Le gouvernement s’entête : l’Assemblée nationale adopte en deuxième lecture la proposition de loi relative au délit d’entrave numérique à l’IVG. Les efforts de l’opposition restent vains.
Le débat est houleux à l’Assemblée. D’un banc à l’autre de l’hémicycle, on s’invective, on s’indigne. Les deux camps s’affrontent, mais chacun restera sur ses positions, le gouvernement résolument fermé aux appels à la raison de la droite sur une proposition de loi qui ne sert ni les femmes, ni la démocratie.
Catherine Lemorton, présidente de la Commission des affaires sociales, s’égare en des propos aussi lénifiants que choquants, signe qu’à gauche, le débat est loin d’être rationnel, et ne fonctionne plus que sur du « prêt-à-penser ». Ses propos feront le lit de la réponse de Marion Le Pen, qui, particulièrement concernée par les situations ostracisées par la Présidente de la commission des affaires sociales, ne sera pas tendre : « Quand vous expliquez qu’un enfant souffre que des parents puissent parler de lui comme d’un ‘accident’, …que suggérez-vous ? Qu’il eût mieux valu qu’il soit avorté ? Je ne comprends pas : il va falloir m’expliquer ! Car ne vous en déplaise, et je me permets cette impudeur car elle est de notoriété publique, vous avez devant vous un ‘accident’ qui se vit bien… ». S’adressant à la ministre, à la présidente de la commission des affaires sociales et à la rapporteur, elle dénonce en elles des « féministes ringardes », des « dinosaures politiques d’un temps soixante-huitard révolu ».
Dans ce débat, on ne parle pas la même langue. Laurence Rossignol, ministre des Droits des femmes, Catherine Lemorton et Catherine Coutelle, rapporteur de la Commission des affaires sociales et présidente du Haut Conseil à l’égalité femmes hommes, s’ingénient à situer le débat sur le terrain de la défense du « droit à l’IVG », tandis l’opposition s’évertue à justifier la liberté d’expression mise à mal par le texte. Mais pour ces « dames de gauche », la proposition de loi doit veiller aux acquis et permettre à toutes les femmes un accès le plus large possible à l’IVG. Elles n’ont eu de cesse, tout au long des discussions, de rappeler les « avancées » du quinquennat : suppression de la notion de détresse, suppression du délai de réflexion… Au cours de la discussion, la ministre ira jusqu’à affirmer qu’effectivement : « Moi, contrairement à vous, je ne veux pas faire baisser le nombre d’IVG ». Compte tenu de l’énormité de ses propos, elle tente de se raccrocher aux branches : « Je veux diminuer le nombre de grossesses non désirées par l’information ». Si l’efficacité de la mesure semble douteuse, il apparait qu’en 5 ans, le gouvernement n’a, sur le sujet de la prévention, jamais levé le petit doigt.
Christian Kert, qui avait déposé une motion préalable de rejet, remet en question la précipitation avec laquelle ce texte est discuté, ce qui contribue « à la confusion du travail parlementaire », pour un texte à la constitutionnalité « plus que douteuse et qui touche à la liberté d’expression » : « Vous commencez aujourd’hui sur ce thème et vous-mêmes ou d’autres s’empareront de cette première atteinte pour continuer dans cette voie, qui apparaît antidémocratique ». Il regrette que le gouvernement ait perdu la boussole de ses valeurs. Après avoir considéré l’importance de la mise en place d’une prévention de l’avortement, il a rappelé que « se faire sa propre opinion, c’est déjà sortir de la pensée unique », expliquant qu’« il n’existe pas de vérité d’Etat ».
Son intervention posée et argumentée s’attire les foudres de la ministre : « Je relèverai deux expressions que vous avez employées dans votre discours : vous avez défini l’IVG comme ‘l’arrêt du processus de vie’, et avez désigné une femme qui avorte comme ‘celle qui va devoir trancher le fil de la vie’ ». Elle ajoute : « Vous pensez qu’un avortement met un terme à une vie. C’est là notre divergence profonde : pour vous, une femme qui avorte, c’est une femme qui interrompt une vie. Ce discours culpabilisant et dissuasif à l’égard des femmes, nous ne voulons pas qu’il soit dissimulé sous des informations faussement scientifiques, à destination des femmes qui veulent recourir à une IVG ». La ministre ne va pas plus loin en début de séance, mais poussée dans ses retranchements l’après-midi, elle reviendra à l’assaut en des termes plus clairs : l’IVG serait un homicide et ceux qui les pratiquent des criminels ?, demande-t-elle. Mais ici, nommer les choses ne semble pas ouvrir à un début de sagesse. L’entêtement confine à l’absurde ; la motion de rejet sera… rejetée.
Plusieurs députés feront remarquer la lourdeur des peines infligées pour un simple délit d’opinion. L’IVG, qui met donc fin à une vie, est dépénalisé, tandis que tenter de dissuader une femme sera désormais passible d’amendes et de peines de prison.
Plus tard dans les débats, Xavier Breton demande : « Nous sommes d’accord pour une vraie liberté de choix. Il faut donc ajouter ‘propos incitatifs’ » à côté de « dissuasifs », notion réintroduite mercredi par la Commission des affaires sociales, dans le texte de la proposition de loi. Il ajoute : « C’est l’occasion de montrer que votre texte est neutre, qu’il n’y a pas de parti pris ». Aucun mouvement sur les bancs du gouvernement. L’amendement sera refusé sans discussion, sans autre forme de procès.
Le texte voté par l’Assemblée nationale, qui sera proposé en deuxième lecture au Sénat mi-février, est celui qui a été adopté par la commission des affaires sociales. Il visait à réintroduire « dans un but dissuasif ». Voté à main levé, il ne comporte que les modifications apportées par les amendements de Catherine Coutelle qui ouvrent encore le champ d’application de la loi à toute personne « cherchant à s’informer sur une interruption volontaire de grossesse », introduisant dans le texte un « notamment » et élargissant la PPL à Wallis et Futuna.
Quatre heures d’un dialogue de sourds. A quand le retour d’un vrai féminisme respectueux des femmes, de leur corps… et des hommes ? « 12 hommes pour parler de l’utérus des femmes », selon la formule dégradante de Laurence Rossignol, sont parfois préférables à une cohorte de femmes ignorantes de leur propre valeur.
La deuxième partie du code de la santé publique est ainsi modifiée :
1° L’article L. 2223-2 est ainsi rédigé :
« Art. L. 2223-2. – Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur une interruption volontaire de grossesse ou les actes préalables prévus par les articles L. 2212-3 à L. 2212-8 par tout moyen, y compris par voie électronique ou en ligne, notamment par la diffusion ou la transmission d’allégations ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse :
« 1° Soit en perturbant l’accès aux établissements mentionnés à l’article L. 2212-2, la libre circulation des personnes à l’intérieur de ces établissements ou les conditions de travail des personnels médicaux et non médicaux ;
« 2° Soit en exerçant des pressions morales et psychologiques, des menaces ou tout acte d’intimidation à l’encontre des personnes cherchant à s’informer sur une interruption volontaire de grossesse, des personnels médicaux et non médicaux travaillant dans les établissements mentionnés au même article L. 2212-2, des femmes venues recourir à une interruption volontaire de grossesse ou de l’entourage de ces dernières. » ;