à voir, prend une forme nouvelle : on passe d’un eugénisme d’Etat, à un modèle plus « mou », selon l’expression de Jacques Testart, celui d’un eugénisme individuel, pratiqué sur avis médical, à la demande des parents (cf. Conseil des droits de l’homme de l’ONU : L’eugénisme libéral en question). Est-ce la société que nous voulons pour demain ?

L’IMG, porte ouverte à l’avortement sans limites et sans conditions

L’article 20, quant à lui, bâclé en 12 minutes, crée la surprise. Dans le système législatif français, un cavalier législatif est un article de loi qui porte sur des mesures sans rapport avec le sujet dont traite le projet de loi en cours de discussion. Il vise à introduire des dispositions législatives en catimini sans susciter l’attention des éventuels opposants ou en l’absence des spécialistes du sujet. De fait, la question de l’Interruption Médicale de Grossesse (IMG) avait été introduite dans le projet de loi, le gouvernement ayant décidé de supprimer le délai de réflexion.

Aussi, le 5 mai dernier, Laurence Rossignol, sénateur socialiste de l’Oise, envoyait un tweet à l’adresse des députés LREM, Marie-Pierre Rixain et Guillaume Gouffier-Cha : « Chers @LaREM_AN. Pour garantir l’accès à l’#IVG pendant la crise sanitaire, il faut une petite modif de la loi. Ce qui n’a pu être fait au Sénat peut l’être à l’AN. On compte sur vous. Voici l’amendement ! #yapluka ». L’amendement vise à permettre l’IMG, possible en France jusqu’à la naissance, en cas de détresse psychosociale. Son objectif est manifestement d’ouvrir une brèche pour obtenir un élargissement du délai légal de l’IVG, non plus à quatorze semaines, comme la sénatrice ne cesse de le réclamer, mais jusqu’à la naissance (cf. Loi de bioéthique : sous couvert de détresse psycholosociale, les députés détournent l’IMG) !

L’amendement sera effectivement présenté par le député Guillaume Gouffier-Cha en Commission spéciale de bioéthique, où il sera rejeté (cf. Loi de bioéthique : l’IMG et les variations du développement génital au menu du dernier round de la Commission spéciale). Ce ne sera que partie remise. L’argument fait son retour à l’Assemblée à l’occasion d’un nouvel amendement du même député. La surprise viendra d’abord du secrétaire d’Etat, Adrien Taquet, qui donnera pour le gouvernement un « avis de sagesse », soit un ni oui ni non, manifestant un désengagement délétère sur cette question propre cependant à satisfaire les soutiens féministes. Un blanc-seing pour l’IVG sans limite jusqu’à la naissance, la détresse psychosociale étant une condition dont on peine à distinguer les contours, une sorte de fourre-tout qui justifiera n’importe quel avortement, de n’importe quel enfant.

Et maintenant ? Après avoir entièrement détricoté le texte du Sénat pour en proposer une version plus radicale, le texte va de nouveau être étudié par la deuxième chambre, probablement autour du mois d’octobre. Les dissensions sur ce texte étant nombreuses, il y a fort à parier qu’il ne fera pas l’objet d’un consensus. Une commission mixte paritaire, discussion en petit comité entre l’Assemblée nationale et le Sénat, ne pourra se solder que par un échec et le texte retournera en dernière lecture à l’Assemblée nationale pour le meilleur, on est en droit d’en douter, plutôt pas loin du pire.

[1] Mosaïcisme : Une personne ayant une maladie génétique peut aussi bien disposer de cellules normales qu’anormales. Ce phénomène s’appelle le ‘mosaïcisme’ et est la conséquence d’une erreur dans la division cellulaire d’une série de cellules dans le développement précoce d’un embryon humain : des cellules normales cohabitent avec des cellules ayant un nombre de chromosomes anormal.

[2] Programme Hospitalier de Recherche Clinique.

Photo : iStock

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