"Allons-nous bientôt assister à la disparition progressive de la congélation des embryons humains ?" s’interroge Jean-Yves Nau sur Slate.fr. Revenant sur le fort développement de l’assistance médicale à la procréation (AMP) ces dernières années, Jean-Yves Nau fait le point sur les "règles de bonne pratique médicale" en la matière et présente la technique de la vitrification des ovocytes que certains spécialistes de l’AMP souhaiteraient voir légalisée en France (Cf. Synthèses de presse du 20/05/10 et du 22/06/10).
La stimulation hormonale de la fonction ovarienne de la femme n’étant pas sans danger, les spécialistes de l’AMP ont pour habitude de prélever le maximum d’ovocytes lors de la première stimulation, en général une dizaine. Ils les fécondent ensuite aussitôt. Or, seuls deux embryons sont implantés dans l’utérus maternel afin d’éviter les grossesses multiples; les autres sont donc congelés dans de l’azote liquide à -170°C. Ils ne seront décongelés qu’en cas d’échec de la première tentative d’implantation intra-utérine ou si le couple souhaite devenir parents à nouveau. Cette pratique soulève de "délicats questionnements éthiques", au point que les autorités sanitaires refusèrent longtemps de révéler le nombre des embryons "surnuméraires" congelés. L’on sait désormais que leur nombre "dépasse les 150 000 et que seule une petite proportion d’entre eux verra le jour".
La conservation de ces embryons pose la question du devenir des embryons congelés qui ne seront pas "utilisés" ensuite : "Faut-il les détruire (en langage officiel on parle de «mettre fin à leur conservation») et, si oui, dans quelles circonstances? Peut-on les ‘offrir’ à des couples qui, pour diverses raisons, ne peuvent en concevoir et ce même avec l’aide de l’AMP ? Ces embryons peuvent-ils, comme le réclament de nombreux biologistes et généticiens, être considérés comme de simples objets de recherche ?"
Selon Jean-Yves Nau, ces problèmes éthiques suffisent à comprendre "toute l’importance que l’on peut accorder à la moindre avancée technique qui permettrait de faire l’économie de la congélation embryonnaire". Or, la vitrification des ovocytes qui "commence à faire régulièrement ses preuves" pourrait constituer une alternative. Il y a peu de temps encore, on pouvait congeler un ovocyte mais sa décongélation menait à sa destruction.
C’est une équipe japonaise qui a découvert en 2005 ce procédé de congélation ultrarapide pouvant s’appliquer aux gamètes féminins. Jean-Yves Nau cite les propos d’un spécialiste de cette technique, R.-C. Chian, de l’université McGill de Montréal, dans le Journal de gynécologie obstétrique et biologie de la reproduction en 2007 : l’eau est vitrifiée par réfrigération à -130°C mais la vitrification des cellules vivantes nécessite de prévenir la formation de cristaux de glace intra et extracellulaires et la survie des cellules après congélation/décongélation. La toxicité potentielle des agents cryoprotecteurs sur les cellules vivantes varie selon leur capacité de pénétration et la température ambiante. Des morts cellulaires surviennent parfois à cause de dommages osmotiques dans la solution de cryopréservation ou lors des processus de congélation/décongélation. Les ovocytes humains sont plus difficiles à vitrifier que les embryons mais elle "montre des résultats très encourageants en termes de taux de survie après décongélation et de grossesses cliniques après transfert".
Déjà plus de 50 publications scientifiques sur la vitrification seraient parues à travers le monde, et près d’un millier d’enfants conçus après vitrification ovocytaire sont nés en Italie, sans problèmes de santé apparents. Pour des raisons éthiques, l’Italie proscrit en effet la congélation des embryons.
En France, plusieurs spécialistes de l’AMP, tel que le Pr René Frydman, sollicitent une autorisation de la technique. Celle-ci demeure actuellement interdite car considérée comme transgressant l’article 2151-5 du code de santé publique qui proscrit la conception d’embryons humains à des fins de recherche. L’Agence de la biomédecine, elle, serait favorable à une autorisation de la vitrification.
Slate.fr (Jean-Yves Nau) 04/07/10