Androcur : l’ANSM mise en cause devant le tribunal administratif

Publié le 2 Avr, 2024

Le 7 mars, deux requêtes mettant en cause l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ont été déposées devant le tribunal administratif de Montreuil par les victimes de l’Androcur et d’autres progestatifs (Lutényl, Lutéran…). Au vu des rapports d’expertise médicale, une demande d’indemnisation est formulée.

De nouveaux dossiers sont en préparation. Entre 2008 et 2018, il pourrait y avoir eu au moins 3 000 victimes selon la présidente de l’Association des victimes de méningiomes liés aux médicaments Androcur, Lutéran, Lutényl, Colprone, Surgestone et aux autres progestatifs (Amavea) (cf. Contraception : des progestatifs courants augmentent le risque de tumeur cérébrale).

« Personne ne m’a avertie que ma vie pouvait basculer »

Céline A., âgée de 50 ans, a engagé l’un des recours. Sur les conseils de son gynécologue, elle a pris de l’Androcur de 2010 à 2016. « Personne ne m’a avertie que ma vie pouvait basculer à cause d’une simple pilule » s’indigne-t-elle.

A la suite d’un accident de voiture, elle réalise une IRM cérébrale. En septembre 2016, trois méningiomes sont alors mis en évidence. Le plus gros est enlevé en urgence. Huit ans après, Céline ne peut plus ni conduire, ni travailler du fait de maux de tête, de troubles de la concentration et de l’équilibre, mais aussi d’une acuité visuelle réduite. Elle vit en outre avec deux méningiomes à surveiller et la « peur » d’une nouvelle intervention.

En octobre 2022, le rapport d’expertise définitif, réalisé dans le cadre d’une procédure de « référé expertise » (cf. Androcur : de nouveaux cas de tumeurs, une action en justice), reconnait « le lien de causalité entre la pathologie et les symptômes présentés (…) et l’Androcur ». Selon les experts, il « ne peut pas être imputable à une autre cause ». Le rapport indique en outre qu’« il semble illogique que les mesures de prévention n’aient été prises qu’à partir de 2018 » alors que l’ANSM admet sur son site que « le risque était établi en 2009 » (cf. Contraception et tumeurs au cerveau : le médicament ne sera pas retiré du marché).

Les mesures adoptées ont été bien trop tardives

La première alerte de pharmacovigilance a eu lieu dès 2004, et, en 2007, les experts estiment que le risque était « avéré », une première publication scientifique ayant alerté sur les risques. Le laboratoire Bayer a en outre mentionné dès cette date le « risque plus élevé de méningiomes chez les utilisatrices d’acétate de cyprotérone ».

Pourtant, « ce n’est que sur la période octobre 2018-2020, alors que plus de 20 publications étaient parues sur le sujet et que plus de 500 cas de méningiomes chez des patients traités par acétate de cyprotérone avaient été déclarés (ce qui est énorme au vu de l’incidence très faible des méningiomes) que les mesures adaptées ont été prises avec un plan de gestion des risques ».

En septembre 2018, suite à une étude réalisée par la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM), un premier courrier est envoyé aux praticiens leur recommandant de ne pas prescrire la molécule en cas d’existence ou d’antécédent de méningiome, et d’arrêter le traitement si un méningiome survient. Un mois après, un dépistage par IRM est en outre recommandé. En mai 2019, une brochure d’information pour les patientes est également publiée (cf. Androcur, utilisé comme contraceptif, provoque des tumeurs au cerveau mais continue d’être autorisé). Finalement, en juin 2020, l’autorisation de mise sur le marché (AMM) prévoit la nécessité de réaliser une IRM avant et en cours de traitement.

La notice d’information « ne reflète pas la gravité du méningiome »

Le rapport s’indigne par ailleurs du fait que « la notion de bénignité de la tumeur persiste dans la notice d’information ». Le méningiome y est présenté comme une « tumeur généralement bénigne » du cerveau, alors qu’il s’agit d’une « pathologie très grave ». Les experts considèrent que le terme « bénin » est « inadapté », et n’a « rien à faire » dans une notice destinée aux patients car il « ne reflète pas la gravité du méningiome ».

« Cette affaire des progestatifs constitue un scandale de santé publique majeur » relève Charles Joseph-Oudin, l’avocat de Céline A« Pendant des années, des milliers de femmes ont été exposées à des doses très importantes d’un produit pourtant suspecté de créer des tumeurs cérébrales très graves » s’offusque-t-il (cf. Sur-risque de tumeurs cérébrales lié à la prise de traitements progestatifs).

Les victimes « doivent être indemnisées »

Selon lui, il existe des « similitudes fortes » entre le dossier du Mediator, de la Dépakine et de l’Androcur. « L’Agence du médicament et les laboratoires étaient informés des risques. Mais il a fallu plus de dix ans pour que les médecins prescripteurs et les patientes soient correctement informés » dénonce-t-il. « Ce retard dans la délivrance d’une information précise et circonstanciée constitue une faute de l’autorité de santé » poursuit-il.

La justice a déjà reconnu une telle faute dans le cadre du Mediator et de la Dépakine. Selon Emmanuelle Huet-Mignaton, la présidente de l’Amavea, le ministère de la Santé doit « mettre en place un dispositif d’indemnisation comme cela a été fait pour le Mediator et la Dépakine ». Les victimes « doivent être indemnisées à la hauteur du préjudice qu’elles ont subi » insiste-t-elle .

 

Source : Le Monde, Stéphane Mandard (29/03/2024)

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