La tentation du ”tout génétique”

Publié le 2 Nov, 2007

Après l’adoption de la loi sur l’immigration autorisant le recours aux tests ADN pour les candidats au regroupement familial, La Vie consacre un large dossier au "tout génétique".

Créé en 1998 pour les seuls délinquants sexuels, le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg) compte aujourd’hui 500 000 fiches nominatives (contre 4 millions en Grande-Bretagne). Il pourrait en compter 3 millions en 2010. Depuis 2003, ce sont en effet 137 infractions qui peuvent donner lieu à un test génétique. Mais, de plus en plus de personnes refusent de se soumettre au prélèvement d’ADN, encourant deux ans de prison et 30 000 euros d’amende.

Pourtant, ces tests génétiques ont largement prouvé leur efficacité dans les enquêtes policières, aussi bien pour identifier le coupable que pour innocenter de faux suspects. Le Fnaeg aurait ainsi aidé à résoudre plus de 600 affaires.

Alors que les tests génétiques ne sont, selon la loi de bioéthique de 2004, autorisés qu’à des fins médicales ou de recherche, l’amendement Mariani ouvre une brèche.

Pourtant, en matière de santé "la ligne a déjà été franchie". Certes la génétique a permis de réelles avancées thérapeutiques, mais elle a aussi permis d’étendre le recours aux dépistages prénataux (DPN). Selon les textes, le DPN est autorisé en cas de "maladie incurable d’une particulière gravité". Pourtant, en France, des parents ont déjà eu recours au DPN pour une certaine forme de cancer du côlon… "A quelle aune mesurer la gravité, où situer la frontière, surtout quand le mythe de l’enfant parfait se fait de plus en plus prégnant ?", s’interroge l’hebdomadaire.

Comment ne pas s’inquiéter d’une possible extension de l’usage de ces tests en matière d’assurance ou d’emploi ? Même si, pour le moment, le Code civil et le Code de la santé publique l’interdisent. Ainsi une enquête réalisée aux Etats-Unis en 2000 par l’American Management Association montrait que 7 des 2 133 sociétés interrogées avaient avoué avoir eu recours aux tests génétiques pour leurs salariés. Et ce, bien que cela soit interdit. D’après Carlos de Sola, chef du service santé et bioéthique au Conseil de l’Europe, la menace de l’utilisation de la génétique est plus grande encore du côté des assurances : "s’il existe un consensus autour de l’emploi, un droit fondamental, il n’en va pas forcément de même pour les assurances privées". En Suisse, par exemple, des tests génétiques peuvent être demandés pour souscrire une assurance-vie de plus de 400 000 francs suisses (250 000 euros).

Selon la généticienne Dominique Stoppa Lyonnet (Institut Curie – Paris), "on sacralise trop la génétique" : "nous sommes encore tout petits dans ce domaine", déclare-t-elle ; dénonçant la fiabilité imparfaite de ces tests, leur difficile interprétation et l’anxiété qu’ils peuvent générer. Elle regrette enfin la rapidité avec laquelle on utilise les avancées de la recherche.

Pour le philosophe Olivier Abel, professeur à la faculté de théologie protestante de Paris et membre du Comité consultatif national d’éthique, "croire que l’on va tout régler grâce à la génétique est naïf". Ainsi, "connaître le handicap irréversible qui pèsera sur la vie d’un enfant, ou savoir quelle maladie il développera et à quel âge, ne donne pas toujours les moyens de corriger l’anomalie constatée… en dehors du pouvoir effrayant de sélectionner, avant la naissance, les existences dignes d’être vécues ou de mettre à l’écart, en proportion de leurs handicaps, les "ratés" de cette sélection."

"Pour éviter toute forme d’exclusion, on pourrait invoquer la confidentialité : c’est au sujet seul qu’il appartient de savoir, et non à l’Etat, à la Sécurité sociale, à l’employeur ou même au proche. Mais est-ce même au sujet de savoir ? Le peut-il sans briser ce qui fait de la vie une histoire racontable, un choix éthique de l’incertitude quant au futur ? Le fondement de la morale ici pourrait être de riposter par un "je ne veux pas le savoir"."

[NDLR : En matière de santé, la ligne rouge a déjà été franchie depuis longtemps, depuis que les tests génétiques ont permis la sélection d’un enfant sur ses critères génétiques… Aujourd’hui, dans notre pays,  98% des enfants trisomiques 21 dépistés in utero n’ont "tout simplement" pas le droit de vivre.]

La Vie (Corine Chabaud, Armelle Breton, Laurent Grzybowski) 01/11/07

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