« Loin de la mort douce promise », la légalisation du suicide assisté pourrait entraîner des « effets secondaires » dans « notre rapport à la vie, à l’autre et à l’intime » alerte Marie Grosset, juriste spécialisée dans les questions de bioéthique, dans une tribune publiée par Le Monde.
Quelle que soit l’empathie ressentie devant des « situations insupportables », il faut peser le pour et le contre, et se demander si les pistes envisagées par le législateur, « même si elles ont déjà été empruntées par d’autres pays, ne sont pas pires que le mal contre lequel elles entendent lutter » (cf. Suicide assisté : l’Oregon, un « exemple » aussi pour les dérives).
« Ni un droit, ni une liberté »
En droit, comme le rappelle Marie Grosset, s’il est « interdit de tuer autrui, y compris sur sa demande », « le suicide n’est pas interdit ». Si chacun est « libre » de mettre fin à sa vie, le suicide n’est pour autant « ni un droit, ni une liberté » (cf. Allemagne : le Conseil d’éthique entre prévention du suicide et autodétermination). La législation oblige à « secourir la personne qui tente de mettre fin à sa vie ». Le code pénal sanctionne ainsi pour « non-assistance à personne en danger » celui qui n’aurait pas tenté de sauver une personne confrontée à « un péril imminent ».
En France, la prévention du suicide est essentielle, le taux de suicide par habitant étant l’un des plus élevés d’Europe (cf. Euthanasie et prévention du suicide : le paradoxe). La loi autorise également, sous certaines conditions, à « hospitaliser sans son consentement une personne pour la soigner d’une dépression lui ôtant toute envie de vivre ». Les professionnels de santé engagent leur responsabilité s’ils manquent à leurs obligations de surveillance et qu’un patient hospitalisé met fin à ses jours.
Ces règles témoignent de deux valeurs essentielles et absolues qui fondent notre contrat social : « le caractère primordial de la vie et le devoir de solidarité » (cf. « La fin de vie n’est pas avant tout un sujet de liberté individuelle mais de solidarité collective »). Supprimer ces « bornes » pourrait se révéler coûteux et déstabilisant pour la société, à moyen comme à long terme.
« Qui, aux yeux de la loi, est légitime à obtenir une aide à mourir ? »
Si le suicide assisté était légalisé, la société devrait faire de difficiles « jugements de valeur ». Pour fixer les critères légaux qui pourraient encadrer ce droit, il faudrait déterminer « qui, aux yeux de la loi, est légitime à obtenir une aide à mourir ».
Le législateur devrait ainsi distinguer « les situations qui méritent un secours envers et contre tout, de celles ouvrant droit au suicide assisté », relève Marie Grosset. « Au risque de critiques sur les discriminations opérées et au prix d’arbitrages cornéliens, la société se fera juge et arbitre des vies à sauver » prévient-elle. « Ressurgira alors le débat pourtant clos depuis l’abolition de la peine de mort, de la valeur relative ou absolue de la vie » alerte la juriste (cf. Fin de vie : « refaire de la place à la faille » et « rester, jusqu’au bout, solidaires »).
Un « chantier vertigineux »
En cas d’évolution de la loi, il faudra aussi que des experts médicaux évaluent « l’autonomie de la volonté du demandeur ». « Une telle appréciation est-elle possible ? Sommes-nous prêts à plonger dans l’obscurité des âmes pour y déceler un souhait libre de mourir ? » « La sollicitation de la personne âgée qui sait, au fond d’elle, combien est lourde pour son entourage sa prise en charge, ou celle provenant du malade affligé par la solitude et le manque de soins d’un service médical exsangue seront-elles considérées comme libres ? » (cf. Isolement social : un risque accru de mortalité prématurée). Autant de questions que soulève Marie Grosset. Finalement, « mesure-t-on le risque d’ouvrir le chantier vertigineux de la légitimité de la demande d’accéder à la mort ? »
Les magistrats devront par ailleurs examiner les situations conflictuelles. Le suicide assisté donnera lieu à des contestations. Le juge devra, par exemple, apprécier la légalité d’un refus d’accéder à la demande d’« aide à mourir » ou bien répondre aux procédures engagées par des proches contre la décision faisant droit à cette demande. Il faudra faire confiance aux juges pour appliquer avec humanité la loi.
Source : Le Monde, Marie Gosset (13/11/2023)