En août la commercialisation de nouveaux tests de diagnostic prénatal non invasif (DPNI) a fait irruption dans les médias européens. Les observateurs attendant cette évolution depuis longtemps ont été surpris par l’offensive, et des associations se sont senties agressées par le message de rejet des personnes handicapées implicite dans ces tests génétiques. Ceux-ci sont basés sur une technique nouvelle, permettant par une simple prise de sang chez la femme enceinte de détecter si son foetus est atteint de trisomie. Ils permettraient ainsi de remplacer les techniques invasives telles que l’amniocentèse ou la choriocentèse, indispensables au diagnostic prénatal actuel de la trisomie 21 (T21), mais entraînant des fausses couches (entre 1 et 2 %).
Au commencement, la technique…
Les tests de DPNI résultent de l’amélioration des techniques associées de screening à haut débit des séquences ADN du génome humain et d’amplification des gènes ciblés. Cette découverte remonte à 1997 quand le Pr Dennis Lo (Université de Hong-Kong) a mis en évidence que le sang de la femme enceinte recélait des brins d’ADN foetal.
En 2005, le Pr Lo a cédé au laboratoire américain californien Sequenom les brevets protégeant cette découverte. Après avoir proposé à la communauté médicale des DPNI permettant notamment la caractérisation du sexe foetal, des études cliniques ont été engagées pour des indications de diagnostic prénatal non invasif des trisomies 13, 18 et 21.
… puis l’exploitation commerciale
Plusieurs sociétés américaines ont déjà passé les étapes de l’étude clinique des DPNI et proposent des tests sur le marché américain dans un contexte concurrentiel ayant pour effet une baisse régulière et rapide des prix. Le marché le plus important concerne la T21. Cette ruée vers le marché des DPNI de la T21, évalué à près de 1 milliard de dollars par an, suscite une intense bataille juridique autour des enjeux de propriété industrielle. L’administration américaine (FDA) n’ayant pas encore validé l’utilisation de ces tests, ce qui pourrait être le cas en 2013, il n’y a pas de forte protestation de la société civile et les tests ne sont pas remboursés. Cependant, ils sont autorisés dans certains Etats et de nombreuses assurances privées les prennent en charge. Ainsi Sequenom propose depuis l’automne 2011 un DPNI 10 semaines, le MaterniT21. Son coût, 1 800 dollars, est ramené à 250 dollars en cas de prise en charge par une assurance privée. Cette offre tend à devenir la référence du marché. En Europe, le laboratoire allemand Life-Codexx a lancé la commercialisation du produit de Sequenom sous le nom de Prenatest (DPNI 12 semaines) en Allemagne, Autriche, Suisse et Liechtenstein en août 2012. Ce lancement fait suite à une étude clinique validée qui a mobilisé plus de 500 patientes.
Dans ces pays, des responsables politiques, associatifs et des médecins ont protesté. Ainsi Hubert Hüppe, défenseur des droits des handicapés en Allemagne, a rappelé que le nouveau test ne poursuit aucun but médical ou thérapeutique mais au contraire vise “presque exclusivement la sélection des personnes atteintes de trisomie 21”. Le Dr Ariane Giacobino spécialiste en génétique à Genève le rejoint : “il ne fait aucun doute que ce test soulève la question d’une diminution du nombre de naissances d’enfants trisomiques.”
La France affute sa stratégie
En France, deux acteurs s’activent pour faire autoriser la commercialisation d’un nouveau test DPNI trisomie. Le Pr Yves Ville, gynécologue obstétricien à l’hôpital Necker, vient d’engager une étude sur 3 000 patientes après une 1ère validation clinique comparative avec les méthodes classiques de diagnostic prénatal (DPN) de la trisomie. Les résultats de cette étude, qui constituera le préalable à une autorisation d’exploitation en routine, seront annoncés dans les mois à venir. Un prix est envisagé autour de 400 euros (coût actuel d’une amniocentèse). Le laboratoire français de biologie médicale CERBA aurait également lancé une étude clinique de validation et annonce un nouveau test d’ici la fin de l’année. Le coût du test constitue une grande partie du débat. Etant donné la culture de la santé existant en France il semble difficile de faire la même chose que l’Allemagne où la commercialisation a été acceptée sans remboursement. Cela ne correspond pas à la culture du risque et de la solidarité à la française. Si nouveau test il doit y avoir, il sera proposé de manière égalitaire. Le prix du dispositif est au coeur des enjeux. Le choix des autorités pourrait bien être tactique : dans un 1er temps autoriser le nouveau test à l’ensemble des femmes enceintes détectées à risque par le dépistage combiné actuel (marqueurs sériques et échographie), et non à l’ensemble des femmes enceintes. En effet, dans un 1er temps il est plus facile de faire accepter le test en remplacement de l’amniocentèse et de ses effets iatrogènes (fausses couches). Outre améliorer et prouver l’efficacité du test (qui engendre des faux positifs), le faire accepter par l’opinion semble donc la 2nde préoccupation des pouvoirs publics français. Si la manoeuvre se confirme, sera-t-elle efficace ?
Un eugénisme “silencieux et indécelable”
Car le “prix à payer” n’est pas qu’une affaire financière, l’enjeu se situant d’abord sur le plan éthique. Le Comité consultatif national d’éthique, saisi depuis la rentrée, a prévu un rapport d’ici fin décembre. Saura-t-il s’affranchir de son avis n°107 (2009) préconisant l’extension du diagnostic préimplantatoire pour détecter la T21 ? Acceptera-t-il de placer le débat là où il aurait dû être placé, à la fin des années 90 au moment où se posait la question d’organiser la généralisation du DPN de la trisomie et celle inhérente des dérives eugéniques ? Les “indicateurs de performance” du dispositif français actuel (96 % des foetus détectés trisomiques sont avortés) et l’exigence d’une nouvelle génération de professionnels de la grossesse (1) seront-ils pris en compte alors que la nouvelle séquence qui s’ouvre pourrait être considérée comme une “séance de rattrapage” ? Dans une tribune publiée sur le site d’information Atlantico (7 septembre), Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme Lejeune, éveille sur une donnée nouvelle liée à la précocité du diagnostic. Celui-ci pourra être pratiqué à un moment où l’IVG est possible. Or les femmes n’ayant pas à en justifier, les causes de ces IVG sélectives resteront inconnues, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Ainsi, “à l’extermination des bébés trisomiques s’ajoutera l’assassinat de leur mémoire. Ils seront les victimes d’un eugénisme silencieux et indécelable.”