Hier, la commission spéciale bioéthique auditionnait Mme Belloubet, ministre de la justice, et Mme Vidal, ministre de la recherche, sur le projet de loi bioéthique. Les ministres s’étaient prêtées au même exercice lors de la 1ère lecture du texte à l’Assemblée nationale (cf. Audition des ministres sur la loi de bioéthique : un ton apaisé, des dérives majeures). Comme il y a quelques mois, elles ont adopté un ton « apaisé » et « rassurant ». Leurs propos laissent penser que le projet de loi change peu de choses, qu’il est un texte d’équilibre pour garantir la sécurité juridique des enfants, celle des parents ou encore les principes internationaux majeurs de protection de l’embryon humain.
Sur la recherche sur l’embryon
Si la PMA sans père a été un des thèmes de cette audition (cf. ci-dessous), c’est bien la recherche sur l’embryon humain qui en a été le sujet principal.
Mme Frédérique Vidal a exposé longuement les modifications apportées par le projet de loi dans ce domaine. Elle en a présenté les enjeux de façon anesthésiante, si bien que les sénateurs ne pouvaient qu’en sortir rassurés. A plusieurs reprises Mme Vidal a qualifié le projet de loi de texte qui « propose un cadre juridique rénové », « lève un flou juridique », « réécrit les choses de manière moins floue », « allège le régime de recherche», « réaffirme les lignes rouges », « trace certaines limites » ou encore, « soutient la qualité de notre recherche scientifique libre et responsable ». A l’entendre, le projet de loi ne contient aucun enjeu majeur.
Pourtant il faut rappeler que pour la première fois, la loi autorisera la création d’embryons transgéniques ou chimériques, la culture de l’embryon jusqu’à 14 jours, la mise à disposition des cellules souches embryonnaires humaines pour les chercheurs, la création de gamètes artificiels etc. (cf. Projet de loi bioéthique : Nouvelle étape dans la libéralisation de la recherche sur l’embryon [décryptage 2/3]).
En particulier, la ministre de la recherche s’est voulue rassurante sur trois points :
–elle présente la levée de l’interdiction de créer des embryons chimériques comme une simple précision apportée dans la loi. Pour elle, l’insertion de cellules humaines dans des animaux est déjà réalisée dans les laboratoires, puisque la loi ne l’interdisait pas. Mais Mme Vidal oublie de préciser que ces expérimentations ne concernaient que des cellules humaines non embryonnaires intégrées dans un animal. D’une part parce que l’article L2151-2 du code de la santé publique pose une interdiction absolue de la création d’embryons chimériques. Interdiction que l’on peut interpréter aisément comme une interdiction de toucher à l’embryon humain pour créer une quelconque chimère. D’autre part parce que, même si certains cherchent à diminuer cette interdiction en considérant qu’il était acceptable d’intégrer des CSEh dans l’embryon animal, cette recherche aurait nécessairement due être autorisée par l’Agence de la biomédecine (ABM), dès lors qu’il s’agit de recherche utilisant l’embryon humain et ses cellules souches. Or, l’ABM n’a jamais autorisé de telles recherches, ce qui montre bien que les chercheurs ne se sont pas aventurés sur ce terrain pour le moment, disposant déjà des cellules humaines non embryonnaires pour ces expérimentations.
–elle présente l’autorisation de créer des embryons transgéniques, qu’elle qualifie « d’édition du génome » comme une nécessité scientifique pour comprendre le rôle des différents gènes dans la différenciation de nos cellules (pour les processus physiologiques comme le vieillissement ou pathologiques comme le cancer). Mais elle omet de préciser que si on se lance dans ce type d’expérimentation, c’est un pas vers les bébés génétiquement modifiés.
-elle présente l’allongement de la durée de culture des embryons jusqu’à 14 jours comme une limite éthique posée par sagesse. Mme Vidal avait commencé son propos en évoquant une conviction partagée : « ce que la science peut rendre possible n’est pas forcément aligné sur ce que notre société souhaite ». Pourtant, la disposition repoussant la culture de l’embryon humain à 14 jours est l’illustration contraire de cette « conviction ». C’est bien parce que les équipes scientifiques savent depuis à peine deux ans maintenir en vie un embryon humain à 14 jours sans l’endommager, que la France intègre cette disposition dans la loi.
Enfin, il faut noter que Mme Vidal se vante du respect des interdits majeurs internationaux dans le projet de loi. Elle cite notamment l’interdit de créer des embryons pour la recherche, l’interdit de transmettre la modification du génome à la descendance, l’interdit d’intégrer des cellules animales dans l’embryon humain, principes posés par la convention d’Oviedo. Elle laisse ainsi penser à une volonté politique de maintenir des lignes rouges. Mais il faut préciser que la France n’a pas le choix que de respecter ces principes car elle a ratifié la convention d’Oviedo. Et que le gouvernement ne se prive pas pour contourner ces interdits majeurs en autorisant la création de modèles embryonnaires par exemple, ou en baissant toutes les autres barrières possibles, notamment en supprimant tout encadrement pour la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines.
Sur la PMA sans père
Mme Belloubet a réaffirmé la création d’un « dispositif ad hoc » pour établir la filiation à l’égard de « deux femmes » qui réaliseront une procréation médicalement assistée (PMA) avec tiers donneur. Elle confirme donc l’idée d’une « reconnaissance conjointe » établie devant notaire, avant le début de la grossesse, réalisée par deux femmes. Celles-ci consentiront alors au principe de l’AMP et s’engageront à être « mère » du futur enfant. Mme Belloubet considère que ce dispositif garantit l’égalité des droits des enfants, la sécurité juridique pour les « deux mères » et les enfants, la simplicité de la procédure, l’absence de modification des droits des couples hétérosexuels.
Le principe même de la PMA étendue aux femmes n’est pas discuté. Mme Belloubet annihile le questionnement d’ailleurs en considérant qu’il s’agit de reconnaitre un choix de vie et la pluralité de constitution des familles. Les sénateurs quant à eux, tentent de repousser la ministre dans ses retranchements : Pourquoi n’allez-vous pas jusqu’au bout du principe d’égalité en allant jusqu’à la GPA ? Pourquoi levez-vous la condition de stérilité pour les couples hétérosexuels ? La ministre tente de convaincre : « L’enfant s’inscrit dans un projet parental, cependant il n’y a pas de droit à l’enfant. […] Le principe d’égalité ne peut jouer de façon absolue, […] la PMA pour les femmes n’instaure pas de chemin vers la GPA ».
Le Sénat débutera l’examen du texte en commission spéciale bioéthique lors de la semaine du 6 janvier 2020.
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