Vincent Lambert : pourquoi en parler encore ?

Publié le 6 Fév, 2020

La semaine dernière, le tribunal correctionnel de Reims a relaxé le Dr Sanchez qui a été l’acteur de l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation associé à une sédation profonde et continue de Vincent Lambert (cf. Vincent Lambert est mort ; Mort de Vincent Lambert : un obscurantisme d’état ? et Mort de Vincent Lambert : parmi les réactions). Il était poursuivi pour non-assistance à personne en danger (cf. « Non-assistance à personne en danger » : le Dr Sanchez et le CHU de Reims poursuivis par les parents de Vincent Lambert ). Gènéthique revient sur cette affaire avec Maitre Jean Paillot, avocat des parents de Vincent Lambert.

 

Gènéthique : Pour quels motifs poursuivez-vous le Dr Sanchez ?

Jean Paillot : Je vous rappelle que nous contestons toujours que le « traitement » de Vincent LAMBERT, consistant à le nourrir et à l’hydrater par voie entérale, puisse être considéré comme relevant d’une obstination déraisonnable dans sa situation propre. L’interprétation par le Conseil d’État des lois Leonetti et Claeys-Leonetti et leur applicabilité aux personnes handicapées qui ne sont ni malades ni en fin de vie constitue en réalité une discrimination à leur égard. Le mécanisme de ces lois a vocation à s’appliquer à toute personne uniquement si elle est malade ou en fin de vie, qu’elle soit ou non handicapée. Or le Conseil d’Etat n’a pas suivi l’avis des experts judiciaires, qui affirmaient avec force que l’alimentation et l’hydratation entérales de Vincent LAMBERT ne constituaient pas, dans son cas, un traitement relevant de l’obstination déraisonnable. Il n’a pas retenu non plus nos conclusions, selon lesquelles une « comorbidité » était nécessaire pour que cette loi puisse être appliquée à Vincent et que c’était là le seul critère réellement objectif permettant d’éviter de faire dépendre la vie d’une personne d’une soi-disant volonté qu’elle est en réalité incapable de formuler.
Nous avons ainsi saisi le tribunal correctionnel de REIMS par voie de citation directe contre le docteur SANCHEZ le 20 mai 2019 vers 11h. Ce matin-là, le docteur SANCHEZ venait d’annoncer à la famille qu’il avait arrêté l’alimentation et l’hydratation de Vincent LAMBERT et l’avait placé sous sédation profonde et continue jusqu’au décès. Il avait ainsi exécuté sa décision en violation des mesures provisoires réclamées par le comité de l’ONU des droits des personnes handicapées, qui avait non seulement réclamé ces mesures provisoires le 3 mai 2019, mais les avait réitérées le 17 mai 2019 (cf. Vincent Lambert : l’ONU réitère sa demande de maintien de l’alimentation et de l’hydratation), au regard de l’opposition du gouvernement français à les faire appliquer, en violation de sa signature et de sa ratification de la Convention internationale des droits des personnes handicapées.
Nous avons donc saisi le juge correctionnel pour faire valoir que celui-ci violait ces mesures provisoires (tout comme le gouvernement français, d’ailleurs). Et qu’il devrait rendre compte de sa responsabilité pénale pour tous les défauts de soins constatés sur Vincent LAMBERT depuis qu’il l’a pris en charge en qualité de chef de service. Or ces défauts de soins, qui constituent une omission de porter secours, sont nombreux et ne se limitent pas à l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation entérales.
Ceci dit, le mépris des mesures provisoires bénéficiant à Vincent LAMBERT justifiait à lui seul la non-assistance à personne en péril puisqu’il revenait à son médecin de les appliquer, alors que les experts judiciaires avaient tenu à souligner que la situation de Vincent « n’appelait aucune mesure d’urgence ». Il est évident que si le docteur SANCHEZ avait de lui-même repris l’alimentation et l’hydratation et annoncé respecter les mesures provisoires pour permettre l’examen du recours du vivant de Vincent, nous aurions mis fin à cette procédure, la non-assistance ayant alors pris fin.

G : Quelle a été la décision du tribunal correctionnel de Reims ? Comment le tribunal l’a-t-il justifiée ?

