Euthanasie : « l’aboutissement du projet républicain » ?

3 Fév, 2023

La mission d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti a consacré sa journée de jeudi à auditionner. Loges maçonniques, cultes monothéistes, professeurs de droit, d’éthique médicale ou encore psychologue ont partagé leurs visions sur la fin de vie. Sans consensus.

Principes contre principes

Grand orient de France, Grande loge de France, Grande loge féminine de France, Fédération française du Droit humain : les francs-maçons ont inauguré la journée. Tous sont favorables à l’euthanasie[1]. Un terme auquel Georges Serignac, Grand maître du Grand orient de France, préfère celui d’« accompagnement médical à la fin de vie » (cf. Fin de vie : un nouveau groupe d’experts pour “travailler sur les mots”). Les mots « indiquent une position » estime-t-il. Sans aucun doute. Ainsi, l’archevêque de Rennes, Mgr Pierre d’Ornellas, rappelle qu’il s’agit de « provoquer la mort de quelqu’un ».

Le leitmotiv des maçons est celui de la liberté individuelle, de « la liberté de disposer de son corps et même de sa vie ». Une prévalence à laquelle Agnès Panyosan-Bouvet, députée Renaissance, réagira : « Si je voulais vendre un rein, ce serait aussi ma liberté individuelle ».

Face à la toute-puissance de l’individu, les cultes rappellent la dignité inconditionnelle de l’être humain et le respect de la vie, un respect « scrupuleux, non négociable » ajoute Ghaleb Bencheikh, président de la Fondation de l’islam de France. Les cultes réaffirment également le refus de la souffrance, l’« ennemi commun » pointe l’archevêque. « Aucune religion ne valorise la souffrance, aucune souffrance n’est tolérable » certifie Haïm Korsia, Grand Rabbin de France.

Mais « c’est étonnant de dire : “puisqu’il ne peut pas se suicider seul, alors on va l’aider” », souligne-t-il. Ne faudrait-il pas dire « il ne peut plus manger seul, alors on va l’aider » ? D’autant plus qu’il y a « une grande différence entre quelqu’un qui fait quelque chose et quelqu’un qui fait un acte en notre nom à tous », pointe-t-il.

« Ce qui assure à notre civilisation de vivre le plus possible en paix c’est ce principe civilisateur tu ne tueras pas », affirme Mgr d’Ornellas qui estime qu’il relève tout autant du « fruit d’une réflexion de raison humaine ».

Un quasi consensus sur la loi Claeys-Leonetti

Aline Cheynet de Beaupré, professeur de droit privé, affirme que la loi de 2016 est allée « très loin juridiquement » et n’a « pas d’équivalent à l’étranger ».

« Réelle avancée », véritable « progrès » pour les loges, le Dr Jean-Gustave Hentz, président de la commission Ethique et société de la Fédération protestante affirme que les protestants sont plutôt satisfaits de la loi Claeys-Leonetti. Haïm Korsia juge de son côté qu’elle « a trouvé un équilibre », rappelant tout de même s’être battu en 2016 pour que la sédation soit « réversible ».

Le texte semble faire consensus. Catherine Lyautey, Grande maitresse de la Grande loge féminine de France estime toutefois que la loi actuelle « ne prend pas en compte toutes les situations ». Elle évoque les maladies neurodégénératives et les personnes âgées souffrant de polypathologies.

Dès lors le voile tombe. La maladie de Charcot est toujours la première invoquée, mais loin d’être la seule cible.

La psychologue Marie de Hennezel affirme que les personnes âgées « craignent plus que tout d’être considérées un jour comme un poids pour la société ». « Peut-être qu’on nous culpabilisera de vouloir rester en vie », anticipent-elles. Une crainte partagée par certains protestants : un « droit à mourir » pourrait « stigmatiser des patients souffrant de handicaps ».

Car une fois l’euthanasie légalisée, la question « est-ce que je veux continuer de vivre ou mourir se posera » alerte Valérie Depadt, maître de conférences en droit privé. Permettre c’est déjà un peu proposer, prévient-elle. Et le patient pourrait craindre le jugement des autres.

Un parallèle avec l’avortement ?

Comme lors de l’audition des associations (cf. Fin de vie : deux visions s’opposent lors des auditions parlementaires), l’avortement est invoqué pour justifier l’euthanasie. « La vie c’est la naissance, pas de mort sans naissance », rappelle Catherine Lyautey. « La naissance est déjà encadrée, pourquoi pas la mort ? », interroge-t-elle. « Après les batailles pour ne pas enfanter dans la douleur, pour choisir d’avoir ou non un enfant », il s’agit « peut-être de la dernière liberté à conquérir », juge la Grande maitresse. Elle appelle à changer la loi pour mettre fin à la « clandestinité » de la pratique, comme cela a été fait pour l’IVG estime-t-elle.

Pour Frédérique Moati, de la Grange loge féminine, « s’il y avait eu un comité d’éthique à l’époque de la loi Veil, elle n’aurait pas été votée ». « Une loi ne peut pas se justifier sur des valeurs éthiques », d’après elle. « Le débat ne peut avoir lieu que sur le plan du légal et de l’illégal. »

La confusion des mots, et plus encore

Pour Georges Serignac, voter l’euthanasie serait « l’aboutissement du projet républicain ». Plus que du « projet républicain », c’est d’un projet « humaniste » dont il s’agit, avec des valeurs de « compassion », d’« empathie », estime Michel Hannoun, ancien député de l’Isère et membre la Commission nationale consultative des droits de l’homme de la Grande loge de France.

Humanisme, compassion, empathie, le lexique est choisi. Didier Martin, rapporteur de la mission, interroge la Grande loge : les valeurs de charité, d’amour, sont-elles au cœur de ce qui ferait accepter une demande d’« aide active à mourir » ? Pour Catherine Lyautey, la réponse, positive, prend la forme d’une interpellation : « ne peut-on pas donner la mort avec amour ? ».

Les lignes se brouillent, la confusion s’installe. La Grande maitresse ose même affirmer que légaliser l’euthanasie « évitera des suicides ».

En forme de conclusion, Georges Serignac affirme avoir pratiqué de très nombreuses euthanasies. Il est vétérinaire, il évoque des euthanasies d’animaux. « Un véritable problème de conscience », assure-t-il. « Personnellement j’ai arrêté de le faire », témoigne le Grand maitre.

« Notre vigilance collective devrait concerner les personnes que nous abandonnons en fin de vie et qui parfois revendiquent le droit à la mort faute d’être reconnues dans la plénitude de leur droit à la vie », interpelle le professeur d’éthique médicale Emmanuel Hirsch. Les hommes ne méritent-ils pas au moins autant de compassion que les animaux ? (cf. Australie : les soins palliatifs se développent… pour les animaux)

 

[1] Lors des questions, Olivier Falorni rappelle le communiqué commun publié le 31 mars 2021 par différentes obédiences. Soit huit jours avant que le premier article de sa proposition de loi soit voté (cf. La PPL Falorni tombe en désuétude – le spectacle exagéré des promoteurs de l’euthanasie)

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