Audition de la Commission spéciale bioéthique : l’embryon humain en danger

Publié le 6 Sep, 2019

Mercredi 4 septembre dernier, la commission spéciale bioéthique a organisé une audition relative à la recherche sur l’embryon et ses cellules souches. Dans ce cadre, ont été auditionnés le Pr Jérôme Larghero, directeur du département de Biothérapies cellulaires et tissulaires de l’Hôpital Saint-Louis, Cécile Martinat, Présidente, directrice de recherche et Pierre Savatier, directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM).

Sur ce sujet bioéthique sensible, la commission spéciale bioéthique a fait le choix de la pensée unique ; seuls des promoteurs de la recherche sur l’embryon ont été invités à prendre la parole.

Dès le départ, Agnès Firmin le Bodo annonce la couleur : « Il ne vous revient évidemment pas de vous prononcer sur le statut de l’embryon ». Pourtant, même si l’embryon humain n’a pas de statut juridique en droit français, il aurait été bienvenu de rappeler l’humanité de celui qui est devenu un matériau de recherche. L’enjeu est de taille car la recherche sur l’embryon, de même que l’obtention de ses cellules souches, entraine sa destruction.

L’utilisation problématique des cellules souches embryonnaires humaines

Alors même que le projet de loi bioéthique simplifie considérablement les démarches administratives des chercheurs au préjudice de l’embryon humain, Cécile Martinat ne semble pas pleinement satisfaite. Soulignant que « le développement scientifique n’aime pas trop la contrainte », elle réclame davantage de flexibilité. Elle déplore que le projet de loi fasse dépendre la conservation des cellules souches embryonnaires humaines (CSEh) d’une autorisation de l’Agence de la biomédecine et craint de nouvelles attaques en justice ; elle explique que des protocoles de recherche ont été arrêtés en mars dernier suite à une décision de la Cour d’appel de Versailles, mais reste silencieuse sur la cause de ces condamnations… Or, si ces recherches ont été arrêtées, c’est parce qu’elles ont été déclarées illégales par la justice française.

Pour assoir et légitimer l’utilisation des CSEh, les scientifiques évoquent un essai clinique qui a été mené en France sur ces cellules. Jérôme Larghero, qui a mené cet essai avec le professeur Menasché précise, qu’ils ont été « les premiers au monde à greffer des cellules dérivées de CSEh dans une pathologie cardiaque ». Présentant avantageusement les CSEh, le professeur omet de préciser que cet essai clinique a été arrêté en 2017, ce qui est loin d’être un détail. A l’époque, le professeur Menasché  avait d’ailleurs relativisé ses travaux : « Il reste difficile de dire si l’amélioration provient de la greffe de cellules ou du pontage ». Le pontage et « la chance » pourrait « à eux seuls expliquer les ‘bons résultats’ »[1]. Décidant d’arrêter cet essai clinique sur les CSEh pour changer de voie de recherche, il avait déclaré que de ce travail, « on ne peut rien en tirer »[2].

C’est donc une réalité tronquée que présente Jérôme Larghero. Et il n’est pas le seul. Selon Cécile Martinat, « cela fait bien longtemps que l’on a pas dérivé de CSEh ». Elle laisse alors sous-entendre qu’il n’y a plus d’embryons détruits aujourd’hui pour dériver de nouvelles lignées de CSEh. A propos de ses travaux, elle explique : « Cela fait un peu plus de 15 ans que je travaille sur les CSEh, je n’ai jamais détruit un embryon, j’utilise des lignées qui ont été dérivées il y a maintenant 20 ans (…) A l’ origine c’était une destruction d’un embryon (…) On ne détruit pas au quotidien des embryons ». Mais, sur ce point, Pierre Savatier précise : « Pour une fois, je ne suis pas entièrement d’accord avec ce que tu viens de dire (…) ». Il poursuit : « On pourrait penser que maintenant, on a de quoi travailler pendant 10, 20, 30 ans et qu’il n’est plus nécessaire de détruire des embryons humains, ça n’est pas entièrement vrai pour deux raisons. La première, c’est parce qu’on peut vouloir utiliser les embryons humains à des fins de recherche autre que la fabrication de CSEh (…) On est également dans une situation actuellement où on commence à percevoir l’arrivée de nouveaux types de lignées de cellules souches pluripotentes (…) On va certainement être amené dans les années à venir à souhaiter refabriquer de nouvelles lignées de CSEh (…) en détruisant de nouveaux embryons (…) Si on développe de nouvelles stratégies, on aura besoin de nouveaux embryons humains pour fabriquer de nouvelles lignées. »

