Evaluation du DPANI : entre technique et éthique ? (2/2)

Publié le 7 Juil, 2015

Le DPANI, test de dépistage ciblant, pendant la grossesse, les anomalies chromosomiques, dont la trisomie 21, a déjà fait l’objet de 18 études. Cependant à ce jour, aucune évaluation coût/bénéfice n’a été menée à son terme. Curieusement, la DGS[1] et l’ABM[2] n’y ont pas vu un obstacle à la commercialisation en France (non prise en charge par l’assurance maladie). Par ailleurs, un financement public a été attribué à l’étude SAFE21[3], « dans le cadre d’un soutien aux techniques innovantes et coûteuses, afin d’évaluer la place du DPANI ».

 

Dans les prochains mois, les industriels prédisent des résultats « plus fiables, plus rapides » pour un test « moins cher ». Toutefois, « il faudra que ces techniques soient employées dans des cas bien identifiés, afin d’éviter toute dérive commerciale et/ou eugéniste, vers des diagnostics de maladies rarissimes». Dans ces conditions, il s’avère difficile de définir la place du DPANI dans la politique de dépistage (cf. Gènéthique vous informe du 7 juillet 2015).

 

Les 18 études sur le DPANI ont été menées sur plus de 12 000 grossesses, dépistant 800 cas de trisomie 21. 16 de ces études portaient sur des populations de femmes « à haut risque ». En moyenne le taux de détection varie de 94,4 à 100%, et la sensibilité est de 99%, c’est-à-dire qu’1% des cas de trisomie 21 ne sont pas détectés. Il est important de noter que ces résultats ne tiennent pas compte de tous les cas « sans résultats », c’est-à-dire des femmes pour lesquelles les résultats étaient ininterprétables, et qui représentent 3,8 à 5,4% des cas étudiés.

 

L’étude SAFE21 vise à évaluer le DPANI sur le plan médical, psychologique, sociologique et économique en comparaison avec le DPN invasif classique. Elle porte donc sur des femmes « avec un risque élevé de trisomie 21 », et elle évalue également les attitudes et les décisions des femmes enceintes. Cette étude concentre tous les espoirs des professionnels concernés ; ils en attendent des résultats décisifs pour intégrer le DPANI au dépistage actuel de la trisomie 21 et demander son remboursement par l’assurance maladie.

 

Certains professionnels de santé, prudents, estiment que « si le DPANI va répondre à de nombreuses questions, il va en faire émerger tout autant, et les praticiens doivent appréhender ces nouvelles techniques avec raison ». Néanmoins, rares sont ceux qui s’interrogent sur ces questions éthiques (cf. Gènéthique du 8 juin 2015), puisque le dépistage de la trisomie 21 est devenu un acte courant et un passage obligé pour les femmes enceintes.

 

Lorsqu’on parle d’éthique et de DPN, la question habituellement posée concerne l’information des femmes enceintes : quel rôle pour les acteurs de santé ? Quelle réception chez les femmes enceintes de l’information donnée ? Cette information « recèle une dimension d’urgence et peut donc être perçue de façon biaisée ». De surcroît, « elle se situe dans un contexte sociétal de stigmatisation du handicap et de son poids économique et social, ainsi que d’une revendication forte du ‘droit’ à la bonne santé de l’enfant à naître ».

 

Avec le DPANI, la notion d’« urgence » est accentuée : le raccourcissement du délai entre la proposition du test, sa mise en œuvre, et son résultat réduit le « temps nécessaire à l’appropriation de l’information ». En outre, actuellement, l’information sur le DPANI est très largement donnée par les laboratoires qui promeuvent ces tests : le problème de l’objectivité est évident. De même, l’absence de transparence des industriels, « par protection commerciale des fruits de leur recherche & développement » pose problème pour l’agrément par les autorités sanitaires françaises, et place le DPANI « hors de contrôle ».

 

Une autre question que les « éthiciens » se posent est celle de l’égalité d’accès sans condition de ressources, puisque le DPANI coûte 650 à 1000€ alors que l’amniocentèse coûte environ 250€.

Par contre, le risque de dérive eugénique est écarté au prétexte que la diminution du nombre de naissance d’enfants trisomiques « n’est pas l’objectif de l’organisation du dépistage ». Ce raisonnement part du principe que l’objectif du dépistage est « d’augmenter l’efficacité d’une démarche librement entreprise par les femmes qui le souhaitent tout en diminuant les risques encourus pour l’évolution de la grossesse dans le cadre de cette démarche ». Le CCNE en conclut alors que l’intégration du DPANI à la politique de dépistage de la trisomie 21 « pourrait constituer une étape éthique dans le choix sociétal fait de longue date ».

 

Les auteurs du dossier de la lettre du gynécologue expriment cependant une « légère inquiétude » : l’objectif pourrait être implicitement modifié « si la qualité de l’information et le temps laissé à la décision concourent à banaliser voire à normaliser un test dont l’innocuité serait la caractéristique principale », ils craignent un « dépistage de masse, en particulier si l’expression de la solidarité reste aussi médiocre qu’elle l’est aujourd’hui dans la prise en charge du handicap congénital ».

 

[1] Direction générale de la Santé.

[2] Agence de biomédecine.

[3] étude en cours, Hôpital Necker (Paris).

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