Les révisions de la loi de bioéthique face au diktat des sondages

Publié le 3 Jan, 2018

Un sondage publié par le journal La Croix sur « les Français et la bioéthique » montrerait une opinion publique largement favorable à la GPA, à la « PMA pour toutes », à la légalisation de l’euthanasie ou à la modification génétique des embryons humains[1]. Jean-Marie le Méné évoque pour Gènéthique les risques d’un débat entendu.

 

Gènéthique : La Croix proposait aujourd’hui un sondage sur les questions de bioéthique. Ce sondage est présenté comme le signe d’un basculement de l’opinion publique sur ces sujets, notamment sur la fin de vie, la GPA… Pensez-vous que ce soit le cas ? Pourquoi ?

Jean-Marie Le Méné : Commencer un débat de bioéthique avec un sondage est pour le moins regrettable. Je ne crois pas qu’on fasse de vraie politique à coups de sondages, sauf peut-être pour des questions matérielles, savoir s’il faut construire un rond-point dans le village… Mais pas pour demander à la population si elle souhaite qu’on autorise la fabrication, moyennant finances, de bébés sans père. Ni pour demander à l’opinion publique si elle envisage qu’on supprime les vieux, les handicapés et les malades. Ces questions sont trop graves pour faire l’objet d’opinions. Les personnages politiques qui ont une certaine épaisseur se moquent des sondages. Robert Badinter a fait abolir la peine de mort indépendamment des sondages.

 

G : Pensez-vous que, sur ces questions, les enjeux soient bien posés et que les Français aient les informations suffisantes pour prendre une position argumentée ? Si non, quel est le risque de publier ces résultats ?

JMLM : Le problème est que nous ne faisons plus de politique mais de la gestion. Les grands principes et le bien commun ne sont plus des priorités. Il faut être pragmatique et trouver une solution, la moins mauvaise possible. C’est « L’empire du moindre mal » décrit par le philosophe Jean-Claude Michéa dans son essai sur la philosophie libérale. Peu importe la vérité, le droit arrangera les choses. L’essentiel est de ne pas faire de vagues, de rester bienveillant et ouvert à la liberté de l’autre.

Dans ces conditions, il est utile de nourrir un débat permettant de tendre vers une position consensuelle ou au moins acceptable par tous. Peu importe les questions et les réponses. Elles n’ont aucun intérêt, mais juste pour objet d’entretenir l’illusion du « prendre soin » et du « vivre ensemble ». C’est ce qui s’est passé aux Etats généraux entre 2009 et 2011. C’est ce qui risque fort de se passer en 2018. Commenter les sondages est une activité « occupationnelle » pour distraire l’opinion le temps que la technoscience et le marché s’entendent entre eux sur les transgressions à venir.

 

G : L’article met en cause une « sacralisation » de la liberté individuelle. Le philosophe Pierre Le Coz « ne cache pas son inquiétude » : « On arrive à une logique selon laquelle la liberté individuelle l’emporte clairement et de manière quasi automatique. Mais si c’est le cas, nous prenons le risque d’aller vers la fin de l’éthique ». Etes-vous d’accord avec ce constat ?

JMLM : Je regrette que quelqu’un comme Pierre Le Coz « ne cache pas son inquiétude » après avoir été vice-président du CCNE pendant des années jusqu’en 2012. Que n’a-t-il manifesté son inquiétude quand il était encore au CCNE et qu’il aurait pu déjà s’opposer à la recherche sur l’embryon, à l’eugénisme, à la loi Léonetti qui anticipait l’euthanasie, etc. ?

Nous ne prenons pas « le risque d’aller vers la fin de l’éthique », c’est fait. La création d’un comité d’éthique étatique signe la fin de l’éthique dès lors que celle-ci est discutée et mise aux voix.

 

G : Quels sont les véritables enjeux de la révision des lois de bioéthique ?

JMLM : Il n’y en a qu’un, c’est le respect de la vie et de la dignité de la personne humaine.

Toutes les lois de bioéthique ont été des lois de transgression de cet unique principe. Elles sont faites pour cela. Je crains que celle de 2018 ne fasse pas exception.

 

[1] La Croix, 3 janvier 2017, « Bioéthique, comment l’opinion a basculé » : 64% des Français seraient favorable à l’autorisation de la GPA, 60%  pour la « PMA pour toutes », que 89% d’entre eux pensent qu’il faut légaliser l’euthanasie et/ou le suicide assisté et qu’ils sont à 80% favorables à la modification génétique des embryons humains pour guérir les maladies les plus graves avant la naissance.

Jean-Marie Le Méné

Jean-Marie Le Méné

Expert

Haut-fonctionnaire, Jean-Marie le Méné est aussi l'un des fondateurs et président de la fondation Jérôme Lejeune, reconnue d'utilité publique. La Fondation Jérôme Lejeune est spécialisée dans la recherche sur les déficiences intellectuelles d'origine génétique. Soucieuse de développer des thérapies innovantes, la Fondation finance également un consortium international de recherche en thérapie cellulaire. Jean Marie Le Méné est l'auteur de plusieurs ouvrages dont "Le professeur Lejeune, fondateur de la génétique moderne" (1997, édition Mame), "La trisomie est une tragédie greque" (Salvator, 2009) et "Nascituri te salutant" (Salvator, 2009)

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