CEDH : Les enfants nés par GPA à l’étranger ne sont pas des « fantômes »

Publié le 9 Jan, 2022

Priscille Kulczyk, juriste au Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ) revient sur la décision de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire S.-H. contre la Pologne (cf. Pas de « vide juridique » : la CEDH refuse la nationalité polonaise à des enfants nés par GPA).

C’est l’argument récurrent des partisans de la gestation par autrui (GPA) : les enfants nés à l’aide de cette pratique dans un pays étranger l’autorisant seraient des « fantômes » (voir par exemple la tribune du 29 janvier 2021 parue dans le journal Libération), victimes de discrimination sur la base de leur mode de conception, lorsqu’un autre État où cela est interdit n’accorde pas ou peu d’effets à la situation créée à l’étranger, notamment en matière de filiation ou de nationalité.

Dans une décision du 16 novembre 2021, publiée le 9 décembre et adoptée à l’unanimité des sept juges composant la Chambre, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) n’a toutefois pas cédé à cet argumentaire et a déclaré irrecevable la requête S.-H. contre la Pologne (n° 56846/15 et 56849/15), relative à la nationalité d’enfants nés par GPA.

Deux hommes, M. S. (israélo-polonais) et M. H. (israélien) s’étaient rendus aux États-Unis en 2010 afin de conclure une convention de GPA avec une femme mariée. Celle-ci a ainsi donné naissance en Californie aux jumeaux M. et S., issus des gamètes de M. S. et d’un ovocyte d’une donneuse. Par jugement du 7 septembre 2010, un tribunal californien a déclaré que M. S. et M. H. sont leurs parents, que M. S. est leur père génétique et que la femme qui les a mis au monde n’est pas leur mère naturelle, ni génétique, ni juridique et n’a donc ni droit ni devoir à leur égard, tout comme l’époux de cette dernière. Les deux hommes résident en Israël avec les enfants qui possèdent la nationalité américaine et israélienne. Sur le fondement du droit au respect de la vie privée et familiale (article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme) et de l’interdiction de la discrimination (article 14), les requérants, c’est-à-dire les deux enfants, se plaignent de ce que les autorités polonaises ont refusé de leur accorder la nationalité polonaise, conséquence du refus de reconnaissance de leur lien, établi à l’étranger, avec leur père biologique : en effet, en l’absence de certificats de naissance polonais, ceux établis aux États-Unis ont été considérés comme dépourvus de valeur probante car ils étaient contraires à l’ordre public polonais. Ils accusent les autorités polonaises d’avoir basé leurs décisions sur l’homosexualité de leurs « parents ».

Une décision basée sur l’examen de la situation réelle des requérants

Pour déclarer cette requête irrecevable, la CEDH s’est appuyée sur le fait que le refus de l’État polonais d’accorder la nationalité polonaise aux requérants n’a pas eu d’impact réel sur leur vie privée et familiale. Elle a admis que, bien que la nationalité polonaise et la citoyenneté européenne leur aient été refusées, ils bénéficient de la libre circulation en Europe en tant qu’enfants d’un ressortissant d’un État européen en vertu de l’acte de naissance dressé aux États-Unis. En outre, Israël, où ils résident, a reconnu ce lien parental. Les jumeaux ayant la double nationalité américaine et israélienne, les décisions polonaises n’ont pas eu pour effet de les rendre apatrides. La Cour a ainsi conclu à l’absence d’ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale, dès lors que les requérants ne sont pas dans une situation de vide juridique tant en ce qui concerne leur nationalité que leur lien juridique avec leur père biologique. Dès lors, il n’était pas nécessaire que la Cour examine la question de l’existence d’un traitement discriminatoire. La Cour reconnaît donc que ces enfants sont loin d’être des « fantômes » !