L’alternative des cellules iPS

A propos de l’utilisation des CSEh par rapport à leur alternative éthique, les cellules souches pluripotentes induites (iPS), gênée, Cécile Martinat reconnaît qu’ « actuellement dans les essais cliniques, on inclut l’immunosuppression des patients, ce n’est pas l’idéal, mais on est obligé car notre objectif est de pouvoir utiliser les CSEh ». Paradoxalement, elle souligne la nécessité de se « focaliser sur l’utilisation des CSEh ». Pourquoi une telle obstination alors même que l’alternative iPS qui existe n’implique ni traitement immunosuppresseur, ni destruction embryonnaire. Su ce point, Jérôme Larghero ironise : « (…) On se moque complétement de savoir si tel ou tel type cellulaire est mieux ou moins bien, éthiquement plus responsable, éco durable, hqe ou pas ».

Pour légitimer davantage le recours aux CSEh, les scientifiques vont discréditer les cellules iPS. Cécile Martinat précise notamment que les iPS sont des OGM, puisqu’elles sont « obtenues par modifications génétiques ». Mais en réalité, on ne peut plus parler d’ « OGM » dès lors que la cellule est correctement reprogrammée, c’est-à-dire dès lors qu’elle ne contient plus aucun vecteur utilisé pour la  reprogrammation. L’ignore-t-elle ou feint-elle de l’ignorer ? Elle laisse penser à tort que la reprogrammation des iPS présente un risque. Ce n’est pourtant pas le cas. En témoignent les essais cliniques de thérapie cellulaire menés au Japon dont les derniers résultats sont encourageants. Les 3 scientifiques n’en parleront pas. Pionnier dans ce domaine, ayant fait le choix de privilégier l’alternative éthique, le Japon fera l’objet, au cours de cette audition, de nombreuses critiques. Pourtant, les résultats montrent que la recherche est loin d’en pâtir.

Jean-Louis Touraine, fervent partisan de la recherche sur l’embryon, les interrogent : « Pouvez-vous bien redire toutes les différences qui existent entre CSEh et cellules iPS ? ». La réponse de Cécile Martinat est pour le moins déstabilisante. « Honnêtement, à l’heure actuelle (…) c’est difficile de pouvoir répondre à cette question ». Elle fait vaguement référence notamment aux « différences extrêmement fines au niveau épigénétique ». Quant aux conséquences fonctionnelles, elle avoue : « ça reste un petit peu plus nébuleux ». De la bouche de celle qui ne cesse de faire la promotion des CSEh, de telles hésitations laissent perplexe.

La recherche sur l’embryon humain

Pierre Savatier, directeur de recherche à l’INSERM, s’exprime quant à lui plus spécifiquement sur la recherche sur l’embryon. Il ne semble pas satisfait de l’allongement du délai de culture des embryons in vitro à 14 jours. Il souhaiterait bien volontiers pouvoir mener des recherches jusqu’au 21ème jour. Paradoxalement, il est scandalisé par l’expérience du scientifique chinois He Jiankui qui a annoncé en novembre dernier avoir fait naitre les premiers bébés génétiquement modifiés. Selon lui, le scientifique chinois a malheureusement franchi la ligne rouge. Il a pourtant beau jeu de s’offusquer quand le projet de loi prépare le terrain en rendant possible la modification génétique des embryons in vitro. « Personne parmi nous (…) n’osera soutenir la nécessité ou l’utilité de transférer ces embryons. En tout cas, en l’état actuel de la technologie », explique-t-il. Et que se passera-t-il quand la technologie aura évolué ? Quand les techniques de modifications in vitro auront été éprouvées…? La France suivra logiquement le chemin de la Chine.



[1] Europe 1, 28 octobre 2015

[2] Genethique, « Recherches sur l’embryon : l’heure du choix pour le professeur Menasché », 1 juin 2017

 

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