Intérêt de l’enfant : le « sombre » bilan du quinquennat

Publié le 28 Mar, 2022

Alors que le quinquennat d’Emmanuel Macron s’achève, Olivia Sarton, directrice scientifique de l’association Juristes pour l’enfance, dresse un bilan pour Gènéthique. Et ouvre des perspectives.

 

Gènéthique : Ce quinquennat qui s’achève a-t-il eu à cœur de défendre l’intérêt de l’enfant selon vous ? Quel bilan dressez-vous ?

Olivia Sarton : Soulignons en premier lieu ce qui a été positif : par exemple la loi du 21 avril 2021 qui a inscrit dans le code pénal l’impossibilité d’un prétendu consentement d’un mineur de 15 ans à un acte sexuel avec un adulte, ainsi que les timides actions mises en œuvre pour protéger les enfants de la pornographie.

Mais Juristes pour l’enfance ne peut que regretter que même ces actions manquent d’ambition et ne soient pas à la hauteur des enjeux. Ainsi, plusieurs associations de victimes ont dénoncé le caractère insuffisant de la loi du 21 avril 2021. Par ailleurs à ce jour on n’a guère vu les effets de la protection des enfants contre la pornographie ou de manière générale contre les contenus violents des dessins animés, films et jeux vidéos qui leur sont destinés. Alors que depuis 25 ans, de nombreuses études montrent les effets nocifs de ces contenus [1].

Par ailleurs, ces quelques efforts ne peuvent occulter ni compenser les atteintes majeures portées aux enfants par des lois qui acceptent de sacrifier l’enfant aux désirs et aux idéologies : généralisation de la PMA avec tiers-donneur, inertie des pouvoirs publics face au démarchage effectué par des sociétés de GPA en France, tolérance coupable à l’égard des Français qui réalisent des GPA à l’étranger au mépris des droits de l’enfant, réforme de l’adoption centrée non sur le besoin d’un enfant de trouver une famille mais sur un égalitarisme entre les candidats à l’adoption (cf. Adoption : une proposition de loi vide « de l’essentiel pour sécuriser un enfant »), suppression de la possibilité pour une femme de confier son enfant à un organisme autorité pour l’adoption (OAA), suppression de la liberté de choisir l’instruction en famille, prise en charge des enfants en questionnement sur leur identité sexuée orientée vers une transition-médicale en lieu et place d’un accompagnement psychothérapeutique etc. [2]

Le bilan est donc hélas sombre car ce qui est en jeu c’est avant tout le temps de l’enfance et l’innocence de l’enfance. Ils sont niés pour avantager le plus fort, c’est-à-dire les adultes tout-puissants, les appétits financiers des marchés, les scientifiques avides d’égo… Face à ces intérêts, on retire à l’enfant la protection qui lui est due.

G : Y a-t-il des risques pour le prochain quinquennat ? L’intérêt de l’enfant est-il au cœur des programmes des candidats ?

OS : Tout dépendra bien sûr du candidat élu, mais on constate que malheureusement l’intérêt de l’enfant, au lieu d’être au cœur des débats, est une variable d’ajustement qui est trop souvent commodément écarté.

Il n’y a pas beaucoup de surprise sur les sujets à risque tant le battage médiatique est important pour préformater l’opinion de la société et obtenir au forceps une prétendue évolution des mentalités.

Des associations militantes inondent les candidats à la présidentielle mais aussi les parlementaires actuels avec leurs revendications.

Commençons par l’exploitation reproductive du corps des femmes. La majorité des candidats s’est déclarée hostile à la légalisation de la GPA sur le territoire français. Mais pendant des semaines nous avons été abreuvés d’émissions de télévision militantes (cf. « France 2 nous a présenté un Walt Disney de la GPA »). Avec la guerre en Ukraine, ce sont maintenant des interviews pathétiques de Français ayant acheté des prestations de GPA à des jeunes femmes ukrainiennes misérables, et qui se plaignent de ne pas pouvoir aller récupérer l’enfant commandé (cf. Ukraine : sous les bombes, le scandale de la GPA). Et bien sûr, l’argument utilisé est de soutenir que ces situations ne se produiraient pas si la GPA était autorisée en France. A plusieurs reprises déjà, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, s’est déclaré favorable à la GPA. La digue est bien fragile.

