La clause de conscience des pharmaciens est un droit de l’homme

Publié le 25 Juil, 2016

L’annonce d’une consultation des pharmaciens sur l’introduction d’une clause de conscience dans le nouveau code de déontologie a suscité une levée de bouclier du gouvernement et de certaines associations (cf. L’Ordre des pharmaciens élabore son nouveau Code de Déontologie et Clause de conscience des pharmaciens : « l’affaire prend une dimension politique et idéologique »). Si l’Ordre a décidé de renoncer à cette consultation, la question se devra d’être de nouveau posée le 6 septembre lors de l’adoption de ce nouveau code (cf. Clause de conscience des pharmaciens : sous la pression, l’Ordre renonce à « une consultation transparente et ouverte »).

 

Grégor Puppinck est Docteur en droit, Directeur de l’ECLJ et auteur de l’essai « Objection de conscience et droits de l’homme », publié par Société Droit et Religion, CNRS Editions, juillet 2016[1]. Il vient d’être nommé membre du panel d’experts de l’OSCE[2]/ODIHR[3] sur la liberté de religion ou de croyance, la principale autorité institutionnelle en matière de liberté de religion et de conscience[4], pour 3 ans.

 

Il replace la clause de conscience des pharmaciens dans son cadre, estimant que « la clause de conscience des pharmaciens est un droit de l’homme » découlant du droit au respect de la liberté de conscience.

 

Dans le cadre de la révision de son Code de déontologie, l’Ordre des pharmaciens envisage d’y intégrer la mention explicite d’une « clause de conscience ». Surprise, cette initiative crée la polémique et inquiète le gouvernement qui y voit une menace pour l’accès à l’avortement médicamenteux (pilule du lendemain).

 

La « clause de conscience » est une composante de la liberté de conscience

 

Cette clause garantirait à chaque pharmacien le droit de « refuser d’effectuer un acte pharmaceutique susceptible d’attenter à la vie humaine ». A ce jour, ce droit est déjà garanti aux médecins et à tous les auxiliaires médicaux ainsi qu’aux sages-femmes et aux chirurgiens-dentistes. Il est aussi reconnu aux pharmaciens dans de nombreux autres pays européens. C’est le cas notamment de nos voisins, belges, britanniques, espagnols, italiens et portugais. Les pharmaciens français font donc doublement figure d’exception en France et en Europe. Plus généralement, c’est ce même droit « de ne pas tuer » qui est aussi reconnu face au service militaire.

 

En fait, les pharmaciens français, comme toute autre profession, possèdent déjà potentiellement ce droit, puisqu’il leur est garanti au titre de la liberté de conscience par le droit européen et international. Ceux qui veulent l’exercer peuvent déjà l’invoquer devant les juridictions françaises et internationales qui devront alors en fixer les limites.

 

La Cour Européenne des droits de l’homme reconnaît « la liberté de conscience des professionnels de la santé »

 

Il est vrai qu’il y a plus de 15 ans, dans l’affaire Pichon et Sajous contre la France, la Cour européenne des droits de l’homme avait accepté qu’un pharmacien soit sanctionné pour son refus de vendre la pilule. Mais cette décision ancienne a été fort critiquée, car pour justifier sa position, la Cour a observé que le pharmacien conserve, nonobstant l’obligation de délivrer des pilules abortives, la faculté de manifester ses convictions « hors de la sphère professionnelle ». De fait, cette faculté de manifester ses convictions hors du cadre professionnel ne réduit en rien la contrainte à laquelle il était soumis dans ce cadre.

 

Plus récemment, la Cour européenne a reconnu à plusieurs reprises le droit du personnel médical à la liberté de conscience, estimant qu’il appartient aux Etats « d’organiser leur système de santé de manière à garantir que l’exercice effectif de la liberté de conscience des professionnels de la santé dans le contexte de leurs fonctions n’empêche pas les patients d’accéder aux services auxquels ils ont droit en vertu de la législation applicable ». Ainsi, la Cour de Strasbourg tient pour acquis que l’Etat ne peut pas obliger un professionnel de la santé à agir contre sa conscience, même pour délivrer un « service » légal, tel que l’euthanasie.

