Réagissant aux propos de Didier Sicard, président du Comité consultatif national d’éthique et ancien chef du service de médecine interne à l’hôpital Cochin (Paris), La Croix consacre un dossier au dépistage et au diagnostic prénatal en France.
Dans de nombreux services d’obstétrique, le constat est le même : les parents ne supportent plus la moindre anomalie visible décelée au cours de la grossesse. Certains parents sont effondrés lorsqu’ils apprennent qu’il manque "trois doigts de la main" à leur bébé. De plus en plus de couples ont recours au dépistage prénatal. Mais aussi la pression médicale est forte pour les parents : "J’ai dû sérieusement batailler avec la sage-femme qui me préparait à l’accouchement", raconte Anne-Marie, une jeune femme d’une trentaine d’années, mère de deux petites filles. "Si elle avait pu, elle m’aurait prescrit la prise de sang de force! Elle ne comprenait pas que je ne veuille rien savoir de plus sur la santé de mon enfant. Quand bien même il se serait révélé handicapé, je l’aurais gardé".
La trisomie 21 est l’une des cibles principales du diagnostic prénatal. Pascal Vaast, responsable de l’unité d’échographie et de médecine fœtale de l’hôpital Jeanne-de-Flandres (Lille), a le sentiment que la trisomie 21 est devenue "le symbole du dépistage anténatal". "Aujourd’hui, on est à presque 75% de fœtus dépistés", constate-t-il avec le sentiment d’être sous une pression "scientifique et peut-être sociale". Dans 95% des cas d’anomalies détectées, ces bébés sont avortés.
Reprenant une étude de l’Inserm, La Croix constate que les femmes d’origine africaine ont moins recours à l’avortement après un diagnostic prénatal de trisomie 21. En effet, 15% à 21% des femmes d’origine africaine poursuivent leur grossesse. Ces chiffres ne surprennent pas le docteur Patrice Lamba, chef du service de gynécologie-maternité de l’hôpital d’Argenteuil : "Un grand nombre de femmes africaines refusent d’emblée d’avorter d’un enfant atteint. Nous prenons le temps d’en parler avec elles : c’est vraiment en connaissance de cause qu’elles font ce choix, lié, selon moi, à une culture qui accueille mieux le handicap". Ce constat est partagé par Mamé Keita, interprète guinéenne qui accompagne régulièrement des femmes africaines dans le service de gynécologie-obstétrique du CHU de Nantes : "Un grand nombre de ces femmes sont très réticentes face au dépistage prénatal et largement hostiles à l’idée d’une interruption de grossesse en raison d’un handicap. Souvent elles disent : "trisomie ou pas, c’est mon bébé". "Je pense aussi que leur attitude s’explique par la forte solidarité qui existe dans la culture africaine". Le Pr Michel Tournaire, chef du service de gynécologie-obstétrique de l’hôpital Saint Vincent de Paul (Paris), constate que "souvent, elles expliquent qu’elles ont déjà connu dans leur entourage un enfant atteint de cette maladie et qu’elles souhaitent poursuivre leur grossesse, car leur enfant ne sera pas différent de cet enfant malade qu’elles ont connu, et aimé".
Pour Didier Sicard, il y a un malaise : "la vérité centrale est que l’essentiel de l’activité de dépistage prénatal vise à la suppression et non au traitement" (Le Monde, 6 février 2007). Il parle "d’eugénisme", terme que récusent de nombreux médecins : "La prévention par la mort d’une souffrance de l’enfant, ce n’est pas de l’eugénisme" affirme le Pr Claude Sureau, ancien président de l’Académie de Médecine. "Dans certains cas, comme la trisomie 21, cette souffrance n’est pas évidente, c’est vrai. C’est plutôt la souffrance des parents que l’on vise à faire disparaitre. Cela pose sans doute une question morale, mais, en aucun cas, il ne s’agit d’eugénisme".
Certains contestent cette "forte pression sociale" sur les femmes pour les contraindre à avorter en cas d’anomalies. Bertrand Mathieu, juriste et directeur du Centre de recherche en droit constitutionnel s’alarme : "Alors que la loi de bioéthique a interdit en 1994 "les pratiques eugénistes tendant à l’organisation de la sélection des personnes", aujourd’hui on organise la sélection des personnes". Il en veut pour preuve "le lien automatique établi entre dépistage et interruption de grossesse – en témoigne l’affaire Perruche, dans laquelle le juge présumait que si la femme avait su que son enfant était anormal, elle aurait avorté", et le recours accru à l’interruption médicale de grossesse, grâce à l"’élargissement de la notion d’exceptionnelle gravité".
La Croix (Marie Boëton, Anne-Bénédicte Hoffner, Pierre Bienvault, Michel Verrier) 28/02/07