Deuxième lecture du projet de loi bioéthique à l’Assemblée nationale : dans un hémicycle très clairsemé, le ton est donné

Publié le 28 Juil, 2020

La deuxième lecture de la révision de la loi de bioéthique a débuté ce lundi 27 juillet. « 15% des 577 députés ont déposé des amendements », les bancs de l’hémicycle sont très clairsemés. Et la forme soulèvera les critiques. « Débat au cœur de l’été, en catimini », « temps législatif partagé », une mesure drastique pour « limiter les débats ». Les députés s’insurgent du peu de cas que semble faire le gouvernement du débat, ayant déserté ses bancs après la première suspension de séance. Ainsi, à la reprise de débats, à 21h30, les rappels au règlement se multiplient, tel celui de Pascal Brindeau (Union des démocrates et indépendants) qui demandera une suspension de séance, déplorant que, par son absence, la majorité ne respecte pas l’institution parlementaire et ses travaux.

 

Une rhétorique bien huilée : « équilibre », « amour », « égalité »

 

Pour quasiment tous les ministres et les rapporteurs du projet de loi, le mot d’ordre est « équilibre ». Mais lequel ? « Le gouvernement fait le choix d’un retour assumé à l’équilibre de la première lecture » affirme Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé. Ce que regrette Thibault Bazin (LR), qui dénonce le fait que les amendements du Sénat aient été « balayés », « sans recherche de consensus ».

 

Et la rhétorique est bien huilée. L’« amour » est invoqué à plusieurs reprises. Mais appartient-il au député de légiférer sur les sentiments ? Et l’« égalité », inlassablement invoquée pour présenter la « PMA pour toutes » comme la « consécration de droits nouveaux ». Alors que le Conseil d’Etat l’a confirmé à différentes reprises : il n’y a pas d’inégalité dans le fait de réserver la PMA aux couples infertiles (cf. La “PMA pour toutes”, une mesure lunaire ? ). En effet, les femmes célibataires et les couples de femmes ne sont pas dans une situation équivalente à celle des couples infertiles au regard de la procréation. Les couples âgés qui n’ont pas accès à la PMA en France seraient-ils discriminés ?

 

Des prises de position entre incohérences et contre-vérités

 

Sur le fond, la cohérence n’est pas au rendez-vous. Le garde des sceaux Eric Dupond-Moretti rejette ainsi l’adoption par la mère qui ne porte pas l’enfant, dans le cadre d’une PMA, mais se satisfait de cette option dans le cadre de la gestation par autrui, qu’il érige pourtant en « interdit ».

 

Quand est abordé le champ de la recherche, on continue à s’étonner. En effet, Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, affirme que les cellules pluripotentes induites (iPS) ne peuvent pas se différencier en tout type de cellule, contrairement aux cellules souches embryonnaires selon elle. Alors que le projet de loi lui-même considère de façon équivalente les deux types de cellules quand il s’agit de créer des gamètes artificiels ou de créer des embryons chimères animal-homme.

 

De son côté Jean-Louis Touraine affirme sans vergogne que cette loi est « voulue par la majorité des Français » quand un récent sondage Ifop réalisé à l’initiative du collectif Marchons Enfants ! « auprès d’un échantillon représentatif de 1005 personnes » montre que « parmi tous les sujets prioritaires auxquels l’exécutif et le Parlement doivent se consacrer, la procréation médicalement assistée (PMA) arrive en toute dernière position (1% des réponses) » (cf. Le projet de loi de bioéthique de retour à l’Assemblée nationale en juillet ). Et sur le diagnostic pré-implantatoire étendu aux aneuploïdies (DPI-A)[1], il ira jusqu’à contester le terme d’eugénisme, quand il s’agit bien de trier et d’éliminer les embryons, sur la base de leur génome. Un « refus systématique de certains handicaps, tels que la trisomie 21 » dénoncé par Thibault Bazin, alors qu’ « on nous parle de société inclusive, et [qu’] on va même visiter un Café Joyeux[2] ».

 

De nouvelles transgressions à peine dissimulées derrière des interdits

 

Alors que reste-t-il ? Quelques « lignes rouges » qui se comptent sur les doigts de la main et semblent plutôt consacrer de nouvelles autorisations, en creux. En effet, Frédérique Vidal rappelle ce qu’elle nomme des « interdits majeurs » : la création d’embryons à des fins de recherche, les modifications génétiques transmissibles à la descendance, la création de chimères homme-animal. Mais ne s’agit-il pas de reconnaître que le développement de la PMA mettra toujours plus d’embryons dépourvus de « projet parental » à disposition des chercheurs ? Ne s’agit-il pas d’autoriser la fabrication de modèles embryonnaires, d’embryons transgéniques et de chimères animal-homme ?

 

Pour Olivier Véran, on se situe sur une ligne de crête « entre le possible et le souhaitable ». Appelant au « respect inconditionnel de la personne humaine », Thibault Bazin interroge : « le techniquement possible est-il humainement souhaitable ? ». Ce sera aux députés d’en débattre cette semaine. Agiront-ils avec « autant de vigueur pour l’humain que pour la planète » comme le souhaite Pierre Dharréville (PCF) ?

 

Avant de quitter les lieux au terme de cette première journée de débat, la motion de rejet déposée par Emmanuelle Ménard (non inscrite) avait été rejetée, et les députés avaient amorcé la discussion des tous premiers amendements. Il en reste 1987.



[1] Anomalie du nombre de chromosome

[2] Le Café Joyeux « entend former et employer des personnes majoritairement atteintes de trisomie 21 ou de troubles cognitifs comme l’autisme »

 

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