 

Avortement, euthanasie, biotechnologies : le Conseil de l’Europe reconnaît le droit de ne pas tuer.

 

Le « Droit à l’objection de conscience dans le cadre des soins médicaux légaux » a aussi été solennellement réaffirmé en 2010 par le Conseil de l’Europe, garantissant ce droit à toute personne et établissement de refuser « de réaliser, d’accueillir ou d’assister un avortement, une fausse couche provoquée ou une euthanasie » ou « toute intervention visant à provoquer la mort d’un fœtus ou d’un embryon humains ».  De même, en 1989, le Comité d’experts du Conseil de l’Europe en matière de bioéthique avait aussi affirmé ce droit.

 

En outre, la Cour de Strasbourg exige des législations nationales qu’elles soient cohérentes et non discriminatoires, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Il est incohérent et discriminatoire de reconnaître la clause de conscience à toutes les professionnels de santé à l’exclusion des pharmaciens. En effet, que l’euthanasie soit pratiquée au moyen d’un comprimé ou d’une perfusion ne change rien à la nature de l’acte. Celui qui vend le comprimé est autant engagé moralement par l’acte que celui qui pratique la perfusion. Il est donc incohérent de garantir le droit de ne pas pratiquer la perfusion et de refuser celui de ne pas vendre le poison. Le pharmacien collabore directement à l’euthanasie dès lors que l’usage et l’effet du poison délivré ne laissent place à aucun doute.

 

L’objection de conscience : un « signal d’alarme » pour la société

 

Il est parfois objecté que les professionnels de santé ne devraient pas avoir de liberté de conscience car ils choisissent librement leur profession. Cela reviendrait paradoxalement à interdire ces professions aux personnes qui justement refusent « d’attenter à la vie humaine ». En outre, tous ces professionnels doivent s’engager à exercer leur profession avec conscience, ce qui est une garantie pour les patients. Or, pour nombre d’entre eux, l’euthanasie est étrangère à leur profession.

L’euthanasie et la stérilisation forcée ont été largement pratiquées au XXe siècle, et pas seulement dans l’Allemagne nazie ; il aurait été bon qu’à l’époque les médecins et les pharmaciens bénéficient d’une clause de conscience, et surtout qu’ils l’exercent !

 

La clause de conscience n’est pas qu’une liberté individuelle, elle est aussi un signal d’alerte pour toute la société. Si de nombreux médecins et pharmaciens refusent de pratiquer un acte, les autorités publiques ne devraient pas chercher à les y forcer, mais devraient s’interroger sur les causes de ce refus, car ce n’est pas la loi, mais bien la conscience individuelle qui est l’ultime juge de la justice.

 

Refuser toute clause de conscience aux pharmaciens, comme semble le vouloir le gouvernement,  au motif qu’ils pourraient l’exercer contre la délivrance de « pilule abortive » n’a aucun sens et est une insulte à cette profession, d’autant plus que toutes les autres professions médicales peuvent refuser de participer à une IVG. Il faut faire confiance au professionnalisme des pharmaciens et à la conscience individuelle… plus qu’à la loi.

 

[1] Il est possible de se procurer cette étude à l’adresse suivante : ecljofficiel@gmail.com.

[2] Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe.

[3] Office for Democratic Institutions and Human Rights.

[4] Le rôle du panel est de fournir des avis, des orientations et des recommandations à l’ODIHR et à travers l’ODIHR aux Etats membres de l’OSCE sur le questions relatives à la liberté de religion ou de conviction pour tous, y compris le (projet) la législation, les politiques et les pratiques de l’État dans ce domaine ; la mise en œuvre des engagements pertinents de l’OSCE ; la recherche, la rédaction et/ou de l’examen des documents relatifs au cadre normatif international dans le domaine de la liberté de religion ou de conviction , et les efforts d’éducation et de renforcement des capacités menées par l’ODIHR pour faire progresser la liberté de religion ou de conviction pour tous dans la région de l”OSCE .


 
Grégor Puppinck

Grégor Puppinck

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Grégor Puppinck est Directeur de l'ECLJ. Il est docteur en droit, diplômé des facultés de droit de Strasbourg, Paris II et de l'Institut des Hautes Études Internationales (Panthéon-Assas).

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