Fin de vie : “C’est souvent dans les dernières heures que peuvent se vivre des évènements inoubliables”

Publié le 17 Déc, 2014

Le 12 décembre dernier, Mr Claeys et Mr Léonetti remettait un rapport sur la fin de vie au président de la République (Cf. Gènéthique vous informe du 12 décembre 2014). Ce rapport contient le texte d’une proposition de loi sur la fin de vie qui comporte trois évolutions : la première concerne la sédation terminale, la seconde propose de rendre les directives anticipées opposables au médecin, enfin le rapport s’étend davantage sur l’arrêt de l’hydratation et de la nutrition des personnes en fin de vie. Le docteur Béatrix Paillot est gériatre, elle accompagne des personnes âgées ou des malades atteints de la maladie d’Alzheimer. Elle réagit aux différentes propositions de ce texte.

(Cet article a été publié sur le site d’Ombres et Lumière sous le titre « Je suis inquiète pour les personnes vulnérables ».)

Cette proposition de loi m’inquiète beaucoup d’une manière générale, mais plus encore pour les personnes vulnérables que je soigne. Si on endort systématiquement les personnes en fin de vie, elles seront privées de vivre l’ultime étape de leur existence : on sait que ce temps peut être riche de sens et d’échanges avec les proches. Suprême étape de la croissance humaine, c’est souvent dans les dernières heures du cheminement terrestre que peuvent se vivre tant d’événements inoubliables qui éclaireront à jamais la vie de ceux qui restent. Je pense à une femme cancéreuse qui se trouvait en unité de soins palliatifs. Son état n’était pas facile à soulager et les derniers moments n’ont pas été très confortables pour elle. Quand elle a senti venir son heure, elle a téléphoné à son mari pour qu’il vienne : il est arrivé et pendant 4 heures, ils ont vécu des moments d’une rare densité. Pour rien au monde, ils n’auraient voulu être privés de ces instants précieux. Ce qui a fait la noblesse des services d’accompagnement et de soins palliatifs dans leur principe fondateur, c’est de pouvoir soulager les souffrances physiques et morales des malades, sans pour autant les endormir, de telle manière qu’ils puissent encore vivre jusqu’au bout ce qu’ils ont à vivre avec les soutiens dont ils ont besoin. Combien de paroles lumineuses, de gestes signifiants, de manifestations de tendresse et de réconciliations inattendues s’expriment dans les dernières heures : et on voudrait en priver les malades et leur famille ! Quelle méconnaissance de la nature humaine et de la richesse de ce qui peut être vécu en fin de vie !

La sédation continue prive le patient de sa liberté

Dans mon expérience professionnelle, une seule fois une personne m’a demandé d’être endormie dans les derniers jours de sa vie. Autrement dit, c’est une situation encore plus rare que les demandes d’euthanasie exprimées par les malades : l’expérience montre que ces dernières demandes ne sont pas très fréquentes dès lors que l’on soulage correctement les souffrances des êtres atteints par la maladie ! Cette personne qui demandait à dormir n’avait pas de douleurs, mais ne supportait plus d’attendre « son heure ». Elle disait avoir mis toutes ses affaires en ordre. Nous lui avons proposé une sédation contrôlée : nous l’endormions pour 24h et nous la laissions se réveiller. On lui demandait comment elle allait et si elle voulait être rendormie. Et ainsi de 24h en 24h, nous lui avons fait une sédation, réversible à tout moment, jusqu’à sa mort. A aucun moment, nous ne l’avons privé de sa liberté de revenir en arrière. Dans la nouvelle proposition de loi, si une sédation est débutée, elle sera obligatoirement profonde et continue jusqu’au décès sans retour en arrière possible.  Quelle privation de liberté !

