Le 14 février dernier, le Conseil d’Etat rendait sa décision concernant le cas de Vincent Lambert. La plus haute juridiction administrative a estimé qu’une nouvelle expertise médicale était nécessaire (Cf Synthèses de presse Gènéthique du 14/02/2014 et du 17/02/2014). Revenant sur cette décision, Gaspard Le Pomellec, avocat et cofondateur de Sens commun, considère que trop peu de personnes “se sont penchées sur l’enjeu véritable de cette bataille judiciaire” à savoir, “les conséquences de la décision du Conseil d’Etat sur l’application de la loi Léonetti de 2005 relative aux droits des patients en fin de vie“.
Tout en qualifiant de prudente la décision du Conseil d’Etat, Gaspard Le Pomellec souligne que l’essentiel de la décision se situe sur les trois questions auxquelles la juridiction administrative a été amenée à se prononcer:
– “Les dispositions de la loi Léonetti doivent-elles s’appliquer aux patients qui ne sont pas en fin de vie?”
– “L’alimentation et l’hydratation artificielles sont-elles des traitements – par opposition aux soins de base dus à tout patients – et donc éventuellement qualifiables d’acharnement thérapeutique?“
– “Le maintien en vie de Vincent Lambert fait-il précisément l’objet d’une ‘obstination déraisonnable’ justifiant l’interruption de l’alimentation et de l’hydratation artificielle?“.
Aux deux premières questions, les juges administratifs ont répondu positivement. L’expertise ordonnée permettra de répondre à la troisième question, précise l’avocat.
Gaspard Le Pomellec estime “préoccupant” que les juges aient pu admettre que l’alimentation et l’hydratation artificielle relèvent “des actes qui tendent à assurer de façon artificielle le maintien des fonctions vitales du patient (…)susceptibles d’être arrêtées” en se fondant sur la seule intention du législateur et des travaux parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi Leonetti. Car si les débats qui ont précédé l’adoption de la loi de 2005 “reflétaient effectivement cette intention“, le législateur a cependant choisi de ne pas l’inscrire comme tel dans la loi, ce qui “priv[e] ainsi cette intention de toute valeur normative“. En considérant l’alimentation et l’hydratation comme des traitements “le Conseil d’Etat a pris la responsabilité d’entériner, sans plus de justification, ce qui n’était qu’une simple intention du législateur“. Ce qui d’ailleurs “est loin d’être une évidence et fait débat” dans le monde médical.
Pour Gaspard Le Pomellec, la question essentielle qui apparaît à la suite de cette décision et pour laquelle il n’y a pas de réponse est celle de “la limite entre une alimentation constitutive d’un traitement et une alimentation qui répond à un besoin propre à toute vie humaine“. Appliquée au cas de Vincent Lambert, “l’interruption de l’alimentation et de l’hydratation aurait nécessairement pour effet de le faire souffrir de la faim et de la soif, d’affaiblir considérablement son corps, à terme de le ‘faire mourir’ – et non pas de le ‘laisser mourir’ comme l’affirme la haute juridiction administrative“.
Il résulte de cette décision qu’en ne définissant pas la notion de “traitement” et “en admettant sans nuance que l’alimentation et l’hydratation artificielles soient considérées comme tel, le Conseil d’Etat a ouvert une brèche dans la loi Léonetti, pourtant reconnue jusqu’ici pour son équilibre et son consensualisme“.
Le Figaro (Gaspard Le Pomellec) 24/02/2014