Le 18 novembre dernier, à l’occasion d’un colloque, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn a fait le point sur l’avancement des projets concernant l’utilisation de l’intelligence artificielle en santé.
La ministre de la santé veut lancer la recherche française dans la course internationale et elle estime que « la modernité numérique » doit permettre de « mieux maitriser le monde », d’ « innover toujours plus » et de « viser la satisfaction des besoins » (cf. Discours de Madame Agnès Buzyn – Colloque « Données de santé et intelligence collective »). Vaste programme, un tant soit peu irréaliste. Au moins dans son dernier aspect. Pour elle, « le numérique et l’intelligence artificielle vont nous permettre – dans les 10 prochaines années – d’améliorer notre système de santé, tant au niveau individuel que collectif ».
En avril dernier, la ministre avait déjà défini cinq orientations, parmi lesquelles l’intensification de la sécurité et de l’interopérabilité des systèmes d’information en santé, mais aussi le déploiement au niveau national de plateformes numériques de santé, avec à partir du 1er janvier 2022, l’ouverture d’un « Espace Numérique de Santé » pour chaque Français. Est-ce une nouvelle version du Dossier Médical Partagé qui était jusqu’alors laissé au choix de chaque assuré et qui serait dès lors systématique ? On peut se demander dans ce cadre, ce que devient le consentement de chaque patient quant à ses données personnelles. Mais il semble que ces grands principes, acquis après-guerre à l’occasion des procès de Nuremberg, embarrassent fort aujourd’hui. Et dans de nombreux domaines. L’objectif annoncé est de permettre à chacun de « devenir acteur de sa santé, en gérant ses données ». Chacun aura la possibilité d’« accéder à des applications référencées par les pouvoirs publics et développées par l’écosystème public et privé ».
Dans le fond, il s’agit de rassembler les millions, les milliards de données de santé des Français pour les remettre les yeux fermés à l’Etat qui les mettra à disposition d’un certain nombre de projets de recherche dans le but de concurrencer le géant Google, très impliqué sur le nouveau marché, en pleine croissance, des données de santé justement… La ministre annonce d’ailleurs que neuf projets « peuvent commencer les travaux techniques de collecte des données ». Dès l’année prochaine, ces projets utiliseront « la plateforme technolgique du Health Data hub », la plateforme française des données de santé, qui doit être officiellement créée le 1er décembre prochain. La ministre en rappelle l’objectif : « mettre rapidement au service du plus grand nombre notre patrimoine de données de santé sous une forme anonymisée, dans le respect de l’éthique et des droits fondamentaux des citoyens ».
Certes les données seront anonymisées, mais on sait d’ores et déjà que ce procédé est illusoire, que les recoupements sont possibles et que l’anonymat est un vœu pieu. Et pour quels projets de recherche exactement ?
Pour devenir un outil opérant, le recueil des données devra passer au crible d’un certain nombre de procédures. Les données doivent être standardisées, pour être exploitables et éviter des biais qui, l’erreur dans leur collecte étant humaine, seront de facto inévitables.
Officiellement, toutes ces mesures se veulent au service des patients. Il s’agit ni plus ni moins de « changer, dans un temps court (…) leur quotidien et celui des professionnels de santé », mais en éloignant d’eux la médecine puisqu’elle ronflera désormais dans les processeurs des ordinateurs, autrement nommés intelligence artificielle. Ce qui est particulièrement dommageable. Et d’un côté comme de l’autre, quand on évoque le nombre de Français ayant souscrit au Dossier médical partagé, les chiffres publiés, on parle de 8 millions, ne font pas état d’un engouement pour cette nouvelle forme, électronique, de dossier médical.
Pourquoi un tel projet ? Les arguments font partie désormais d’une rhétorique qui manque d’originalité : « nous ne devons pas subir le rythme imposé par d’autres » et « de nombreux pays sont en train de mettre en place des projets équivalents ».
Agnès Buzyn souhaite « établir un dialogue avec la société civile sur ce sujet » pour informer, et aussi écouter « les craintes » et les « inquiétudes » de chacun « pour y apporter des réponses et des garanties ». Mais les récentes consultations laissent peu d’espoir dans ce domaine.
Les chercheurs trouveront sans aucun doute intellectuellement fascinant de se plonger dans de tels outils, mais les découvertes seront-elles en adéquations avec les moyens déployés ?
Pour aller plus loin :
Du carnet de santé numérique à la recherche en santé : que deviendront nos données ?
L’Assemblée Nationale pour la mise en place de l’ « espace numérique de santé »
Espace numérique de santé : vers une création automatique ?