A l’approche du prochain Téléthon et sans mettre en doute la bonne volonté de nombreux de ses participants et le succès de certaines de ses réalisations, nous vous présentons ici quelques réflexions.
Quelles maladies génétiques ?
L’Association française contre les myopathies (AFM) est présentée comme une structure finançant « une recherche fondamentale et de qualité sur l’ensemble des maladies génétiques1 ». De fait le Téléthon finance la recherche sur les maladies géniques, mais pas les maladies chromosomiques (soit la moitié des maladies génétiques). Cette exclusion de la trisomie 21, qui est la première cause de handicap mental dans le monde (50 000 personnes en France), est surprenante. C’est le seul cas d’une maladie qui est loin d’être rare (1/650 naissances) mais qui est orpheline sur le plan financier.
Quelle thérapie ?
Par ailleurs quand on lit que « l’AFM a partiellement à son actif les grands succès thérapeutiques de l’an 2000 », notamment « la naissance en France du premier enfant en bonne santé à la suite d’un diagnostic préimplantatoire (DPI)2 » on doit s’interroger. En effet, Valentin, premier enfant né après DPI, est né indemne d’une maladie qu’il n’a jamais eue et dont la médecine ne l’a jamais ni soigné, ni guéri. Car le DPI est un tri embryonnaire qui permet de réimplanter un embryon sain et de supprimer ceux qui sont malades. Evoquer un succès thérapeutique, dû à la générosité du public, à propos de la naissance de cet enfant qui, rescapé, n’a jamais été malade, est curieux.
Les bébéthons
Déjà le Pr. Jacques Testart avait mis en garde. « La mise en scène triomphaliste de victoires toujours promises sur le malheur est un argument qui ne correspond pas à la rigueur scientifique. Le Téléthon a d’abord présenté des enfants myopathes, appelant à la solidarité des téléspectateurs. Après quelques années, on a pu voir apparaître à l’écran des enfants heureux d’être normaux dont l’existence était annoncée comme consécutive à la générosité du public : ces « bébéthons » étaient en réalité les survivants du diagnostic prénatal, lequel les avait démontrés normaux in utero malgré leur conception par des « couples à risques »…3 Le récent ouvrage de Jean-Claude Guillebaud tire lui aussi un signal d’alarme. « Avons-nous conscience de l’ambiguïté de nos choix ? Nous affichons une compassion envers les personnes souffrant de handicaps, de maladies génétiques, et nous les soutenons, y compris matériellement, dans des manifestations médiatiques spectaculaires du type « Téléthon » (…) et, simultanément nous demandons aux médecins de se dépenser sans compter pour essayer de dépister ces mêmes personnes avant leur naissance ; nous leur demandons en somme de nous aider à leur éviter de naître4 ».
Les handicapés réagissent…
Mais ce sont surtout les personnes handicapées elles-mêmes qui réagissent face à ce qu’elles perçoivent comme une violence à leur encontre. « Si on me dit que l’AFM va se consacrer au dépistage anténatal dans un but de favoriser l’élimination prénatale, j’arrête tout de suite de donner et de me mobiliser5».
« J’émets une grande réserve quant aux « bébéthons » car on croit que c’est grâce à la recherche qu’ils ont guéri alors qu’ils sont le fruit d’une sélection ; et l’avortement thérapeutique en a fait disparaître bien d’autres. D’où la question : « Et si mes parents m’avaient avorté ? » Je suspecte la recherche scientifique d’être utilisée, non pas pour la recherche thérapeutique, mais pour une suppression des malades6 ».
« Ce qui me gêne, ce sont les « bébéthons » que l’on garde s’ils plaisent, ou que l’on rejette le cas échéant… L’AFM est très ambiguë car elle réclame de façon excessive le matériel le plus cher pour les personnes handicapées et prône en même temps l’élimination des handicapés à venir… Comme si les adultes myopathes n’existaient pas7 ». Une autre jeune femme témoigne : « En regardant une émission sur le Téléthon, j’ai compris. Il y avait toujours une kyrielle de beaux bébés qu’ils appelaient les « bébés miracles du Téléthon ».(…) Dans le bouquin, (sur l’aventure du Généthon) on pouvait lire que grâce au progrès, on pouvait empêcher les enfants de souffrir en ne les faisant pas naître… J’étais révoltée d’avoir envoyé de l’argent pour ça…8 ».
« S’est-on ainsi préoccupé de savoir ce que ressentent les jeunes frères et sœurs myopathes, présentés souriants, des « bébéthons » valides « obtenus » par sélection prénatale ? Un de nos partenaires belges nous dira, à propos de cette comparaison entre « bébéthons » valides et enfants myopathes : « C’est d’une violence inouïe pour l’enfant myopathe !9 ».
[1] Le Monde, 9 décembre 2000
2 Ibid.
3 Jacques Testart, Des hommes probables, Seuil, 1999
4 Bruno Jeandidier, Etudes, juin 1997, cité par Jean-Claude Guillebaud, Le principe d’humanité, Seuil, 2001
5 Jean-Christophe Parisot, cité par Danielle Moyse et Nicole Diederich, Les personnes handicapées face au diagnostic prénatal, Erès, 2001
6 Ibid.
7 Estelle C., citée par D. Moyse et N. Diederich, op.cit.
8 Alexandra Kramoroff, citée par Danielle Moyse
et Nicole Diederich, op.cit.
9 Danielle Moyse et Nicole Diederich, op.cit.