La CEDH tient compte de la réalité de la GPA

Par cette décision qui doit être saluée, la CEDH admet qu’un État peut légitimement s’opposer à la pratique de la GPA et refuser de lui reconnaître certains effets sur son territoire, notamment en matière de nationalité. La CEDH tient compte de la réalité de ce qu’est la GPA et non du sexe des commanditaires. En effet, un couple hétérosexuel ayant obtenu un enfant par GPA n’aurait pas été traité différemment par les autorités polonaises : c’est la volonté de ne pas donner effet à la GPA qui a prévalu. Condamner la Pologne serait revenu de facto à faire accepter, par le biais du « fait accompli », cette pratique qui viole les droits de l’enfant internationalement reconnus : si un État interdit la GPA sur son territoire mais reconnaît sur son sol les effets d’un tel procédé pratiqué à l’étranger, l’interdiction est alors vidée de sa substance.

La CEDH privilégie le bien commun sur les prétentions individuelles d’adultes

La décision des autorités polonaises visait la protection de la filiation et des intérêts des enfants. Elle se fondait sur l’adage « mater semper certa est », applicable en Pologne et dans l’ensemble de l’Europe, selon lequel la mère est la femme qui accouche : par ce recours, il était en fait demandé à la CEDH de remettre en cause le principe acquis et certain de la filiation maternelle dès lors que demander la reconnaissance d’une double filiation paternelle revient à supprimer ce principe et donc le droit naturel d’avoir une mère. En jugeant ainsi, la Cour a donc préservé les dispositions les plus essentielles de l’ordre public polonais en matière de droit de la famille.

Au contraire, elle n’a pas privilégié les prétentions des « pères d’intention » au détriment des droits des enfants. Bien que les requérants soient les enfants nés par GPA, c’est l’intérêt individuel des adultes qui transparaissait dans la requête : organiser une GPA est conforme à celui-ci mais dessert les intérêts des enfants qui en sont issus car ils sont commandés, fabriqués, puis vendus en étant délibérément privés de leur mère et de la moitié de leur filiation. Une telle manipulation de la filiation organisée par contrat ne favorise que l’intérêt des adultes commanditaires à obtenir un enfant auprès de tierces personnes. Si le bien des enfants était le premier souci des adultes, ils ne leur imposeraient pas une telle venue au monde. Remarquons d’ailleurs que M. S. se prévalait de son lien génétique avec les enfants pour contraindre la Pologne à reconnaître la filiation mensongère des requérants alors qu’il a privé ces enfants de tout lien avec leur mère. Le refus des autorités polonaises de reconnaître une telle filiation volontairement tronquée était donc conforme à l’intérêt supérieur de ces petits requérants et des enfants en général.

Une décision à toutefois relativiser

S’il importe de saluer cette décision, sa portée doit toutefois être relativisée : il ne s’agit en aucun cas pour la CEDH de revenir sur sa jurisprudence en matière de GPA, marquée ces dernières années par une certaine permissivité. Comme le note expressément la Cour dans cette décision, les faits de l’espèce différaient d’affaires telles que Mennesson et Labassée contre France où elle avait conclu à la violation de la Convention européenne des droits de l’homme : dans ces affaires, le refus de reconnaissance de la relation juridique entre des enfants nés par GPA à l’étranger et leur père biologique émanait des autorités de l’État de résidence des requérants, non d’un État tiers (cf.  CEDH – affaire Mennesson et Labessee : une porte ouverte à la GPA).

En outre, en matière de reconnaissance d’actes de naissance dressés à l’étranger et contrevenant à l’ordre public d’un autre État, on peut également se demander quelle sera l’influence à venir de l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 14 décembre 2021 (C‑490/20) : cette dernière a répondu par l’affirmative à la question de savoir si l’acte de naissance délivré par un État membre sur lequel sont inscrites deux femmes en tant que mères doit être reconnu dans un autre État membre dont l’une des femmes est ressortissante (cf. « PMA pour toutes » : « Les Etats membres doivent reconnaître le lien de filiation » estime la CJUE).

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