Interfaces cerveau-ordinateur : une menace pour notre vie privée ?

Publié le 9 Nov, 2021

« Le crâne est le bastion de la vie privée, et le cerveau est la dernière partie privée de nous-mêmes », estime Tom Oxley, un neurochirurgien australien. C’est aussi le PDG de Synchron, une entreprise de neurotechnologies « qui a testé avec succès des implants cérébraux de haute technologie permettant aux gens d’envoyer des courriels et des SMS par la seule pensée ». En juillet, Synchron a obtenu l’autorisation de la Food and Drug Administration (FDA) de mener des essais cliniques d’interfaces cerveau-ordinateur (ICO) sur des êtres humains. C’est la première entreprise à avoir obtenu une telle autorisation (cf. Elon Musk présente le premier dispositif d’interface cerveau-machine).

Le principe de la technologie réside dans l’introduction d’électrodes dans le cerveau de patients paralysés via leurs vaisseaux sanguins. Les électrodes y enregistrent l’activité cérébrale et transmettent les données à un ordinateur, « où elles sont interprétées et utilisées comme un ensemble de commandes, permettant aux patients d’envoyer des courriels et des SMS ». « Nous sommes totalement concentrés sur la résolution de problèmes médicaux », tient à préciser le PDG de l’entreprise.

Un risque d’intrusion

Pour David Grant, chercheur à l’université de Melbourne, « le potentiel des neurosciences pour améliorer nos vies est presque illimité », mais « le niveau d’intrusion qui serait nécessaire pour concrétiser ces avantages… est important ». Le chercheur craint le passage de ces technologies de la médecine « à un monde commercial non réglementé ». Un scénario dystopique qui conduirait à « une détérioration progressive et implacable de notre capacité à contrôler nos propres cerveaux ».

« Je reconnais que le cerveau est un endroit très privé et que nous sommes habitués à ce qu’il soit protégé par notre crâne. Ce ne sera plus le cas avec cette technologie », admet Tom Oxley.

Déjà, des casques sont commercialisés en Chine pour améliorer la concentration des élèves. Et des casques ont été utilisés sur des sites miniers en Australie pour « suivre la fatigue des chauffeurs routiers ».

Le besoin de « neurodroits » ?

En 2017, Marcello Lenca, bioéthicien européen, a proposé une nouvelle classe de droits : « les neurodroits », c’est-à-dire « la liberté de décider qui est autorisé à surveiller, lire ou modifier votre cerveau » (cf. Le Chili veut garantir les droits du cerveau et Neurosciences, entre progrès et droits de l’homme).

Mais pour David Grant, c’est insuffisant. « Notre notion actuelle de la vie privée sera inutile face à une intrusion aussi profonde », affirme-t-il et « il est naïf de penser que nous pouvons régler ce problème en adoptant une loi ». En effet, les casques utilisés en Chine ou en Australie génèrent des données à partir de l’activité cérébrale des utilisateurs, et « il est difficile de savoir où et comment ces données sont stockées, et encore plus difficile de les contrôler ».

Le chercheur propose de développer des « algorithmes personnels » qui fonctionnent « comme des pare-feux hautement spécialisés entre une personne et le monde numérique ». Des codes qui « pourraient s’engager dans le monde numérique au nom d’une personne, protégeant son cerveau contre toute intrusion ou altération ».

Des questions futuristes ?

« La lecture des pensées ? Cela n’arrivera pas, estime le professeur Adrian Carter, neuroscientifique et éthicien de l’université Monash de Melbourne, en Australie. Du moins pas de la manière dont beaucoup l’imaginent. Le cerveau est tout simplement trop complexe. Prenez les interfaces cerveau-ordinateur : oui, les gens peuvent contrôler un appareil en utilisant leurs pensées, mais ils doivent s’entraîner pour que la technologie reconnaisse des schémas spécifiques d’activité cérébrale avant de fonctionner. Il ne suffit pas de penser ‘ouvre la porte’ pour que cela se produise ».

Mais le professeur Carter rappelle que « certaines des menaces attribuées aux neurotechnologies futures sont déjà présentes dans la façon dont les données sont utilisées par les entreprises technologiques au quotidien ». « L’intelligence artificielle et les algorithmes qui décryptent les mouvements des yeux et détectent les changements de couleur et de température de la peau » en sont des exemples. Ils lisent les résultats de l’activité cérébrale « à des fins publicitaires ». Des données qui « sont utilisées avec des intérêts commerciaux depuis des années pour analyser, prédire et influencer les comportements ». « Des entreprises comme Google, Facebook et Amazon ont gagné des milliards » grâce à ce type de données.

De son côté Tom Oxley estime ne pas être naïf quant aux usages possibles de ces technologies. Et il indique que « le financement initial de Synchron provenait de l’armée américaine, qui cherchait à développer des bras et des jambes robotisés pour les soldats blessés, actionnés par des puces implantées dans leur cerveau ».

 

Source : The Guardian, Kate Wild (06/11/2021) – Photo : iStock

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