« On risque de voir revenir de nombreuses revendications liées à la PMA »

Mais il n’y a pas que la GPA. On risque de voir revenir de nombreuses revendications liées à la PMA : PMA post-mortem, ouverture des activités de prélèvement, recueil et conservation des gamètes au privé à but lucratif (banque de gamètes), « indemnisation » (c’est-à-dire rémunération) des donneurs, ouverture de la PMA aux personnes trans (c’est-à-dire possibilité pour une personne trans d’utiliser ses gamètes correspondant à son sexe de naissance pour concevoir un enfant, tout en étant identifiée sur l’acte de naissance de l’enfant dans le sexe opposé) (cf. Né homme, la justice ordonne qu’il soit déclaré “mère” de son enfant).

D’un point de vue plus large, le marché de la procréation artificielle est décidé à rafler toute la mise, c’est-à-dire à disqualifier totalement la procréation naturelle au profit de la PMA, avec la clé la réification de l’enfant, l’eugénisme libéral et toutes les dérives déjà dénoncées lors de la loi de bioéthique [3].

Sur le sujet de la famille et de la filiation, nous devrions voir arriver des projets ou propositions de loi sur la reconnaissance de la pluriparenté, ou sur le partage de l’autorité parentale entre plus de deux adultes (cf. Partage de l’autorité parentale entre 4 adultes : « S’investir auprès d’un enfant ne confère en soi aucun droit sur lui »).

Dans toutes ces revendications, on voit que ce qui est privilégié, c’est la volonté des adultes de se créer des formes de vie centrées sur leurs désirs à eux et non sur les besoins des enfants.

« Plusieurs candidats ont annoncé leur intention de poursuivre l’œuvre de déconstruction »

Quant à l’identité sexuée, ce domaine n’est pas en reste. Plusieurs candidats ont annoncé leur intention de poursuivre l’œuvre de déconstruction de l’indisponibilité de l’état des personnes en rendant la mention du sexe à l’état-civil définitivement à la merci de la volonté de chacun, qu’il soit majeur ou mineur. Chacun pourrait donc en mairie gratuitement modifier la mention de son sexe à l’état-civil selon son ressenti du moment. Là encore, l’entrisme des militants dans les plus hautes sphères des pouvoirs publics est très avancé (cf. La fragile protection des enfants face aux lobbies trans-affirmatifs) et nous risquons de voir ce sujet revenir sur le devant de la scène dans les semaines qui suivent l’élection.

G : Quelles sont les priorités ? Quelles mesures préconisez-vous ?

OS : Il y a beaucoup à faire.

Concernant les sujets évoqués ci-dessus, il faudrait agir de manière cohérente et lucide.

En ce qui concerne l’exploitation reproductive de la femme, il faut incriminer les GPA réalisées à l’étranger et œuvrer pour l’abolition universelle de la GPA, c’est la seule manière de mettre un terme à ce scandale.

