La controverse des greffes à cœur arrêté

Publié le 29 Août, 2008

Le 14 août dernier, dans le New England Journal of Medicine, l’équipe du Pr Mark Boucek (hôpital pour enfants de Denver, Colorado) a annoncé avoir pratiqué, entre mai 2004 et mai 2007, trois transplantations cardiaques sur des nouveaux nés à partir d’organes prélevés sur des nourrissons atteints de lésions cérébrales. Cet article a créé "une vive émotion" dans la communauté des spécialistes, les greffes ayant été pratiquées "dans des conditions qui ne respectent pas pleinement la définition de la mort".

Le diagnostic de la mort des enfants prélevés (âgés en moyenne de 3,7 jours) a été établi sur des critères d’arrêt de la circulation et des battements cardiaques et, alors que les recommandations officielles disent que ce diagnostic doit être posé au bout d’environ cinq minutes d’arrêt cardiaque, les chirurgiens ont réduit ce délai à 75 secondes. Par ailleurs, dans le but d’améliorer les chances de survie du greffon, les médecins ont injecté dans les veines du prélevé un cocktail d’anticoagulants et de médicaments vasodilatateurs, autant d’interventions qui ne lui bénéficient pas. Les chirurgiens avaient donc, au préalable, décidé d’interrompre les soins les plus lourds prodigués aux nourrissons prélevés, tout en programment le prélèvement du cœur.

Bien que le taux de survie à six mois soit de 100% (contre 84% avec la technique classique par mort cérébrale), ce bilan suscite de nombreuses interrogations. Le New England Journal of Medicine a choisi d’accompagner cette publication de trois analyses de spécialistes. Ainsi, le neurologue James Bernat (Darmouth Medical School, New Hampshire) se demande si le fait de pouvoir redémarrer un greffon cardiaque chez le receveur ne prouve pas que l’arrêt chez le donneur n’était pas irréversible. Pour l’éthicien Robert Veach (Georgetown University, Washington DC), "il est acquis qu’en agissant de la sorte on interrompt une vie par prélèvement d’organe".

Certains hôpitaux américains usent d’une autre méthode largement controversée selon laquelle, immédiatement après le diagnostic d’arrêt cardiaque, une machine miniaturisée de circulation extracorporelle est branchée sur des veines et artères du donneur, pompant et oxygénant ainsi le sang à la place du cœur et des poumons, ce qui permet de "sauver" le futur greffon. Mais, cette nouvelle technique a pour corollaire de retarder la destruction du cerveau, critère pourtant impératif de la mort.

Pour le Dr Luc Noël, coordinateur de l’unité "Procédures cliniques" à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), "il s’agit d’une affaire très importante" : "modifier de la sorte les critères qui étaient jusqu’ici en vigueur pour autoriser des prélèvements d’organe peut avoir de graves conséquences dans l’opinion"… De nombreuses voix s’élèvent donc pour demander aux autorités de préciser où sont les frontières de l’acceptable en ce domaine.

Rappelons qu’en France, bien que la loi n’autorise en principe que les prélèvements sur des personnes en état de mort cérébrale, l’Agence de la biomédecine a lancé, en mars 2007, un programme de prélèvements "à cœur arrêté" (cf. Synthèse de presse du 16/04/08). Mené sur dix sites, ce programme ne concerne pour le moment que les dons de reins.

[Pediatric heart transplantation after declaration of cardiocirculatory death – Boucek MM, Mashburn C, Dunn SM, Frizell R, Edwards L, Pietra B, Campbell D; Denver Children’s Pediatric Heart Transplant Team]

Le Monde (Jean-Yves Nau) 16/08/08 – Le Figaro (Jean-Michel Bader) 14/08/08 – MedHyg.ch (Jean-Yves Nau) 22/08/08 – Bio Edge 20/08/08

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