Aux Etats-Unis, les résolutions d’actionnaires au sujet de l’avortement « ont atteint un niveau record cette année ».
L’assemblée générale de l’entreprise American Express vient de se tenir. Change Finance, « investisseur RSE »[1], a déposé deux propositions concernant l’avortement, comme il l’a fait auprès de plusieurs sociétés financières. Ces résolutions demandent « davantage d’informations » sur les situations dans lesquelles ces sociétés communiquent, ou non, aux autorités des informations relatives à leurs clientes, dans des Etats qui ont interdit l’avortement. L’investisseur détient à ce jour « plus d’un million de dollars » d’actions d’American Express.
Ces deux résolutions dissidentes ont été rejetées par les actionnaires, mais la société n’a pas révélé le score qu’elles ont obtenu.
Satisfaire les investisseurs
Les entreprises américaines sont partagées entre la promotion de leurs « valeurs » [2] et l’obligation de respecter la loi, mais aussi la loi fédérale, et celle de l’Etat où se situe leur siège social.
En outre, elles « sont redevables à leur base d’investisseurs, qui les financent et les élisent aux fonctions de gouvernance ». Or « cette base d’investisseurs, composée en grande partie de fonds américains, est elle-même clivée sur la question de l’avortement ». « D’un bout à l’autre de la chaîne des investisseurs américains, plus personne aujourd’hui n’est neutre sur ce sujet. »
Les firmes ont d’abord demandé à la Securities and Exchange Commission (SEC)[3] de « rejeter les propositions d’actionnaires en affirmant qu’elles ne peuvent être soumises au vote ». Mais l’organisme a indiqué que « les investisseurs devaient avoir la possibilité de voter sur ces propositions d’actionnaires relatives à l’avortement, de quelque bord qu’elles viennent ».
Dès lors, les conseils d’administration ont dû « se positionner clairement ». American Express a affirmé être « neutre » sur toutes les propositions dissidentes, d’où qu’elles proviennent. D’autres, comme Eli Lilly (cf. Les lucratives ventes de données de santé au Royaume-Uni) et HCA, se sont déclarées contre les résolutions des « investisseurs conservateurs », réclamant la communication des données à la police, et neutres sur celles des « investisseurs progressistes », qui demandent plus de « transparence sur les agissements des sociétés sur ce sujet ». Les 27 autres entreprises américaines concernées ne se sont pas encore positionnées.
Une situation possible en Europe ?
En Europe, les résolutions portent sur le changement climatique ou « l’égalité des genres ». Les propositions américaines ne seraient pas envisageables en raison du règlement général sur la protection des données (RGPD).
Toutefois, la « mesure de performance extra-financière » progresse et « les débats de société entrent de plus en plus dans l’enceinte du dialogue actionnarial ». Avec comme corollaire, « ce possible hiatus entre le droit, la culture historique de l’entreprise, et une base d’investisseurs souvent elle-même partagée sur ces sujets » (cf. Faire du profit ou changer le monde ? Des entreprises choisissent les deux).
[1] Responsabilité Sociale des Entreprises, ou Responsabilité Sociétale des Entreprises
[2] Après la décision de la Cour suprême, American Express a été l’une des premières sociétés à indiquer qu’elle couvrirait « les frais de déplacement et autres dépenses connexes » pour ses employées souhaitant avorter ou accéder à un « traitement d’affirmation du genre » non disponible dans leur lieu de résidence. D’autres entreprises telles qu’Amazon, Microsoft, Meta, Walt Disney, Netflix, Citigroup, JPMorgan Chase, Starbucks, Uber, ou encore Goldman Sachs ont fait de même.
[3] Organisme fédéral de réglementation et de contrôle des marchés financiers aux Etats-Unis
Source : Challenges, Bénédicte Hautefort (15/05/2023)