A propos des personnes âgées, combien de fois en ai-je vu arriver dans le service de gériatrie à un stade prétendument mourant et qui après quelques jours de prise en charge adaptée, reprenait tranquillement le chemin du domicile pour 20 ans de plus bon pied, bon œil. Combien de fois ai-je été agréablement surprise de ces résurrections imprévisibles. L’inverse est également vrai : des vieillards plutôt en forme, peuvent se retrouver plus vite que prévu en fin de vie à la suite d’un banal problème de santé. Avec les personnes âgées, on ne peut jamais savoir à quoi s’attendre : il faut donc, en hospitalisation, avancer pas à pas en personnalisant les soins et en s’adaptant sans cesse aux situations nouvelles. Si à l’occasion d’une sérieuse aggravation de l’état de santé d’une personne âgée, on considère trop vite qu’elle est en fin de vie, on risque fort, avec une obligation légale de sédation profonde et définitive avec arrêt complet des apports nutritionnels et de l’hydratation, d’envoyer ad Patres bien des personnes qui n’étaient en réalité pas en fin de vie.

Par ailleurs, pour les personnes atteintes de maladie d’Alzheimer, comment les considérera-t-on ? Déjà, quand on ne les côtoie pas habituellement, on pense que leur vie n’a pas de sens. Comme la tentation sera grande d’interrompre leur vie avant l’heure ! Et pourtant l’expérience de terrain me prouve chaque jour un peu plus qu’au milieu de leurs fragilités, ces personnes vulnérables détiennent un pouvoir extraordinaire d’humanisation de ceux qui les entourent dès lors que l’on cherche à prendre soin d’elles. Bien sûr, cela suppose au milieu des ratés de la mémoire et des troubles éventuels du comportement de savoir les apprivoiser en faisant appel à leurs qualités de cœur. Mais comme on est vite récompensé de nos efforts ! A leur insu, les malades d’Alzheimer nous visitent dans nos propres vulnérabilités et transforment positivement nos vies. Alors ces malades en phase avancée de la maladie, les considérera-t-on comme aptes à donner leur avis de manière libres et éclairées ? Il est fort à craindre qu’on les considérera à la première occasion comme non compétentes et que l’on décidera pour elles d’une sédation définitive jusqu’à ce que mort s’ensuive puisque l’hydratation et l’alimentation seront de facto arrêtées. Même si le mot n’est pas prononcé, ne nous y trompons pas : ce seront des euthanasies par omission de soins proportionnés.

Si l’alimentation et l’hydratation sont arrêtées…

Ce n’est pas seulement l’alimentation et l’hydratation artificielles qui seront stoppées, mais l’alimentation et l’hydratation tout court, puisque par la force des choses, la personne endormie ne pourra plus suppléer naturellement à ses besoins comme elle le pourrait si elle était éveillée.

Dans la future loi serait inscrit noir sur blanc que « l’alimentation et l’hydratation artificielles sont des traitements », et non plus des soins de base comme ils ont toujours été considérés avant le début du IIIe millénaire. Or, alimenter et hydrater une personne dans l’impossibilité de le faire spontanément n’est pas l’équivalent d’un médicament que l’on pourrait éventuellement interrompre : c’est la réponse à un besoin physiologique de base a priori normalement dû à toute personne humaine qu’elle soit bien portante ou malade, dès lors que ces apports sont bien tolérés et atteignent leur but. On ne peut les arrêter pour le seul motif que l’on décide d’endormir un malade pour le soulager de ses souffrances morales ou physiques ! Si on les arrête, c’est pour être sûr de provoquer la mort au cas où le malade ne meurt pas aussi vite qu’on l’aurait cru. Il y a là une intention délibérée de donner la mort : c’est de l’euthanasie pure et simple.

Tous les soignants et toutes les institutions morales ne sont pas d’accord avec l’idée que l’alimentation et l’hydratation artificielles puissent être considérés comme des traitements, loin s’en faut. Si la législation devait évoluer dans le sens proposé, il serait légitime d’y adjoindre une clause de conscience : les soignants ne doivent pas être obligés d’arrêter contre leur conscience une alimentation et une hydratation artificielles bien tolérées par un malade sous prétexte que l’on veut l’endormir pour la soulager physiquement ou moralement. Ce sont deux démarches différentes : pourquoi les lier obligatoirement, comme si l’une rendait obligatoire l’autre ? Par ailleurs, il n’y a pas de raison d’endormir systématiquement un malade en fin de vie s’il n’en manifeste pas sur le moment la demande. Et il n’y a pas de raison de l’endormir a priori de manière irréversible. Tout cela choque la conscience et le recours à une clause de conscience est pleinement légitime dès lors qu’il s’agit de s’opposer à un acte qui provoque la mort d’autrui.