JP : Le tribunal a relaxé le docteur SANCHEZ, en estimant dans un premier temps que le fait de limiter des soins dans le cadre d’une décision médicale prise après une procédure collégiale exclut toute intention délictuelle ; que les experts judiciaires ont établi une situation d’état végétatif chronique de Vincent LAMBERT, que les défauts de soins invoqués ne seraient « pas suffisamment argumentés » et qu’aucun traitement médicamenteux, chirurgical ou de rééducation ne pourrait améliorer son état.
Ces points sont éminemment critiquables, dans la mesure où :

  • peu importe en réalité l’état végétatif, qui est un état de handicap : les experts ont dit également que le traitement considéré ne relève pas, selon eux, d’une obstination déraisonnable — mais le tribunal n’en dit curieusement pas un mot ;
  • il ne suffit pas de prétendre que les défauts de soins reprochés auraient été considérés par les experts judiciaires comme insuffisamment caractérisés sans que le tribunal recherche lui-même si les éléments de preuve désormais apportés les caractérisaient ou non ;
  • l’absence prétendue de tout traitement tendant à améliorer l’état de conscience de ces patients — si cela était vrai — n’a pas d’incidence sur la question pénale. Au demeurant, il est contesté qu’une rééducation n’aurait pas amélioré la situation de ce patient.

Le tribunal considère par ailleurs que l’enfermement de Monsieur LAMBERT, pris pour assurer sa sécurité, « ne saurait recevoir aucune qualification pénale ». Le problème est qu’un tel enfermement est contraire aux bonnes pratiques médicales concernant ce type de patients. Mais le tribunal ne dit mot de ce problème qui lui a pourtant été soumis et qui a scandalisé les experts judiciaires qui l’ont écrit dans leur rapport.

Le tribunal estime encore que le médecin n’a pas commis de faute en refusant de transférer Monsieur LAMBERT dans un autre service, d’une part parce que cette décision appartenait à la tutrice — ce qui n’est que partiellement vrai : le médecin peut en effet de lui-même faire transférer un patient ; d’autre part, parce que, selon le tribunal, les experts judiciaires ont considéré que les soins donnés au patient le maintenaient dans un état général optimal — sans toutefois répondre à notre argumentation selon laquelle ces experts ne faisaient état que des soins de nursing et n’évoquaient pas les soins spécifiques dus aux patients EVC/EPR qui lui ont en réalité été supprimés en 2012 quand il a été décidé de provoquer sa mort.

Le tribunal a enfin estimé que les mesures provisoires réclamées par l’ONU ne seraient pas obligatoires, reprenant mot pour mot l’argumentation de l’État français, sans tenir le moindre compte des nombreux arguments que nous avions présentés. Il s’est appuyé sur la décision rendue par un juge unique du tribunal administratif de Paris du 15 mai 2019, dont il est rappelé qu’elle a été rendue sans procédure contradictoire, sans audience, hors délai et sans un mot sur notre rappel du droit international applicable ! Et, de façon ahurissante, le tribunal a également invoqué la décision de la Cour européenne des droits de l’homme du 20 mai 2019 de ne pas accorder ses propres mesures provisoires, comme si cette décision avait une quelconque valeur dans la détermination de la nature obligatoire ou non des mesures provisoires des comités de l’ONU. Les concernant, le tribunal n’a nulle part répondu sur le fait qu’ils constituent, à l’instar de la cour européenne des droits de l’homme, des instances internationales de contrôle et de règlement. Le tribunal a de même gardé le silence sur la décision du Défenseur des droits du 17 mai 2019 rappelant que les mesures provisoires du CDPH étaient obligatoires, décision d’autant plus importante que le Défenseur des droits -autorité constitutionnelle- a été désigné par le Gouvernement lui-même pour veiller au bon respect et à l’application de la Convention des droits des personnes handicapées en France !
Le Tribunal n’a pas davantage cité l’arrêt du 20 mai 2019 de la Cour de Paris qui a obligé le Gouvernement français à respecter ces mesures provisoires, pas davantage que l’arrêt de la Cour de cassation du 28 juin 2019 cassant cet arrêt mais rappelant qu’elle ne se prononçait pas sur le caractère obligatoire ou non des mesures provisoires.

Même le docteur SANCHEZ avait admis lors de l’audience du 26 novembre 2019 que les mesures provisoires de l’ONU avaient un caractère obligatoire, mais n’étaient pas contraignantes, ce qui est évidemment absurde.

