Le protocole Maastricht III en France: retour vers une “technicisation de la mort”

Publié le 21 Mai, 2017

Une des conférences des Journées de L’ABM qui se sont tenues à Paris les 18 et  19 mai 2017, s’est concentrée sur le prélèvement d’organes sur donneurs décédés après arrêt cardiaque contrôlé. Un type de prélèvement d’organes nommé « programme Maastricht III »

 

Le prélèvement d’organes dit Maastricht III est réalisé en France depuis 2014 sur des patients qui ont fait l’objet d’une limitation ou d’un arrêt de traitements (LAT). L’arrêt cardiaque du patient est provoqué par l’arrêt des traitements (dont font partie l’alimentation et l’hydratation artificielles) et permet le prélèvement d’organes.

 

Ce type de prélèvement d’organes se pratique si plusieurs critères sont réunis, entre autres :

le patient ne doit pas être inscrit sur le registre des refus (le consentement au don d’organes est présumé) 

-la phase agonique ne doit pas être trop longue (elle ne doit pas excéder 3 heures afin que les organes ne soient pas altérés),

-la coordination entre les différentes équipes médicales qui interviennent dans ce type de prélèvement (médecins, chirurgiens préleveurs, etc.) doit être optimale. 

 

Les intervenants ont présenté leur expérience dans la pratique de ce protocole. Le docteur Videcocq, qui pratique ce type de prélèvement au CHU de Nantes, et le docteur Laurent Marin Lefèvre, praticien au CHD de la Roche-sur-Yon, deux établissements pilotes en France pour ce programme. 

 

Tous les deux se sont félicités de ce protocole de prélèvement. 

Ils notent chacun une augmentation de greffons : 23 supplémentaires à Nantes en 22 mois, et 4 sur l’année 2016 à la Roche-sur-Yon. Sur les 9 sites pratiquant Maastricht III, il y aurait eu 92 procédures de prélèvement de ce type (cf. Don d’organes après limitation ou arrêt des traitements, bilan et objectifs). Ils insistent sur le fait que les greffons seraient meilleurs que ceux prélevés après une mort encéphalique. 

 

L’un et l’autre rappellent que le prélèvement Maastricht III est rendu possible par la loi Leonetti de 2005, qui a instauré cette notion de limitation et d’arrêt de traitement, et est facilité par la loi Claeys-Leonetti de 2016, qui a créé un droit à la sédation profonde et continue et insisté sur les directives anticipées. Ils estiment que le protocole Maastricht III est une démarche qui « contribue à la réflexion éthique concernant la sédation terminale et la recherche des directives anticipées ».

 

Trois points de cette conférence interpellent : 

 

– Tout d’abord, les équipes médicales auraient été confrontées à des déceptions de proches de patients lorsque le prélèvement Maastricht III n’a pu se faire à cause d’une agonie supérieure à 3 heures. La question s’est donc posé d’augmenter les doses de sédation afin de hâter la mort et ainsi d’assurer le prélèvement d’organes pour mieux « respecter l’intentionnalité du patient et de ses proches ». Une pratique qui ne choque pas le docteur Martin Lefèvre du moment que l’on respecte « l’intentionnalité ». Il mesure son propos en rappelant aussi que les médecins n’ont pas « d’obligation de résultat » et que celle-ci ne doit pas être recherchée à tout prix. Pour l’heure, l’ABM préconise une sédation finale standard pour tous les patients qu’ils soient destinés à un prélèvement Maastricht III ou non. La représentante de l’Agence de la Biomédecine considère tout de même que l’échec du prélèvement du fait de la longueur de l’agonie rajoute de la « peine à la peine » des proches. On perçoit que le sujet n’est pas clos.

 

– Selon les praticiens intervenants et présents dans la salle, le protocole Maastricht III a permis « de standardiser nos pratiques sur la fin de vie ». Ce protocole aurait eu un impact sur la mise en œuvre de la limitation et l’arrêt des traitements de manière générale. Les équipes médicales seraient ainsi « plus attentives au confort du patient » pour récupérer des organes de qualité. Une affirmation qui questionne sur le renversement de la philosophie du soin : une pratique utilitariste qui vise à « sédater » un patient et à raccourcir sa phase agonique afin de récupérer des organes de qualité rendrait les équipes médicales plus attentives au patient ?

 

– Enfin, le docteur Laurent Martin Lefèvre qualifie le prélèvement d’organes Maastricht III de « technicisation de la mort ». Pour lui, ce protocole est « un retour en arrière » qui a pour objectif de maitriser la mort par la technique dans le but de prélever des organes. Une façon d’assumer un éloignement de la mort naturelle pour une finalité « altruiste ». Il insiste sur le fait qu’il ne faut pas le nier ni le cacher aux équipes soignantes. Selon lui, il faut plutôt leur expliquer que ce n’est pas un problème, car le protocole est proposé sur la base de la volonté du patient et de ses proches. On perçoit sans peine l’enjeu éthique de « l’euthanasie altruiste » dans son propos.  

 

L’agence de la biomédecine conclut le bilan de ce prélèvement par des commentaires positifs. Elle compte impliquer de plus en plus de centres de soins dans ce programme (Neuf à l’heure actuelle) (cf. Don d’organes après limitation ou arrêt des traitements, bilan et objectifs). 

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