Comment protéger le génome humain, patrimoine de l’humanité ?

Publié le 28 Oct, 2015

« Jusqu’à récemment, les interventions génétiques sur la lignée germinale restaient un sujet de romans de science-fiction et de débat scientifique théorique, car on les croyait irréalisables »[1]. Aujourd’hui, les techniques de clonage, l’utilisation de cellules souches, la formation de gamètes à partir de cellules souches pluripotentes, leur facilité de manipulation avec, particulièrement, l’utilisation de l’outil CRISPR-Cas9[2], sont autant de techniques de pointes qui vont induire des modifications importantes du génome transmissibles aux générations futures.

 

Aussi, dans le communiqué de presse envoyé en clôture des deux années de travail qui ont donné lieu à la publication d’un rapport sur « le génome humain et les droits de l’homme », le Comité international de bioéthique (CIB)[3] de l’Unesco a appelé  à un moratoire, « une interdiction temporaire de l’’ingénierie’ génétique de la lignée germinale humaine ». Cette demande s’accompagne de deux autres. Tout d’abord, l’interdiction du clonage humain, les experts estimant qu’« aucun argument médical ou éthique » ne peut le soutenir. Ensuite, concernant l’ADN mitochondrial, le rapport précise qu’« il est essentiel de pouvoir se reposer sur des forums scientifiques internationaux fiables pour s’assurer que ces procédures soient des traitements ‘réellement sûrs et effectifs’, avant de considérer leur utilisation sur des êtres humains. (…) Dans le même temps, admettant l’existence de perspectives et de normes différentes, le débat doit rester ouvert sur l’acceptabilité éthique de ces techniques ».

 

La sécurité est, pour les experts, la « condition incontestable pour l’application de ces techniques à l’être humain »[4] estimant à la suite de nombreux scientifiques que « nous en savons encore trop peu sur les interactions génétiques et les possibles conséquences involontaires de la modification du génome humain »[5] Le rapport poursuit : « En éliminant quelques prédispositions néfastes, d’autres problèmes pourraient apparaître et exposer les individus et l’espèce humaine elle-même à d’autres risques potentiellement aussi graves que ceux que nous pourrions résoudre »[6].

 

Le CIB s‘attaque aussi à la question de la dignité rappelant que le génome humain est « patrimoine de l’humanité », qui souligne « la valeur exceptionnelle de ce qui doit être protégé et transmis aux générations futures ». Les experts estiment que « les interventions sur le génome humain ne [doivent être] admises que pour des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques et sans apporter de modifications chez les descendants »  sous peine de « mettre en péril la dignité inhérente et donc égale de tous les êtres humains et de faire renaître l’eugénisme, déguisé comme l’accomplissement du désir d’une vie améliorée ».

 

Le rapport souligne que « les raisons médicales devraient toujours rester une limite à ne pas franchir ». S’il loue l’intention de ces recherches qui devrait permettre d’éviter des avortements pour raisons médicales : « L’objectif de l’élimination de maladies terribles ne peut qu’être partagé et la thérapie génique pourrait aussi permettre de réduire les controverses sur le principe du respect de la vie, car elle pourrait être un moyen de traiter la cause sans soulever la question de décider de la vie elle-même du fœtus ou de l’embryon qui en est affecté », en dehors de ce cadre, le rapport souhaite « décourager » voir même « interdire », la « performance de réalisations spectaculaires sans raison médicale valable ». Il met en garde contre les risques d’eugénisme, qui planifie « l’élimination pure et simple des êtres humains considérés comme ‘imparfaits’ sur des bases idéologiques », de discrimination et de stigmatisation « pour ceux qui ne peuvent pas se permettre une telle amélioration ou ne veulent tout simplement pas y recourir »[7].

 

Il souligne la responsabilité des chercheurs et l’étend : « Il est important pour les États et les gouvernements d’accepter le principe d’une responsabilité mondiale partagée dans le cas de l’ingénierie du génome humain »[8], mettant en cause la « course pour être le premier ».

Sur un plan légal, le rapport invite les Etats et les gouvernements à « renoncer à la possibilité d’avancer tout seul avec leur propre système juridique »[9]. Il rappelle qu’un certain « ‘tourisme médical’ liés aux technologies de procréation médicalement assistée et à la maternité de substitution, pour ne citer que les exemples les plus débattus »[10] est lié aux différences entre les législations : « Ce qui devient légal dans un seul pays devient permis »[11].

 

Les experts n’ont cependant pas réussi à s’entendre sur le point épineux de la destruction d’embryons « impliquée dans certaines de ces techniques »[12], les divergences se focalisant sur « le principe du respect de la vie humaine et sur la question connexe du statut des zygotes, des embryons et des fœtus ». Le rapport expliquant en conclusion que « le débat éthique sur la production et la destruction des embryons humains, même dans le but de poursuivre un progrès humain important, reste ouvert ».

 

L’autre aspect qui n’a pas pu faire l’objet d’un consensus des experts concerne le respect de la vie humaine à son début. Sur ce sujet le CIB « propose d’appliquer la méthode de la plus grande intégration possible : les procédures qui sont éthiquement ‘non-controversées’, à savoir respectueuses autant que possible de différentes sensibilités et traditions culturelles, devraient être encouragées ». Il estime que « les législations nationales et les règlements et les directives internationales devraient être encadrés en conséquence. »

 

Enfin, le rapport, tout en soulignant l’importance des « progrès scientifiques », invite « la communauté internationale, les États et les gouvernements, les scientifiques, les acteurs de la société civile et les individus » « à considérer le génome humain comme l’un des postulats de la liberté elle-même et non pas simplement comme matière première à être manipulée selon leurs désirs »[13].

 

 

 

 

 

[1] N° 34, Rapport du CIB.

[2] qui permet d’intervenir sur l’ADN

[3] Le comité international de bioéthique (CIB) de l’Unesco, composé de trente-six experts indépendants provenant de différents pays : scientifiques, philosophes, juristes, ministres.

[4] N° 105.

[5] N° 105.

[6] N° 105.

[7] N°110.

[8] N°112.

[9] N°116.

[10] N°116.

[11] N°112.

[12] N°106.

[13] N°128.

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