Libération publie une double page présentant les points de vue opposés d’Israël Nisand, professeur de gynécologie obstétrique au CHU de Strasbourg et de Myriam Szejer, pédopsychiatre et psychanalyste, sur la gestation pour autrui (GPA).
Favorable à la GPA, Israël Nisand affirme que l’interdiction totale de cette pratique en France "engendre plus d’effets pervers que d’avantages". Selon lui, l’existence d’un marché mondial des mères porteuses n’est pas un argument pour interdire cette pratique en France mais souligne "le devoir de notre pays de se doter d’une loi exemplaire qui soit autre chose que le simple refoulement de problèmes difficiles hors de nos frontières". Reconnaissant que le principe de l’indisponibilité du corps humain est au centre du débat, Israël Nisand fait valoir que le don d’organes entre vivants porte aussi atteinte à ce principe. Selon lui, "le consentement d’un adulte correctement informé et non vulnérable constitue […] le seul guide raisonnable" tandis que "interdire pour protéger les Français contre eux-mêmes […] constitue une option autoritaire et paternaliste que rien ne justifie".
Evoquant la question des liens qui se développent entre la mère et l’enfant pendant la grossesse, il déclare qu’ "une femme peut s’attacher à l’enfant qu’elle porte en elle, comme une nourrice agréée peut s’attacher à l’enfant qui lui est confiée tous les jours". Le "déni de grossesse" chez certaines femmes montre que la "vraie mère" n’est pas nécessairement celle qui porte l’enfant, mais toujours celle qui adopte l’enfant : "ce mécanisme d’adoption, qui pour la plupart des femmes se fait in utero, peut ne pas se faire. […] Il n’y a aucune raison de ‘survaloriser’ uniquement la grossesse et l’accouchement alors que c’est bel et bien l’adoption qui fonde la maternité". Un enfant né d’une mère porteuse "est déjà adopté en prénatal par une autre femme et par un père qui sont ses parents d’intention sans qui rien n’aurait existé. La mère porteuse a joué le rôle de ‘nounou prénatale’. Serait-ce plus scandaleux d’être une nounou avant la naissance qu’après ?" Pour Israël Nisand la GPA n’est pas contraire à l’intérêt de l’enfant parce qu’elle permet sa naissance. Continuer à prohiber cette pratique revient à conforter le recours "au marché procréatif international, dans des conditions passables pour les plus riches, dangereuses et honteuses pour ceux qui ne peuvent s’offrir que l’Inde ou l’Ukraine". Israël souhaite donc voir tomber cette posture française "autoritaire en matière de moeurs".
Myriam Szejer décrit les souffrances et paradoxes engendrés par la GPA. Elle souligne les difficultés des médecins qui dénoncent depuis des années "les effets délétères de la séparation mère-bébé à la naissance" et qui "se retrouvent à collaborer à la programmation de ces drames". "La prescription de la FIV précédant une GPA équivaut à une ordonnance d’abandon, explique-t-elle. Le parent commanditaire est, pour le bébé à sa naissance, un étranger. Qu’il ait donné ou non ses gamètes, ce n’est pas lui que le bébé reconnaît. La disjonction de ses perceptions et de celles qu’il a mémorisées dans le ventre de sa mère, fait vivre à un nouveau-né abandonné un véritable chaos à l’origine d’une blessure incicatrisable, car l’amnésie infantile n’efface pas mais refoule dans l’inconscient". Bien souvent, ces douleurs périnatales ne sont pas toujours "décodables" quand elles s’expriment plus tard "sous forme de dépression, d’angoisses, de somatisations diverses, de sentiment d’insécurité ou d’envies suicidaires".
Quant à la femme enceinte, qu’on prétend indifférente, il faut s’interroger sur la façon dont elle pourrait ne pas souffrir du projet d’abandonner son enfant à la naissance : "à cette question, la psychanalyse peut fournir une réponse éclairante : le moyen de défense qu’elle utilise pour y parvenir est la dénégation" par laquelle elle se persuade que tout cela n’a aucun effet sur elle. C’est le même processus dans le cas d’un déni de grossesse, avec toutefois une différence de taille : "au cours des dénis, le processus est inconscient, donc involontaire, dans le cas des mères de substitution, il procède d’une intention délibérée qu’il faut interroger". On ne peut s’arrêter à écouter la "bonne conscience" justifiant cette pratique : "les bons sentiments cachent une dénégation de la violence de l’abandon et de la souffrance qui en découle pour la mère comme pour l’enfant".
Enfin, les "enfants de ces maternités de substitution" sont objectivés en "médicaments de la stérilité". La souffrance due à la stérilité est indéniable mais "elle ne justifie pas ces pratiques". Soutenir la recherche médicale qui aidera, dans l’avenir, les couples à concevoir est préférable. Myriam Szejer note que cette instrumentalisation de l’enfant rejaillit également sur sa fratrie pouvant être déstabilisée "par l’abandon de ce frère ou de cette soeur par leur mère qu’ils auront vue enceinte".
Libération 15/02/11