En réalité, le tribunal s’est contenté, pour chaque point soulevé, de piocher des éléments de réponse ici et là, sans rechercher par lui-même une réponse sur la base des pièces versées et des arguments juridiques invoqués. Il en résulte une décision à la motivation extrêmement faible et pour cause : depuis plus de trois millénaires, le droit international est basé sur la force obligatoires des conventions ratifiées et sur l’engagement des Etats signataires de les respecter.

G : Des médias ont suggéré que ce procès était désormais celui de la loi Claeys-Leonetti. Est-ce le cas ?

JP : En réalité, on a assisté à une diabolisation des malheureux Pierre et Viviane Lambert. On ne le redira jamais assez mais Viviane et Pierre LAMBERT se sont battus uniquement pour leur fils et parce que c’était leur fils.

De nombreux média présentent pourtant cette action comme une volonté de combattre la loi Léonetti elle-même, comme si le combat de nos clients était d’ordre idéologique.
Si les médias ont relayé ce message, c’est en exploitant un attendu du jugement du tribunal disant que notre citation directe n’aurait eu d’autre but que de s’opposer une nouvelle fois à l’application de la loi Claeys-Leonetti à Monsieur LAMBERT en tentant de faire pression sur le médecin. Cette motivation désincarnée passe la réalité sous silence : c’est leur fils qu’ils ont essayé de sauver à chaque étape des procédures. Cette procédure en non-assistance à personne en danger avait pour objectif de tenter de sauver Vincent qui était en danger immédiat par arrêt de ses nutrition et hydratation. Vincent est mort depuis lors. Mais la procédure une fois engagée, le tribunal était saisi et devait obligatoirement trancher. Et sa mort ne supprimait de toute façon pas l’incrimination pénale.
De la même manière, le procureur de Reims ayant communiqué qu’il classait sans suite son enquête en recherche des causes de la mort, les médias ont tous relayé l’information en affirmant que la justice avait définitivement clos l’affaire Lambert. Mais il ne s’agit là que de désirs. Car un procureur, ce n’est pas la justice. Et les procédures ne sont pas closes car si l’application de la loi Leonetti à une personne handicapée a été validée par le Conseil d’Etat, elle ne l’a pas été par l’ONU qui contrôle le respect de la Convention relative aux droits des personnes handicapées.

Et nous étions évidemment d’autant plus fondés à citer le 20 mai au matin Vincent Sanchez devant le tribunal correctionnel pour non-assistance à personne en péril pour le non-respect des mesures provisoires que le soir même, trois hauts magistrats de la Cour d’appel de Paris nous donnaient raison en rappelant que ces mesures étaient obligatoires. Par cette seule décision du 20 mai, la non-assistance était définitivement caractérisée. Le croirez-vous ?  Le tribunal n’a pas plus répondu à cet argument.

G : Quelles suites comptez-vous donner à cette affaire ?

JP : Nous préparons l’appel de cette décision très contestable au plan juridique puisque la question centrale est celle du refus par le docteur SANCHEZ de respecter les mesures provisoires qui bénéficiaient à son patient.

La procédure devant le comité de l’ONU est par ailleurs toujours en cours. Nous y réclamons une double condamnation de la France pour non application de la convention internationale sur les droits des personnes handicapées : d’une part pour avoir refusé de faire appliquer les mesures provisoires ; d’autre part parce que l’application de la loi CLAEYS-LEONETTI donnée par le Conseil d’État à ces personnes handicapées conduit à une discrimination qu’il y a lieu de sanctionner.

Cela ne fera pas revenir Vincent. Mais ce sera lui rendre justice ainsi qu’à tous ceux qui vont être victimes de l’acharnement qu’il a subi -l’affaire de Bagnères-de-Bigorre est malheureusement là pour le démontrer (cf. France : Le tribunal ordonne la reprise des soins pour un homme de 70 ans “en état végétatif”). Et cela permettrait de remettre cette loi à sa juste place : un moyen de lutter contre l’obstination déraisonnable quand elle existe, et non un moyen d’euthanasier les personnes handicapées qui ne sont pas en mesure de se prononcer par elles-mêmes sur la poursuite des soins qui leur sont dus.

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Jean Paillot

Jean Paillot

Expert

Avocat au barreau de Strasbourg depuis 1992, expert au Conseil de l’Europe pour le compte du Saint-Siège depuis 2012. Enseignant en droit de la Santé à l’Institut Politique Léon-Harmel (DU d’Ethique biomédicale délivré par l’Université Catholique d’Angers) depuis 2007.

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