40 ans du 1er bébé éprouvette : entre “puissance prométhéenne des chercheurs”, “ambitions mercantiles des industriels” et “exigences de certaines minorités”

Publié le 28 Fév, 2022

Amandine, le premier « bébé-éprouvette », est née il y a 40 ans. Et « force est de constater que ce qui n’était qu’un bricolage de laboratoire a vite ouvert des champs infinis aux nouveaux biologistes dits “moléculaires” et que la société s’est démontrée incapable de contenir la puissance prométhéenne des chercheurs autant que les ambitions mercantiles des industriels ou les exigences de certaines minorités ». Dans une tribune pour le journal L’Humanité, le biologiste Jacques Testart, l’un des « pères scientifiques » d’Amandine, analyse l’évolution de la bioéthique au cours des dernières décennies.

Un élargissement constant

« Amandine avait douze ans quand les conditions de sa conception furent définies dans la première loi de bioéthique, laquelle ambitionnait alors de traduire une morale de l’intervention sur le vivant humain », rappelle le scientifique. Une loi « révisée tous les 5-7 ans mais à chaque fois dans le sens de l’élargissement de ce qui était déjà permis, aux noms confondus du progrès des connaissances, de l’efficacité médicale, de l’évolution de la société ou encore de la compétition internationale, toutes préoccupations dont la morale devrait se méfier ».

« Des connaissances nouvelles et des demandes inédites sont venues ces dernières années, bouleverser la pratique de l’Assistance médicale à la procréation (AMP), souligne Jacques Testart. Et, s’il n’était pas imprévisible que la FIV engendre un sur trente des bébés nés 40 années après Amandine, qui aurait pu imaginer que, en 2022, des femmes n’ayant aucun problème de fertilité auraient recours à l’AMP remboursée par la sécurité sociale au motif de l’absence d’un partenaire masculin ou encore que les cellules souches prélevées chez des embryons issus de FIV généreraient d’énormes bénéfices industriels et d’extraordinaires possibilités de renouveler ou modifier le vivant ? »

Une dernière loi qui ne fait pas exception

La dernière loi de bioéthique votée en 2021 « encourage les chercheurs à introduire des cellules humaines dans un embryon animal pour constituer des chimères destinées à pourvoir au manque d’organes à transplanter, à modifier le génome d’embryons humains pour corriger des “anomalies” ou encore à fabriquer en laboratoire des gamètes (ovules et spermatozoïdes) en grand nombre pour améliorer les chances de procréation de certaines personnes », rappelle le biologiste.

« Si la bioéthique s’encombrait encore de morale ou de valeurs humanistes elle poserait des questions sur les conséquences vraisemblables de telles manipulations », pointe-t-il. Et les questions sont nombreuses. « Qu’en est-il, chez les chimères humain/animal, des ruptures d’identité pour l’humain ou pour l’animal et de l’impact de tels faits accomplis sur nos représentations du vivant ? Pourquoi vouloir modifier le génome de l’embryon humain si nul n’a le projet, qu’interdisent encore les conventions internationales, de faire naître des bébés OGM ? Quelles barrières à un eugénisme de masse si la profusion de gamètes fabriqués, et donc d’embryons disponibles, permet de sélectionner, parmi les futurs bébés, ceux qui seront conformes au jugement scientifique ? » (cf. Avis du CCNE : « L’eugénisme n’a plus besoin de coercition »)

Une suite déjà en préparation

« Les médias servent bien cette dynamique scientiste et néolibérale comme en concentrant l’attention du pays sur un thème marginal mais “sociétal, dénonce Jacques Testart. Pour la révision de 2021 l’arbre qui cachait la forêt fut la “PMA pour toutes ».

Car « déjà des chercheurs et industriels préparent la prochaine révision (2026-28) avec une offensive vers la sélection génétique de tous les embryons (cf. DPI-A : le comité d’éthique de l’Inserm contourne le législateur), le façonnage du génome des futurs enfants, ou encore le dépistage préconceptionnel des défauts génétiques des futurs parents, renouveau du certificat prénuptial initié sous Pétain ». « Cette fois la forêt eugénique pourrait être cachée par l’arbre de la GPA (gestation par autrui) », anticipe-t-il.

Arriver à poser des limites ?

« Les nécessaires limites des interventions de la biomédecine si on veut échapper aux délires transhumanistes [1] », ne sont jamais évoquées, regrette Jacques Testart, « ni le recours à de véritables conventions citoyennes [2] si on estime que seule la population est en mesure de poser ces limites ».

« Amandine a 40 ans, la démocratisation des choix médico-techniques est en cours d’invention. »

 

[1]Au péril de l’humain. Les promesses suicidaires des transhumanistes, Seuil, 1998

[2]L’humanitude au pouvoir. Comment les citoyens peuvent décider du bien commun, Seuil, 2015

Source : L’Humanité, Jacques Testart (26/02/2022)

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