Comprenons bien : ici, le but réel n’est pas de soulager, mais de s’assurer que la personne meurt au plus vite et sans retour en arrière possible : on l’endort et on ne l’hydrate plus. On sait qu’il faut 3 jours pour tuer quelqu’un si on le prive totalement de boisson. On voudrait tuer son chien qu’on ne ferait pas autrement… Que signifie dans la proposition de loi que l’on pourrait procéder à cette sédation quand la fin de vie serait engagée à court terme : si on est à moins de 48h, peut-être. Mais si on estime la durée de vie à plus de trois jours, on entre clairement dans le cadre d’un homicide volontaire réalisé avec préméditation : c’est un assassinat pur et simple, organisé à grande échelle.

Des directives anticipées opposables au médecin ?

A propos des directives anticipées contraignantes, je suis également inquiète : on peut avoir signé un papier un jour et changer d’avis durant la maladie : c’est si fréquent ! Il suffit de voir le nombre de personnes qui militent pour l’euthanasie lorsqu’ils vont bien et qui ne la demandent plus quand ils sont malades… Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. Par ailleurs, pourquoi contraindre le médecin à poser des actes euthanasiques contre sa conscience sans lui donner le recours possible à une clause de conscience ? Il y a là un abus de pouvoir. On souhaite proposer un  document modèle dans lequel on proposera aux personnes de s’aligner sur les propositions de la loi : être endormis en fin de vie avec arrêt de tout traitement de maintien en vie (sous-entendu alimentation et hydratation aussi). Par peur de souffrir et de l’inconnu, qui ne signerait pas les yeux fermés un tel document ? Et pourtant, dans la pratique clinique, les malades parvenus au terme de leur existence ne demandent quasiment jamais à être endormis en fin de vie : il y a tant de choses précieuses à vivre lorsque la vie ne tient plus qu’à un fil !

Enfin, on veut rendre obligatoire la désignation d’une personne de confiance durant les temps d’hospitalisation. C’est peut-être bien. Mais attention ! Des adhérents de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD) qui militent en faveur de l’euthanasie, cherchent à se faire désigner personnes de confiance d’un maximum de personnes pour solliciter leur euthanasie lorsque le moment sera venu. Ne demandez pas à n’importe qui d’être votre personne de confiance !

Les soins palliatifs offrent aux malades la possibilité d’être endormis pour passer un cap difficile si c’est nécessaire. Il n’est pas nécessaire d’en faire la demande écrite.

Mais puisqu’on nous y pousse, je vais écrire des directives anticipées dans lequel je demanderai à ce qu’on me donne les calmants nécessaires pour ne pas avoir mal en fin de vie, mais sans altérer ma conscience. Je demanderai à ce que l’on ne pratique sur moi ni acharnement thérapeutique, ni euthanasie (que ce soit par action ou par omission). Je demanderai donc à ce que l’on maintienne mon alimentation et mon hydratation, y compris artificielles, si elles sont bien tolérées et qu’elles atteignent leur but. Et s’il faut m’endormir pour passer un cap particulièrement difficile, je demanderai à ce que l’on me réveille au moins une heure toutes les 24h. Je demanderai que cette sédation puisse être réversible une fois le cap pénible passé.

 

Beatrix Paillot

Beatrix Paillot

Expert

Le Dr Béatrix Paillot est médecin gériatre. Elle exerce depuis 2003 comme praticien hospitalier dans une consultation mémoire de proximité dans un centre hospitalier. Elle a travaillé pendant 7 ans au Centre de Mémoire de Ressource et de Recherche d'Ile de France à la Pitié-Salpêtrière. Formée en soins palliatifs et en neuropsychologie, elle accompagne des personnes âgées ou atteintes de maladie d'Alzheimer (ou troubles apparentés) depuis plus de vingt ans.

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