Le Sénat, majoritairement à droite, a adopté la proposition de loi de la ministre Laurence Rossignol, prévoyant de pénaliser « les sites de désinformation » sur l’avortement. Les sénateurs ont voté ce texte par 173 voix et 126 contre (dont 115 LR, 7 UDI-UC et 4 non inscrits). La veille, la Commission des Affaires sociales du Sénat avait modifié le texte, pour éviter tout risque d’inconstitutionnalité ou d’inconventionnalité (cf. La commission des affaires sociales du Sénat réécrit la PPL sur le délit d’entrave numérique à l’IVG). La proposition de loi doit à présent faire l’objet d’une relecture définitive à l’Assemblée. L’objectif du gouvernement est qu’elle soit adoptée par le Parlement avant la fin de la session parlementaire, soit d’ici à fin février (cf. Délit d’entrave numérique à l’IVG : L’Assemblée nationale adopte la censure).
Pourtant, la Commission des lois avait donné un avis défavorable le matin même de la discussion en séance, considérant que le texte de la commission des affaires sociales était « inconstitutionnel » et susceptible de « porter une atteinte substantielle à la liberté d’expression ». La Commission des lois a également déploré « l’absence d’étude d’impact et d’avis du Conseil d’Etat ».
Le rapporteur du texte, Michel Mercier (UDI), a défendu cet avis défavorable lors de la réunion de la commission des lois, au nom « du droit constitutionnel et conventionnel ». Il a ainsi estimé que cette rédaction ne permettrait pas la caractérisation de la faute : « Ce texte porte une grave atteinte au droit à la liberté d’expression», une « liberté fondamentale, mère de toutes les autres libertés et garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme », a-t-il martelé (cf. Délit d’entrave numérique à l’IVG : vers une entrée “dans la police des idées et dans la dictature d’une vision totalitaire” ?).
Bruno Retailleau (LR) a aussi affirmé que le texte était « anticonstitutionnel » et « anti-conventionnel », ajoutant : « C’est un texte clairement liberticide ». Quant à Philippe Bas (LR), président de la Commission des Lois du Sénat, il a souligné l’ « absurdité » d’un tel texte, affirmant qu’« une pression morale ne s’exerce pas urbi et orbi mais sur une personne. Un site internet ne pourra jamais être poursuivi sur ce fondement. Voter ce texte serait un faux semblant ».
L’ « urgence » et l’ « improvisation » d’un texte « bâclé »
Philippe Bas a jugé qu’une législation « dans de telles conditions d’improvisation » avait de fortes chances de « rater sa cible ». Michel Mercier a dénoncé une « urgence incompréhensible », que Françoise Gatel (UDI-UC) a suivie en ajoutant : « A une vraie question, on oppose une réponse électoraliste inopérante » (cf. Nouveau tour de force du gouvernement pour imposer un délit d’entrave numérique à l’IVG).
De nombreux parlementaires ont également pointé du doigt « un travail dans l’urgence » sur un sujet aussi sensible et complexe. Certains, comme Alain Millon (LR), allant jusqu’à dénoncer une véritable manœuvre politique : « Nous sommes bien là face à une manipulation, ou pour le moins à une instrumentalisation de cette question essentielle pour le droit des femmes, à des fins peut-être politiciennes. Pourquoi une telle urgence à légiférer ? Pouvez-vous évaluer l’incidence de ces réseaux sur la liberté de choix des femmes ? » (cf. Délit d’entrave numérique : “procédure accélérée” ou précipitation ?).
Une « amélioration purement cosmétique »
Les sénateurs ont voté une « rédaction plus recentrée » du dispositif proposée par leur commission des Affaires sociales, prévoyant sans ambiguïté que la « communication électronique fait partie des moyens par lesquels peuvent s’exercer les pressions morales et psychologiques », et précisant que les personnes cherchant à s’informer sur l’IVG, notamment sur internet, peuvent être reconnues « victimes de ces pressions ».
La Fondation Jérôme Lejeune a qualifié les modifications de la commission des lois d’ « amélioration purement cosmétique » (cf. Délit d’entrave numérique à l’IVG : “Mal nommer les choses contribue au malheur des femmes”). Pour Grégor Puppinck, directeur de l’European Centre for Law and Justice, même si le texte diffère légèrement de celui adopté par l’Assemblée nationale il « demeure gravement liberticide » : « La nouvelle formulation, bien que mieux rédigée d’un point de vue formel, aggrave l’atteinte portée à la liberté d’expression par le délit d’entrave qui est réellement un délit d’opinion. Elle réduit fortement la liberté d’expression, permet de harceler juridiquement les opposants à l’avortement, et ouvre davantage la porte à l’arbitraire », assure-t-il (cf. Délit d’entrave numérique à l’IVG : “Ce n’est pas en affirmant que l’IVG n’est rien du tout qu’on rend service aux femmes”).