Il faut privilégier une « écologie humaine »[4] pour contrer le développement du marché de la procréation artificielle. Concrètement, cela passe par des mesures comme :

  • Soutenir la stabilité des familles et re-valoriser l’image de la maternité et de la paternité pour que les Français n’attendent pas 35-40 ans pour essayer de commencer à avoir leur premier enfant ;
  • Développer une politique de soutien aux femmes et aux familles pour permettre aux femmes confrontées à une grossesse non désirée d’avoir véritablement la possibilité de garder leur enfant ;
  • Soutenir et développer les programmes d’aide médicale favorisant les conceptions naturelles ;
  • Mettre fin à la PMA avec tiers-donneur ;
  • Promouvoir une fécondité basée sur les besoins des enfants déjà là et non sur une procréation artificielle et eugéniste, c’est-à-dire promouvoir le rôle des familles d’accueil (assistants familiaux), le parrainage de proximité ou plus lointain : plutôt que de commander un enfant par GPA en Ukraine, il faut encourager à parrainer un enfant et sa famille en difficulté : les accueillir pour des vacances, aller leur rendre visite, les soutenir financièrement, lorsque cela est possible accueillir l’enfant parrainé pour une année scolaire ou plus pour lui permettre de s’immerger dans la culture française et de parler couramment la langue, etc.

En ce qui concerne les questionnements de genre chez l’enfant et l’adolescent, Juristes pour l’enfance préconise d’inscrire formellement dans le Code civil l’interdiction de la modification du sexe à l’état-civil pour les mineurs ainsi que l’interdiction de toute transition médicale pour les mineurs (et soumettre les transitions médicales et/ou chirurgicales pour les jeunes majeurs jusqu’à 24 ans, à des conditions strictes et en dernier recours lorsque l’approche psychothérapeutique a échoué).

Juristes pour l’enfance demande le rétablissement du régime déclaratif pour l’instruction en famille, en prévenant les éventuelles dérives par la mise en œuvre des contrôles prévus par la loi diligentés aux échéances prévues.

La lutte contre l’exposition des enfants à la pornographie et aux contenus violents dans les films et jeux vidéos devrait être une priorité. Il conviendrait également de lancer une grande enquête sur l’incidence des réseaux sociaux et des écrans sur la santé et le bien-être des enfants, et prendre les mesures qui s’imposeront en conséquence.

Il faudrait une véritable réforme de l’adoption qui mette l’accent sur le sort des enfants en attente d’adoption et l’urgence de leur trouver une famille, ce qui impliquerait notamment des mesures pour aider les candidats à l’adoption à se tourner vers l’accueil d’enfants différents de l’enfant idéal qu’ils imaginent.

Enfin, il nous paraît urgent de restaurer le respect de l’autorité parentale puisque, sauf exception, les parents sont les mieux placés pour prendre les décisions concernent leurs enfants (cf. Genre, IVG, santé : protéger l’enfant). Il faut là encore mettre en place des mesures de soutien aux parents, en s’appuyant sur le réseau associatif qui propose déjà de nombreuses offres pour les étayer [5].

 

[1] Sur la pornographie, interview d’Anne-Sixtine Pérardel et Maria Hernandez-Mora de l’asso Déclic : https://www.youtube.com/watch?v=fXbEkWqY1eg&list=PLo7TGs7ujfOUtwqnt1Yov81DCNPnAlAOR&index=1&t=7s

Sur les contenus violents : « comment la violence sur écran rend les ados agressifs », Dr Nathalie Szapiro-Manoukian, https://www.lefigaro.fr/sciences/comment-la-violence-sur-ecran-rend-les-ados-agressifs-20220327

[2] Juristes pour l’enfance interpelle les candidats à l’élection présidentielle

[3] Cf. Olivia Sarton : PMA : ce qu’on ne vous dit pas, Business, lobbying et compromissions, risques pour la santé, faibles taux de réussite…, Téqui 2020

[4] René et Isabelle Ecochard, Petit manuel d’écologie humaine, Le Centurion, 2016

[5] https://udaf69.fr/groupes-de-parole-enfants/

https://www.afc-france.org/nos-propositions/categorie/enfants/chantiers-education/

Photo : Freeimages

Olivia Sarton

Olivia Sarton

Expert

Avocat de formation, elle a exercé près d’une quinzaine d’années au barreau de Paris. Elle a rejoint Juristes pour l’enfance à l’automne 2019, en qualité de Directrice scientifique.

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