La Société Française de Médecine prédictive et personnalisée (SFMPP), réunie à Montpellier les 16 et 17 juin dernier, a tenu à laisser une petite place au questionnement éthique lors de son congrès organisé sur le thème du dépistage non invasif de la trisomie 21. Une place toutefois secondaire : Guy Vallancien[1] a expliqué aux participants que « l’éthique n’est que le miroir de l’évolution d’une société, elle vient après, elle n’est pas le fer de lance » car « si on la plaçait avant la science froide et amorale, on stopperait tout ». René Frydman et Pierre Le Coz ont démenti cette « idée d’une éthique qui n’arriverait qu’après », mais le ton était donné. Le communiqué de la SFMPP sera très clair : « Il ne s’agit pas de relancer le débat sur le dépistage de la trisomie 21 ou du diagnostic prénatal ».
Sans mener plus loin la réflexion et après avoir bien spécifié que « la loi française est très stricte » en matière de procréation, René Frydman a négligemment lancé quelques questions: « La PMA est-elle du domaine médicale ? N’apportons nos pas une réponse médicale à une question sociétale ? La connaissance des possibles justifie-t-elle de les réaliser ? N’agissons nous pas au détriment d’une autre personne ? ».
L’évolution de la médecine est placée au cœur des échanges. Pour l’économiste Gregory Katz, « la médecine curative devient une médecine qui éditerait les génomes pour ne plus avoir à soigner et ne plus avoir à payer des traitements dispendieux ». Damien Sanlaville décrit le passage de l’IMG[2], « génétique reproductive d’élimination » au DPN[3], « génétique reproductive de sélection » pour imaginer demain une génétique reproductive du « choix », avant la conception. « Choisir d’avoir un bébé ou choisir le bébé que l’on va avoir ? », interroge Gregory Katz.
Evoquant les possibilités ouvertes avec la technique CRISPR, il se projette dans la « décontamination gamétique », la « dépollution génétique », qui conduit inévitablement à une « eugénisme libéral », « démocratique » car laissé au libre choix des individus. Cet eugénisme libéral, Bernard Baertschi le baptise « autonomie procréative » et le décline sous deux formes : « Eliminer les embryons malades » et « favoriser les embryons sains ». Il l’oppose à l’ «eugénisme classique », qui « limite la procréation des individus dégénérés » et « favorise la procréation des individus supérieurs », en ayant recours au pouvoir de l’état. Mais « trier les géniteurs ou trier les embryons », quelle différence ? Il s’interroge ensuite : « Est-ce moins bien de manipuler le génome de l’enfant plutôt que de manipuler son caractère par l’éducation ? Nous choisissons beaucoup de choses pour nos enfants, pourquoi pas son génome ? »
Cet eugénisme libéral est assumé par les autres intervenants : Pierre Le Coz se dit d’ailleurs « optimiste, ce n’est pas demain que l’on obligera une femme à avorter d’un enfant atteint d’une anomalie ». Il s’interroge paradoxalement sur la « vision instrumentale de l’enfant qui aura été calculé, optimisé ». Luc Ferry salue le « formidable progrès » réalisé en matière de DPN. « Evidemment, ne soyons pas hypocrites, c’est de l’eugénisme », déclare-t-il, puisque « 97% des fœtus trisomiques 21 sont avortés ». Il estime que le réflexe français qui relie « eugénisme et nazisme est ‘idiot’». Et rejoignant les propos de Bernard Baertschi, il ajoute : « Nous ne faisons pas de l’eugénisme hitlérien mais de l’eugénisme libéral » assume-t-il, sans permettre de comprendre les contours de ces différences supposées.
Damien Sanlaville relie pour sa part génétique et transhumanisme, inquiet de ce « futur vertigineux », qui nous dirige « vers une génétique méliorative ». De son côté, Guy Vallancien dément les « folies que l’on entend sur la Silicon Valley », avouant tout de même que « ce sont bien les GAFA qui gèrent le monde ».
Enfin Jean de Kervasdoué encourage les participants à « faire savoir ce qu’ils font, pourquoi, comment » : car en matière de communication sur la génétique humaine, et contrairement à la génétique animale, l’émotion est utilisée de façon positive. Il appelle cependant à la prudence : « Il ne faut pas le considérer comme éternel », le grand public pourrait se retourner…
La SFMPP, par ces quelques touches d’ « éthique », travaille son image et se donne bonne conscience. Au nom de l’ « éthique », elle justifie l’eugénisme libéral dont elle est actrice et qu’elle promeut. Elle élimine le pluralisme des personnes et consacre son énergie à organiser cette traque prénatale, plutôt que de travailler à l’élimination de mutations génétiques qui sont devenues insupportables.