Depuis avril 2015, CRISPR agite le milieu scientifique. Ce nouvel outil qui permet d’ « éditer le génome » ouvre la voie à de nouveaux traitements de thérapie génique, mais aussi au transhumanisme. Réunis à l’occasion de plusieurs sommets depuis 2015, des experts internationaux ont publié le 14 février dernier un rapport bien plus laxiste que prévu. Jacques Suaudeau décrypte ce rapport pour Gènéthique.
*A cette occasion, Gènéthique publie une infographie expliquant les enjeux de cette technique appliquée au génome humain. Elle est disponible en suivant ce lien.
Le document préparé par les National Academies Press sur le « genome editing », intitulé « Human genome editing : Science, Ethics and Governance » et rendu public le 14 février 2017, est bien plus ouvert aux promesses du CRISPR-Cas9 chez l’homme que ne l’avait été la déclaration produite par le sommet international de Washington en décembre 2015.
Le comité organisateur du sommet en 2015 avait en effet déclaré « qu’il serait irresponsable de procéder dans quelque usage clinique que ce soit à des modifications ciblées du génome portant sur la lignée germinale sauf si et jusqu’à :
– ce que les questions relevant de sécurité et d’efficacité aient été résolues, basées sur une compréhension appropriée et une balance des risques, des bénéfices potentiels et des méthodes alternatives, et
– ce qu’il y ait un large consensus dans la société sur le caractère approprié de l’application proposée. De plus toute utilisation clinique devrait procéder seulement sous un contrôle régulateur approprié. […] Cependant, avec les progrès dans les connaissances scientifiques et l’évolution des vues de la société, l’utilisation clinique des modifications ciblées de génome portant sur la lignée germinale devrait être reconsidérée de façon régulière ».
Ainsi, sans condamner formellement l’application du genome editing à la lignée germinale humaine pour l’éradication des maladies génétiques héréditaires ou pour améliorer les capacités humaines (« enhancing ») la déclaration finale du sommet la déconseillait fortement dans l’état actuel des choses, à cause des risques inhérents à la technique.
Moins d’un an et demi plus tard, le rapport de février 2017 déclare que la recherche sur le « human genome editing » est nécessaire pour des raisons « médicales et scientifiques »[1]. Cette recherche doit d’abord viser le traitement et la prévention des maladies et incapacités, soit en premier lieu la thérapie génique somatique de certaines maladies héréditaires. Elle est soumise à la juridiction du FDA (Food and Drug Administration) aux Etats-Unis. Les comités d’éthique des diverses institutions impliquées dans cette recherche veilleront à ce que les essais minimisent les risques et « procurent des bénéfices appréciables ». Les modifications du génome humain par les techniques de « genome editing » visant à une thérapie devront se conformer aux régulations établies pour la thérapie génique somatique.
Concernant les modifications du génome humain pouvant être transmises héréditairement (germline genome editing) le document est plus circonspect mais admet que des essais cliniques d’une telle « thérapie germinale » puissent être conduits, surveillés par un « solide cadre régulateur ». Ce serait le RAC (Recombinant DNA Advisory Committee) qui aurait la responsabilité d’autoriser ces essais cliniques.
Sans se prononcer sur les délais nécessaires avant de débuter de tels essais, le rapport définit un certain nombre de conditions préalables pour obtenir une autorisation. En particulier l’absence d’alternatives, l’objectif de prévenir une maladie grave, la modification de gènes dont le rôle dans la pathologie est bien renseigné, l’introduction de versions de ces gènes « associées à un état normal », et la mise en place de plans de surveillance multigénérationnelle.
Par ailleurs, le document sépare nettement les modifications ciblées du génome pour le traitement et la prévention de maladies, des interventions pour l’« amélioration » (« enhancement »)[2], tout en admettant qu’il n’y a pas de consensus sur la définition de cette frontière, qui est assez floue. Le document n’interdit pas de telles améliorations, mais recommande qu’elles soient soumises au préalable à une discussion publique, qui devra en particulier « considérer l’introduction d’inégalités sociales par ces techniques d’amélioration ». Si les experts ne parlent pour l’heure que d’essais cliniques thérapeutiques, il ne s’agit là que d’une recommandation temporaire. Au vu du changement de position de ces experts en un an, on peut craindre le pire.
En d’autres termes, le document n’interdit rien, mais appelle à une certaine vigilance vis-à-vis des modifications du génome humain par genome editing. Il confie au FDA et au RAC le soin de superviser les essais cliniques touchant la lignée germinale, et il recommande un simple débat public avant que de passer à des essais cliniques pour « amélioration génétique ».
La journaliste Sara Reardon publie un commentaire de ce rapport dans Nature News au titre percutant : « US science advisers outline path to genetically modified babies ». C’est-à-dire « ce contre quoi s’étaient élevés scientifiques et éthiciens il y a un an est maintenant tranquillement accepté par les Académies américaines ». Sara Reardon appelle cela « managing the inevitable », ou « capituler avant la bataille ». Elle ajoute que pour ceux qui s’opposent à toute manipulation de la lignée germinale humaine le document est un « set back », un recul éthique, « désappointant », et qu’il révèle la « duplicité » des auteurs.
Note Gènéthique:
- CRISPR-cas 9, d’un simple système bactérien à des enjeux éthiques complexes
- L’avant CRISPR-cas 9 : les premiers pas de l’édition du génome
[1] p.142
[2] p.147