L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a rejeté le 7 octobre 2010, le projet de résolution de la britannique Christine McCafferty. Celle-ci s’opposait au droit à l’objection de conscience des professionnels de santé, notamment dans le domaine de la “santé reproductive“, c’est-à-dire de l’avortement, mais également de la procréation médicalement assistée, ou de la stérilisation à visée contraceptive. Par un renversement complet, la résolution intitulée : “Accès des femmes à des soins médicaux légaux : problème du recours non réglementé à l’objection de conscience“, a été remplacée par un nouveau texte : “Le droit à l’objection de conscience dans le cadre de soins médicaux“.
La proposition McCafferty
Dans le projet de résolution initial, présenté en juin 2010, la Commission des questions sociales, de la santé et de la famille de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe disait en préambule, s’inquiéter “vivement de l’objection de conscience qui, en grande partie, n’est pas réglementée, surtout dans le domaine de la santé reproductive, dans de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe“. Elle invitait donc les Etats membres à “mettre en place un dispositif de supervision et de suivi de l’objection de conscience” selon plusieurs recommandations :
– exclure du droit à l’objection de conscience les professionnels de santé participant “indirectement“ à l’acte demandé (infirmières, aides-soignantes, anesthésistes, etc.) et le limiter pour les médecins personnellement impliqués. En cas d’urgence ou lorsqu’il n’est pas possible de diriger le patient vers un autre soignant, le médecin se voyait obligé de pratiquer lui-même le “traitement” en cause (ici, l’avortement), “malgré son objection de conscience“. Tout médecin se retrouvait donc obligé de coopérer directement ou indirectement à l’avortement ;
– créer un “registre des objecteurs de conscience” où les médecins objecteurs devraient s’inscrire ;
– créer “un mécanisme de plainte efficace” contre les objecteurs de conscience ;
– obliger les médecins à prouver que “leur objection est fondée en conscience ou sur des croyances religieuses et que leur refus est donné en toute bonne foi” ;
– priver “les institutions publiques/d’Etat telles que les hôpitaux et cliniques publics dans leur ensemble” de la “garantie du droit à l’objection de conscience“.
Les réactions
La résolution a été accueillie avec colère par la très grande majorité des professionnels de santé. Selon Gregor Puppinck, directeur du Centre européen pour la loi et la justice (ECLJ) : “Le droit de refuser de pratiquer un avortement ou une euthanasie n’est pas une question d’opinion individuelle ou de choix religieux : c’est une question de justice“. Pour le Dr Xavier Mirabel, président de l’Alliance pour les droits de la vie, en aucun cas “l’urgence” ne peut “légitimer de faire taire sa conscience, alors que c’est dans les situations les plus tendues qu’elle est le plus indispensable“. Par ailleurs, la participation indirecte à un acte ne peut pas être contrainte “sous prétexte qu’en ‘émiettant’ la responsabilité, chaque intermédiaire serait moins impliqué dans l’acte inacceptable ! ” Il avertit enfin : “Faut-il rappeler les leçons d’une histoire pas si ancienne ? Devant la justice, des médecins ont pensé pouvoir s’exonérer de leur responsabilité en cinq mots : ‘Nous avons obéi aux ordres’. Ils furent logiquement condamnés pour n’avoir pas obéi…à la loi de leur conscience“. Certains soignants pratiquant l’avortement ont aussi protesté, comme le Dr Marie-Laure Brival, présidente de l’Association nationale des centres d’interruption de grossesse et de contraception (Ancic) pour qui “la liberté de conscience reste un droit fondamental” et certaines décisions du Conseil de l’Europe “vont trop loin“.
Renversement de situation
Au Conseil de l’Europe, sous l’impulsion de deux députés, l’italien Luca Volonte et l’irlandais Ronan Muller, le texte a peu à peu été vidé de sa substance par une avalanche d’amendements (90) rappelant que le droit à l’objection de conscience est fermement ancré dans le droit international et la Convention européenne des droits de l’homme. Le nouveau texte a été adopté à 56 voix contre 21. Il réaffirme avec force que “nul hôpital, établissement ou personne ne peut faire l’objet de pressions, être tenu responsable ou subir des discriminations d’aucune sorte pour son refus de réaliser, accueillir ou assister un avortement, une fausse-couche provoquée ou une euthanasie, ou de s’y soumettre, ni pour son refus d’accomplir toute intervention visant à provoquer la mort d’un fœtus ou d’un embryon humain, quelles qu’en soient les raisons“.
Pour sauver l’IVG
Pourquoi alors cette tentative d’aliénation de la conscience des médecins ? Le Pr Arnaud Fauconnier, chef du service de gynécologie obstétrique de Poissy, apporte une réponse : “En pratique, le problème n’est pas la clause de conscience, mais l’attractivité insuffisante de cette activité [l’IVG]. Pour sauver le droit des femmes à obtenir l’IVG, il me semble indispensable d’intégrer les centres d’IVG au sein des services de gynécologie et obstétrique, et d’y associer les jeunes médecins. Il est également important de valoriser d’autres aspects de l’orthogénie, comme la prévention des IVG par un accès facilité des femmes à la contraception et l’information des adolescentes“. Au fond, le libre arbitre du soignant est considéré, au même titre que le manque d’information des jeunes, comme un obstacle à l’IVG. Ni plus, ni moins. La vigilance reste donc de rigueur…