Arte : « Les enfants du secret », l’anonymat des donneurs de sperme en question

Publié le 11 Juil, 2019

Alors que la prochaine loi de bioéthique devrait aborder la question épineuse de l’anonymat des donneurs de sperme, Arte proposait mardi soir un documentaire sur le sujet.

 

En France aujourd’hui, 70 000 enfants sont issus d’une PMA avec don de sperme. « Les enfants du secret », un documentaire a diffusé ce mardi 9 juillet sur Arte, suit l’un d’eux. Rémi est né d’une PMA avec donneur et il cherche à savoir quelle est l’identité de son géniteur. Au travers de son parcours, semé d’embuches, il rencontre des gynécologues et des médecins qui ont pratiqué l’insémination artificielle, des enfants comme lui issus de PMA, comme lui en quête de leur géniteur.

Dans les années 70 les premiers CECOS[1] se développent et établissent les règles du don : gratuité, appariement (assortir le donneur avec le mari du couple demandeur) et anonymat. Si l’anonymat protège le don, il créé un système opaque, les banques de sperme refusant de délivrer la moindre information sur les donneurs dont elles ont détruit l’identité, rendant impossible le moindre contact entre les différents acteurs du processus (le médecin, le donneur et le couple).   

 

Le documentaire s’attache aussi aux dérives possibles du système. Avant les premières lois de bioéthique en 1994 qui interdisent des filières parallèles et limitent le nombre d’enfants conçus à partir d’un même donneur, des réseaux parallèles privés se sont développées, « un business pour les gynécologues » avec l’éclosion de « donneurs sauvages » qui utilisent ce moyen pour « se faire » de l’argent, sans se rendre compte des conséquences à long terme de leurs actes. Un de ces donneurs sauvages reconnait que « peut-être, on est allé trop loin ».

 

Au cours de son enquête, Rémi rencontre un médecin qui s’est occupé d’une banque de sperme à l’époque de sa naissance. Elle fait partie des pionniers de la technique. Elle révèle que son mari était donneur. Elle a utilisé une seule fois le sperme de son mari avec son accord, pour une femme qui lui paraissait sympathique. Elle ne pouvait pas le donner à n’importe qui, il fallait que cette femme lui soit aimable. Elles se sont revu par la suite et sont devenues amies. La femme un jour lui envoie la photo de l’enfant, elle fait une brutale prise de conscience : « Mais c’est de la folie, on va où ? » Le lendemain, elle coupe net leur relation. Elle garde la photo, qu’elle cache cependant à Rémi quand elle surgit d’une masse d’archives sur la table. Les deux familles ne se sont jamais revues. Elle ne réutilisera jamais le sperme de son mari pour la conception d’autres enfants.

 

Les grands oubliés, ce sont eux, les enfants qui portent la souffrance d’une origine à jamais inaccessible. A cette blessure peut s’ajouter le silence de ceux qui les ont élevés : peu d’enfants savent qu’ils sont issus de donneurs (moins de 10% selon le reportage) et beaucoup l’apprennent tard : à 15, 18 ou même à 29 ans… Rémi ressent son origine comme un tabou : ses parents ont du mal à lui en parler, et il perçoit l’appariement entre son père et le donneur comme une façon de lui cacher sa véritable identité.

 

Beaucoup de ces personnes, désormais adultes, se sont mises en quête de leur donneur. Elles le font parce qu’elles ont besoin d’humaniser leur donneur, d’enlever une interrogation qui les fait tanguer ; elles se sentent dépossédés de leur propre histoire. Elles ont aussi besoin de connaître leurs antécédents médicaux, de prévenir des risques de maladies héréditaires, d’éviter tout risque de consanguinité…

 

Rémi rencontre Arthur Kermalvezen, qui, malgré les difficultés et en dépit de l’interdiction de la loi française, a réussi à retrouver son donneur (cf. Né d’un don de sperme, il retrouve son géniteur par généalogie génétique). Il explique que le fait de connaître son identité est un « soulagement », il sent que son existence a « une assise plus solide qu’avant. » Beaucoup de jeunes adultes l’ont imité (cf. 70 jeunes adultes nés d’un don de gamètes à la recherche de leurs origines). Pas toujours avec le même bonheur…

 

Audrey, sa femme, elle-même rée de PMA avec donneur, évoque une « injustice », un « scandale ». Selon elle, l’anonymat du don ne respecte pas le droit de la CEDH des enfants à connaitre leurs origines. Désir des parents d’avoir un enfant, mais quid des souffrances de l’enfant (cf. La Cour européenne des droits de l’homme intervient dans le débat sur l’accès aux origines des enfants nés d’un don de gamètes)  ?

 

La procréation médicalement assistée bouscule « l’ordre naturel de la conception ». Dans cette filiation à quatre composée de l’enfant, de la mère biologique, du père légal et du donneur, ce dernier n’est pas un second père : « Papa sera vraiment ton père », le géniteur est « ta part d‘inconnu ». Pourtant, la détermination de ces enfants et leur souffrance face à cet inconnu souligne l’importance de ce lien biologique, de cet impératif humain qui consiste à savoir d’où l’on vient. C’est un sujet « coûteux », il n’est pas facile à aborder car il touche l’intime (cf. Connaître ses parents biologiques : « condition sine qua non pour savoir qui on est complètement »). Ce paradoxe se manifeste bien quand ces jeunes apprennent, après des tests génétiques, qu’ils sont demi-frères, demi-sœurs : « Que signifie le lien du corps quand on n’a pas une histoire commune ? »

 

Le documentaire invite à redistribuer les cartes de la filiation et demande qu’on permette aux donneurs volontaires et aux adultes d’entrer en contact et aussi que les donneurs acceptent de révéler leur identité au moment de la majorité de l’enfant. Pour autant, qu’en sera-t-il de la prochaine loi de bioéthique ?

 

 

 

Pour aller plus loin :

Audrey Kermalvezen soulève les paradoxes du don de gamètes

PMA avec donneur et droit de connaitre ses origines

Droits des enfants nés par PMA : vers une timide avancée ?

Procréation médicalement assistée : le bien et les droits de l’enfant au regard de l’expérience



[1] Cente d’étude et de conservation et œufs et du sperme humains.

 

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