Une équipe internationale de chercheurs, dirigée par Simon Waddington, est parvenue à traiter une souris d’un trouble cérébral fatal avant sa naissance. Leur publication date de juillet 2018, elle a suscité l’enthousiasme de la communauté scientifique, qui n’occulte pas cependant les risques d’une telle expérience chez l’homme et ses problèmes éthiques.
Les souris étaient atteintes d’un défaut sur le gène GBA codant une enzyme responsable de la dégradation de glucocérébrosides. Sans son action, ces molécules s’accumulent dans le cerveau provoquant des lésions irréversibles et la mort des souris dans les deux semaines suivants la naissance. Chez l’homme, il s’agit de la maladie de Gaucher, et les enfants atteints meurent avant l’âge de deux ans.
Les chercheurs ont testé une thérapie génique chez la souris pour tenter de les guérir in utero ; ils ont injecté un virus contenant une copie intacte du gène GBA dans le cerveau de souris à la moitié de leur gestation. Après la naissance, elles ont vécu au moins 18 mois, sans signes de lésions cérébrales. Ils ont ensuite appliqué cette thérapie à des fœtus de macaque en bonne santé, montrant qu’elle pouvait transformer le tissu cérébral sans effets secondaires graves.
La thérapie génique in utero traiterait la maladie avant même qu’elle ne se développe. Cet avantage est également valable pour des maladies qui se développeraient après la naissance, car le traitement tire aussi parti des propriétés développementales du fœtus. Avant la naissance, la barrière hémato-encéphalique, qui empêche de nombreuses molécules de passer du sang au tissu cérébral est immature, ce qui facilite la délivrance de la thérapie génique au système nerveux central. Le système immunitaire est lui aussi immature avant la naissance, et le vecteur choisi pour administrer la thérapie génique est moins susceptible de provoquer une réaction immunitaire. Une seconde injection après la naissance pourrait en outre être envisagée, le corps développant une tolérance immunitaire au vecteur. De plus, les cellules se multipliant rapidement pendant la phase de croissance du fœtus, la probabilité d’intégration du vecteur dans le génome est plus forte. La thérapie génique atteindra davantage de cellules souches chez le fœtus que chez l’enfant, ce qui représente également un atout. Enfin, la petite taille du fœtus implique un effet thérapeutique plus important du traitement, et donc une économie notable, ces thérapies étant coûteuses.
Cependant, la période fœtale est aussi fragile, et toute intervention prénatale est complexe : elle affecte « deux personnes », rappelle Anna David, spécialiste en médecine fœtale et chercheuse en thérapie génique à Londres. Si l’administration d’une thérapie génique prénatale est relativement simple, consistant en une injection dans un vaisseau sanguin ombilical, le liquide amniotique ou directement dans le tissu fœtal, elle présente un risque d’infection, d’accouchement prématuré et de fausse couche. Les risques inhérents à la thérapie génique sont également à prendre en compte : une potentielle réaction immunitaire du fœtus, son intégration à un autre endroit que celui ciblé dans le génome. En outre, si la thérapie génique passe dans le sang maternel, elle pourrait provoquer une dangereuse réaction immunitaire ou modifier génétiquement des cellules maternelles. Par ailleurs, des cellules germinales du fœtus pourraient être touchées, entrainant la transmission de ces modifications aux générations futures.
Si les chercheurs se félicitent de proposer un autre choix aux parents que l’accueil d’un enfant handicapé à vie ou l’avortement, ils s’interrogent de cette façon : « si la thérapie génique ne fonctionnait pas et laissait aux parents un enfant gravement malade pour lequel ils ne s’étaient pas préparés ? Si la thérapie ne fonctionnait que partiellement, transformant une maladie fatale en une invalidité longue durée ?» Pour ces raisons, ils privilégient pour le moment les traitements post-natals.
«Sans diagnostic prénatal, il n’existe pas de thérapie génique prénatale», rappelle un chercheur, estimant que « s’il n’y a pas de traitement prénatal pour une maladie, il serait inutile de l’identifier in utero ». « Nous allons d’abord développer des thérapeutiques, ce qui justifiera de faire des diagnostics », déclare Waddington.
Les recherches sur la thérapie génique prénatale ont débuté rapidement après le premier essai de thérapie génique humaine, avec une première publication en 1995. En 2004, Charles Coutelle, chercheur britannique, a réussi avec son équipe à traiter des souris in utero atteintes d’hémophilie B. Mais rapidement, ils s’aperçoivent que le traitement est temporaire ou entraine un risque accru de tumeurs du foie. En outre, le traitement post natal de l’hémophilie B s’étant largement amélioré, l’équipe abandonne ce champ de recherche. D’autres poursuivent les études sur l’hémophilie A, ou encore des maladies causant des lésions dès le développement du fœtus. En juin, une publication s’intéressait au traitement prénatal de la β-thalassémie chez la souris. A ce jour, c’est le traitement du retard de croissance intra utérin qui pourrait être la première thérapie génique prénatale testée chez l’homme. La thérapie consiste à administrer à la mère un gène codant une protéine qui stimule le développement des vaisseaux sanguins, augmentant les échanges entre la mère et l’enfant. Anna David a demandé les autorisations règlementaires et éthiques pour mener un essai clinique chez des femmes enceintes, le traitement ayant déjà été testé chez l’adulte.
Nature, Sarah Deweerdt (12/12/2018)